Rhizomes

Il vous semblera sans doute étrange de parler d’un texte avant la musique, la lettre avant la note en somme. Mais c’est que l’exergue de ce bel album est à saluer magnifiquement. Son auteur, Jean-Louis Dubois-Chabert, suggère par la voix du titre même, la théorie du Rhizome de Gilles Deleuze et Félix Guattari, et appelle de ses voeux épistolaires, les innombrables chants d’oiseaux de la forêt amazonienne (en pensant à Olivier Messiaen), qu’ils soient réels ou imaginaires. Ce texte fut-il (et non futile) écrit pré-ou-post-enregistrement, fut-il l’argumentaire so(u)rcier des musiciens ou conséquent de l’enregistrement, en un mot, ce texte digne d’un « maître-chanteur » de terres et cieux inconnus, nous enivre du parfum paradoxal des mots-notes de ce Rhizomes.Un bel album d’interprètes – et d’interprétation – au service de l’oeuvre d’un compositeur majeur brésilien, A tribute to Egberto Gismonti, compositeur qui n’eut de cesse de rendre sans « frontière » le savant-populaire et l’inverse. Et lorsque l’on connait Gismonti, on comprend, à l’instar du magnificent maillage de la bio-diversité brésilienne, les belles diversités timbriques, soniques, chromiques développées dans cet album. Le tout, très bien mené, est de la belle belle musique faisant partie de la très grande famille des jazz possibles. Un ethno-jazz versus brésilien dont le regard se porte vers l’ailleurs, tel Frank Zappa vers la musique contemporaine, tel Jan Garbarek vers l’extrême-orient,… telle la complexité microtonale de l’ostinato (fa#) du 5ème morceau nous rapprochant, en un beau tourbillon envoûtant, de Giacinto Scelci… finalement ne sommes-nous pas rhizomiquement convoqué à regarder constamment ailleurs ?La cohérence propre au projet global semble quelque peu disparate à la première écoute mais n’est-ce là la pertinence des mondes rhizomiques : une structure évoluant en permanence. Mais ou se trouve alors la rébellion jazzistique liée à cet « ensauvagement » décrit ? Une question : l’adjonction du piano était-elle bien nécessaire ? Oui, Egberto Gismonti est un compositeur, guitariste et pianiste. L’on comprend dès lors le pourquoi de cette association entre le piano et l’Antoinette Trio, pourquoi Denis Badault y est donc présent (outre les arrangements). Ici la couleur pianistique de Badault (quelque fois détonnante par trop de couleurs typiquement jazz plutôt qu’en correspondance avec le projet même) davantage que le Badault de la bande du même nom.Tout le disque devrait être, nous semble-t-il, à l’aune du dernier morceau, là où le texte du livret se révèle, là où le soleil de l’album s’éveille, là où l’exubérance de la rencontre des cultures nous titille les oreilles par ses mille feux d’éclats d’instruments et de voix.Nous n’avons qu’une hâte, c’est d’entendre cet album, un rien ECM, en concert car c’est une musique, dégageant certes une mélancolie globale, qui désire le sel et la fougue qu’apporte le public.

Julie Audouin : Flute,
Arnaud Rouanet : Clarinette basse Voix,
Tony Leite : Guitare Voix,
Denis Badault : Piano – Arrangements.

Par Patrick Defossez

Label 3×2+1