Les Enfants d’Icare – Après le Déluge

Et autres Illuminations d’Arthur Rimbaud

[COUP DE CŒUR] En mars 2020, nous avions découvert le quatuor à cordes Les Enfants d’Icare en concert au Rocher de Palmer (Cenon, Gironde), pour le lancement de « Hum-Ma », leur premier disque. À cette occasion, une passionnante interview nous fut accordée, dans laquelle Boris Lamérand, violoniste, compositeur et leader, nous parla en détail de son groupe, formé avec Antoine Delprat au violon, Olive Perrusson à l’alto et Octavio Angarita au violoncelle, et de la genèse de ce beau projet qui nous avait conquis.

Nous étions impatients de connaître la suite, et voilà qu’au printemps dernier, Ô surprise, retour au Rocher de l’équipe, augmentée de Léa Castro et Loïs Le Van au chant, pour la présentation avant l’heure de l’album suivant, « Après le Déluge », qui vient juste de paraître sur l’excellent label du nom de…Déluge, lequel présentait aussi le dernier projet du groupe Le Jardin lors de cette soirée.

Une prestation très vitaminée, ouvrant une nouvelle aventure, basée sur des extraits des fameuses « Illuminations » d’Arthur Rimbaud. Mêler ainsi littérature poétique hors norme et musique que nous avions trouvée des plus audacieuse, quel ambitieux programme !

Tout au long du concert furent ainsi repris des poèmes d’Arthur Rimbaud, le groupe en arc de cercle, avec à chaque thème une projection d’images magnifiques en fond de scène que l’on doit à Sarah Bouillaud. Elles sont assez surréalistes, mais les poèmes du grand auteur ne le sont-ils pas un peu ? Fort heureusement ses textes sont reproduits dans un riche livret, assortis des visuels qui avaient été projetés. Des notes à la magie mobile, permettant de suivre à la lettre les paroles chantées.

Nous nous apercevons rapidement qu’au fil des morceaux, il ne nous sera pas trop possible de nous endormir car la musique de ces enfants-là est tatouée de leur goût pour le rock, le jazz, le contemporain et quelques autres fiévreuses influences, ce qui alimente un groove mutant irrésistible, dont l’énergie multipiste aux arrêtes incisives déflore l’idée reçue chambriste, historiquement attachée à un quatuor à cordes, même augmenté. Pas de batterie ou de contrebasse donc, peu importe, les nuances boisées flamboient, de hauteurs urbaines en quiétudes champêtres. Bien que nuancé, le rythme est omniprésent, d’un souffle direct voire un tantinet insolent par moment, comme le fut celui des mots de Rimbaud, qui se mit un temps à dos la bonne société.

Le groupe est excellent et au faîte de sa créativité. Il sait allier avec grande précision des vocaux ondoyants, comme possédés par moment, à des cordes expertes, complices et endiablées. On dirait une musique de film bizarre – elle aurait plu à Claude Chabrol – au scénario sans concession, racontant la plainte d’une troupe hardie militante qui (s’) engage. Elle est belle, libre, et porte haut quelques douloureux thèmes d’actualité, avec plus d’intensité que l’album précédent. « Génie », où il est question de l’Esprit, de Dieu, du « prêche évangéliste », « Guerre » et « Après le Déluge », sa suite logique, nul besoin de développer ! « Démocratie » en péril, la faute aux « princes orgueilleux » : « Conte ». Toutes ces compositions nous parlent, en nous amenant à réfléchir sur ce que pourra être le monde d’après, avec la révolte intérieure qui peut (doit) nous animer, et qui jadis habita Rimbaud, et engendra aussi le génie d’un autre regard possible, libéré.

Nous aimons aussi la plume d’Antoine Delprat sur « Métropolitain », slam urbain groove innervé de riffs boisés et « Enfance III Au Bois », sonorités joueuses au son préparé presque bruitiste, rêves d’enfants, à travers champs/chants.

« H », pour Hortense, invitation au recueillement et hommage admirable à Darius Milhaud, « Matinée d’ivresse », Rimbaud et son double divin et l’incroyable « Mystique » clin d’œil à Giorgi Ligeti en un saisissant unisson vocal, posé sur un tapis de cordes genre raga hypnotique, ce qui nous rappelle un peu certaines expériences de Robert Ashley, achèvent notre conquête. Nous ne pouvons résister, laissons-nous guider par cette danse des mots et des sons qui s’entrelacent à l’envi et nous mobilisent.

Enfin, à l’écoute du stupéfiant « Aube », survient une pensée particulière pour un élève qui découvrit un jour ce poème et comprit le mot « wasserfall » grâce à la professeure de français qui expliqua ce choix du poète à sa classe, plutôt que celui de « cascade » : Un terme à la sonorité de la force de l’onde, le chant lumineux de milliers de gouttes d’eau qui scintillent au soleil matinal. « Je ris au wasserfall blond qui s’échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse. ». C’est magnifique ! Depuis ce jour, il comprit un peu plus les images, l’impact et la beauté complexe de l’œuvre d’Arthur Rimbaud, ce qu’ont su faire et nous transmettre Les enfants d’Icare avec ce disque de haut vol.

Par Dom Imonk

Déluge/Absilone/Socadisc

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