Théâtre Ducourneau d’Agen le 12 novembre 2021

En 2018, après avoir servi les autres musiciens et notamment un certain Charles Aznavour pour sa dernière tournée, Matthieu Chazarenc souvent défini comme « batteur raffiné », ce qui est vrai, a créé son propre projet : « Canto ». Devant le très bel accueil et parce qu’il avait encore tant de choses à dire, tant de messages à faire passer il a en 2020 produit une suite, « Canto II ». Le quartet de base n’a pas changé, lui-même aux compositions et aux percussions, Laurent Derache à l’accordéon, Sylvain Gontard au bugle et Christophe Wallemme à la contrebasse. Sur le second opus enregistré en pleine crise sanitaire il avait invité Sylvain Luc.

Après avoir parcouru la France avec son projet malgré les difficultés actuelles, il souhaitait revenir chez lui, à Agen où il a ses racines, sa famille, ses premiers amis. L’occasion lui en a été donnée dans le cadre de la première édition des Rencontres Philosophiques Michel Serres. Un des nombreux messages de l’Académicien agenais, grand vulgarisateur était que « le savoir rend libre ». Ces quelques jours de rencontres, de débats, de concerts, n’ont pu que le confirmer.

La musique, le jazz, font partie de ce savoir, nourrissent cette liberté surtout quand comme avec l’œuvre de Matthieu Chazarenc ils sont ancrés dans une culture ancestrale, locale et malgré tout universelle. Tradition et donc transmission si l’on veut que la première se perpétue. La tradition elle est dans la musique de Matthieu, le Gascon, imprégnée de musiques traditionnelles de son pays, de pas de valse pleins de douceur, de mélodies poétiques. La transmission on va la retrouver pour ce concert avec la présence d’un chœur d’une centaine de jeunes du collège agenais Ducos du Hauron et de ses jeunes y suivant des CHAM, classes à horaires aménagés en musique. Un collège REP, réseau d’éducation prioritaire, pour des enfants en difficulté scolaire avec la musique pour les faire évoluer, leur ouvrir le monde, quel choix pertinent !

Projet un peu fou, pris très à cœur par Matthieu, que d’associer ces jeunes amateurs à sa musique raffinée et sensible, mais il y tenait, ici chez lui dans cet écrin remarquable que constitue le théâtre Ducourneau, un théâtre à l’italienne du début XXe. Pression de jouer à domicile, pression de réussir cette association avec les jeunes, loin d’avoir disparue après les balances où le chœur timide pour chanter mais pas pour bavarder ne va pas le rassurer. On dit « Mauvaise répétition, bon concert » va leur asséner Cathy Judit la cheffe de chœur lors d’un debriefing musclé ; le vieil adage du métier allait-il se vérifier ?

Le quartet est au complet avec quelques invités, Sylvain Luc, le Basque qu’on ne présente plus, Eric Wilms, le Lorrain , pianiste, arrangeur, chef d’orchestre de Charles Aznavour pendant 25 ans, mais aussi de Charles Trenet, Hugues Aufray, une des références du métier et Joan-Luc Madler, le poète chanteur, troubadour Occitan comme récitant. Ce dernier m’apprendra d’ailleurs qu’Agen est en Languedoc, la Gascogne étant elle de l’autre côté de la Garonne, rive gauche !

Les sièges de velours rouge disparaissent peu à peu sous les nombreux spectateurs ; qui dit enfants qui chantent dit parents qui viennent, tant mieux ils découvriront pour la plupart un monde musical nouveau et merveilleux.

Le quartet débute avec des titres de « Canto II » on y retrouve cette douceur mélodique, ces percussions (plus que batterie) délicates de Matthieu, cette chaleur de la contrebasse, cet accord parfait entre le bugle et l’accordéon,. Une autre figure locale est évoquée en duo par Laurent Derache et Sylvain Gontard justement, un hommage au poète-coiffeur Jasmin avec « Place Jasmin » que nous avons traversée en arrivant ici ; titre dédié à Marcel Azzola. Autre artiste du cru présent ce soir mais de façon indirecte avec son ampli guitare et Ludovic son ingénieur du son habituel qui a parfaitement joué son rôle, Francis Cabrel !

Sylvain Luc rejoint Matthieu pour un duo guitare/percussions (« une piperade au confit » plaisante ce dernier) autour de la chanson « Plus bleu que tes yeux » écrite par Aznavour pour Piaf ; merveille d’adaptation, de dialogue musical, de surprises mutuelles, l’émotion traverse la salle.

C’est en sextet que la ballade mélancolique « Villa Verde », est jouée, Eric Wilms rejoignant le beau Steinway.

Mais ce que beaucoup attendent c’est l’arrivée du chœur. Le voilà, les tenues décontractées variées de l’après-midi ont laissé place au noir et blanc, les potacheries au trac. Et le miracle va se produire, l’adage va se vérifier une nouvelle fois, quel beau moment ! Sur « Nos Pas (pas l’ombre d’une chance) »  Lidsey et Lauriane vont assurer ayant réussi à vaincre leur peur. Et voilà « Garona » le bouleversant hommage à la Garonne toute proche, écrit par Matthieu et récité par Joan-Luc Madler, le chœur évoquant le bouillonnement, la puissance parfois tumultueuse du fleuve ; c’est juste beau.

Les familles sont dans la salle, l’ovation est énorme bien sûr mais nous qui n’avons pas d’enfant sur scène sommes tout aussi émus qu’elles. .

Le rappel avec la chanson traditionnelle « Se Canta » au thème si triste, les amoureux étant séparés par la montagne, se voit ici métamorphosée en un hymne joyeux, le choeur est en roue libre, la salle les accompagne, un vrai bonheur.

Pari réussi par Matthieu Chazarenc ; je l’avais aimablement traité de fou à ce sujet avant le concert, se mettre ainsi en danger. Mais c’est un artiste, un vrai, sensible, authentique, humain, attachant et un être tellement sympathique.

par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat