La Pieuvre Irréfutable – Huître en Peluche

[COUP DE COEUR] Quel que soit le projet dans lequel le pianiste claviériste Étienne Manchon se trouve engagé, nous sommes toujours sûrs que surprises et nouveautés seront au rendez-vous. Très actif au sein du trio qu’il a formé avec Clément Daldosso (contrebasse) et Théo Moutou (batterie), il mène aussi une carrière parallèle particulièrement fournie. Jugez plutôt ! En duo au sein du turbulent Congé Spatial, ovni dans lequel il embarque régulièrement avec son ami saxophoniste Pierre Lapprand, dont le disque fut d’ailleurs chroniqué en nos colonnes, ou encore à la direction de l’ambitieux et vivifiant L’Autre Big Band où il réunit ses complices toulousains, de même que sur le premier disque du trompettiste Daoud qui doit bientôt sortir. Ne manquons pas aussi de citer le remarquable « Fragments » du Yves Rousseau Septet dans lequel il fut invité. Bref, nous sommes bien calmés là, force est de constater que c’est un garçon très occupé ! Mais les choses ne comptent pas s’arrêter là ! En début d’année, c’est un tout nouveau projet qu’il nous a proposé avec l’octet La Pieuvre Irréfutable, une formation d’excellence principalement toulousaine, enrichie d’un quatuor à cordes sur certains thèmes. Nous y retrouvons alliées l’inspiration éclairée et l’ouverture de son écriture, d’une vision presque cinématographique par moment, à une certaine fantaisie surréaliste qui l’habite, notamment dans le choix du nom de son groupe et du titre de l’album. Avouez qu’une « pieuvre irréfutable » qui vous invite à déguster une « huître en peluche », ce n’est pas banal, mais on y va direct pourtant !

Premier morceau composé par Étienne Manchon en 2017, « Octopus » est un peu la clé d’entrée dans l’univers de la Pieuvre Irréfutable, où les planètes des musiciens du groupe s’alignent et révèlent leurs scintillements associés, prêts à éclairer cet album. Univers rock/groove dans cette pièce qui nous allume d’entrée ! Rien à voir avec l’animal de Syd Barrett que vénère Étienne Manchon, mais le monstrueux solo gilmourien de Timothée Sussin indique pourtant un esprit floydien délectable qui muscle cette tonitruante pièce dont la pulse nous laisse cois ! Les dés sont jetés et l’ambiance ouvertement devenue jazz/prog va bien au-delà ! Alors que « Nebraska » survient – non, rien à voir avec celui de Bruce Springsteen nous indique le leader – c’est une affiche accrochée au-dessus de son bureau qui lui a inspiré ce titre. Rendue plus dense par la présence d’un quatuor à cordes dès l’entrée, cette pièce à la couleur d’une road movie nordique peint de vastes espaces enneigés et le trombone capte l’immensité des cieux et les incline à regarder la Terre parée de blanc avec amour.

Voilà qu’un voile de velours mystérieux, à la complexe teneur dark prog, est jeté sur l’époustouflante « La Forêt qui cache l’arbre », comme par des druides au pouvoir apocalyptique, c’est saisissant, étourdissant, en prime un solo de sax qui nous hallucine, mais qu’est-ce qui nous arrive ?! Un arbre à cacher, ah bon ? De la taille d’une forêt alors ! Voici « Choral », prémices émerveillées au retour baston de la pieuvre en mode funky énervé, les claviers virevoltent, il a quatre mains le mec ou quoi, le trompettiste chante ses vers et chatouille la canopée, alors que la batterie brode d’irrésistibles impacts.

Mais…mais…Instant séduction maintenant grâce à « Huître en Peluche », le morceau titre. C’est une pièce rare et fragile, à ne pas avaler comme un barbare, les cordes sont revenues, c’est ample, riche et puissant. L’art du titre, et ce fading fragile, émouvant !

Avec « Souffle court » qui clôt l’aventure, nous tenons là un morceau essentiel du disque, et un grand thème tout court. Très varié en climats, développé, dense et profond. Ce feeling à 2 :39, un petit thème que n’aurait pas renié Marvin Gaye, de la soul jazz au sommet, douceur du trombone en caresses envolées, c’est signé Ferdinand me dit Étienne, je ne sais pas comment ils font, mais c’est du bonheur total ! La bo d’un film à lui tout seul ! Sur cette dernière proposition, il est permis de verser des larmes tellement c’est beau !

Nous apprenons en plus que cet album a été « enregistré sans casques et dans une même pièce en seulement un jour et demi » ! Une inspiration collective étonnante s’en dégage et décoiffe son monde en tutoyant l’urgence, grâce à cette sorte d’insouciance joyeuse qui plane un peu partout et ouvre la fenêtre aux rêves les plus hardis !

Au final, c’est un disque d’émotions pures, habité par des musicien.ne.s de grand talent, où les orchestrations sont des « orch-extractions » de feeling supplémentaire, déniché au plus profond de leurs âmes.

Liste des thèmes :

1 – Octopus

2 – Nebraska

3 – La Forêt Qui Cache L’arbre

4 – Choral

5 – Le Retour Du Poulpe

6 – Huître En Peluche

7 – Souffle Court

Line-up :

Ferdinand Doumerc – saxophone alto & baryton, composition de « Souffle Court »
Alexandre Galinié – saxophone ténor
William Laudinat – trompette
Guillaume Pique – trombone
Timothée Sussin – guitare
Etienne Manchon – Fender Rhodes, claviers, compositions (1-6), direction artistique
George Storey – basse
Pierre Pollet – batterie

Invité.e.s :
Jeanne Le Goff
& Camille Suffran – violons
Maud Alloy – alto

Simon Foltran – violoncelle

Clément Soulignac – enregistrement & mixage
Arthur Ower – mastering

Par Dom Imonk

Production/label Fluffy Fox Records.

L’album est en vente sur le Bandcamp du label : http://fluffyfoxrecords.bandcamp.com/

https://fluffyfoxrecords.bandcamp.com/album/hu-tre-en-peluche