Saint-Émilion, Salle des Dominicains, samedi 8 février 2025
Jean-Pierre Como (piano) et Javier Girotto (saxophones et flute)

Avant de parler musique, un immense merci au Conseil des vins de St Emilion et au St Emilion Jazz Festival d’avoir invité quelques privilégiés à partager un moment rare.
Rare, car les notes n’ont plus résonné depuis trop longtemps dans cet écrin historique qui a déjà accueilli de grands noms à l’occasion du Saint Emilion Jazz Festival, comme le regretté Sylvain Luc et le trompettiste Stéphane Belmondo, le pianiste Fred Hersch, le guitariste Louis Winsberg et tant d’autres.
Rare, car cette soirée est le fruit de la belle et sincère rencontre entre Jean-Pierre Como, Franck Binard et Dominique Renard, une rencontre comme il n’y en a pas tant dans une vie.
Rare, car assister en « live » à la naissance d’un projet est… vraiment un privilège.
L’idée part d’une sorte de pari pris en 2017 lorsque Jean-Pierre Como présentait son CD « Europa Express ». La salle des Dominicains avait tant séduit et inspiré ce dernier qu’il avait confié à ses hôtes Franck Binard (Conseil des vins de St Emilion) et Dominique Renard (St Emilion Jazz Festival) le désir de revenir créer dans ce lieu si inspirant. Il n’en fallait pas davantage pour que Franck et Dominique, autant passionnés que généreux provoquent la chose.
Voilà donc Javier Girotto, saxophoniste argentin vivant à Rome depuis 1991 et Jean-Pierre Como réunis pour ce duo. Ce n’est pas leur première association puisqu’ils ont déjà enregistré et joué ensemble dès 2012 sur le projet « Boléro ». Plus récemment Javier a invité Jean-Pierre à Rome pour jouer en duo au festival de la « Casa del Jazz ». Mutuellement séduits par ce format duo, Jean-Pierre et Javier décident de composer spécialement pour leur nouvelle formation.
C’est cette création originale que les deux artistes viennent présenter pour la toute première fois à Saint Emilion.
Javier Girotto est originaire de Cordoba, comme le percussionniste Minino Garay. Né en 1965, Javier a étudié au prestigieux Berklee college of music de Boston. Naturellement il a enregistré de nombreux projets « tango », mais ses collaborations dans le jazz sont fréquentes, croisant les routes d’Horacio “El Negro” Hernandez, Rosario Giuliani, Bob Mintzer, Randy Brecker, jouant avec l’ONJ et le WDR big band.
(Cf. la récente chronique du projet « Javier Girotto & Aires Tango « 30 »)
https://blog.lagazettebleuedactionjazz.fr/javier-girotto-aires-tango-30/
De deux ans son ainé, Jean-Pierre Como est un claviériste que l’on ne présente plus. Né à Paris, et d’origine italienne, Jean-Pierre joue très jeune avec les plus grands noms du jazz français et européen et fait la rencontre du batteur Paco Sery en 1984, conduisant à la naissance du groupe Sixun. Sa culture personnelle et musicale mais aussi ses influences multiples s’expriment dans son œuvre variée, colorée et cosmopolite, dont le dénominateur commun reste la mélodie.
https://jeanpierrecomo.co/
Avant l’entrée des artistes, Dominique Renard présente cette soirée spéciale et l’émotion gagne aussitôt les nostalgiques du Jazz Festival de St Emilion. Mais ce soir de février, il n’est pas question de céder à la mélancolie mais au contraire de célébrer l’amour… celui de Jean-Pierre Como pour ce lieu, pour St Emilion et pour ses amis passionnés, celui de la belle musique et celui que l’on porte à ses proches. A quelques jours de la St Valentin, cela ne pouvait pas mieux tomber !
Le timbre du piano qui trône au centre de la salle et le son chaud du saxophone baryton emplissent soudain le volume de pierre blonde d’une mélodie chantante qui se faufile jusqu’à la charpente. L’émotion monte aussi au fil de cette ballade, véritable conversation entre sax et piano.
Retenant son souffle et ses applaudissements, les spectateurs sont en apnée, découvrant à chaque mesure, une nouvelle broderie mélodique, une note inattendue qui tient en haleine et suspend le temps au fil du récit. C’est « Wonderland », une invitation au pays des merveilles musicales qui vont suivre.
Puis, Javier passe au sax soprano pour dessiner une ligne plus étonnante, indécise et fragile qu’il trace en leader. Cette seconde pièce a un éclat différent, une fraîcheur évidente, une couleur vive. Ce morceau intitulé « Chopiniana » est l’œuvre de Javier Girotto.
Après ces deux titres on imagine alors que la totale découverte du programme devrait réserver encore pas mal de surprises !
Jean-Pierre Como prend la parole et ne parle presque pas de ce qui se trame ce soir, mais de son complice Javier Girotto dont il fait le plus beau des éloges. « Il joue les extrêmes, du soprano au baryton », « il a un son unique », « il transfère sa culture dans son jeu, en faisant chanter le saxophone comme un bandonéon ». Il poursuit : « Javier est un compositeur qui a un sens aigu de la mélodie et de l’écriture ».
Leurs similitudes sont grandes : un goût commun pour la mélodie, la force délicate de leurs jeux et la profondeur de la poésie dans la narration, l’enracinement culturel de leurs origines qui transpire à chaque note, jusqu’à l’Italie, devenue terre d’adoption de Javier depuis plusieurs décennies… leur rencontre artiste est d’une « intensité inédite » selon les mots de Jean-Pierre.
La culture, les racines, la passion, ces valeurs qui associent les éléments un peu comme le travail dans la vigne, et à un moment, « cela devient de l’art ». Bien dit Jean-Pierre !
Sur « Patagonio », composition de Javier, l’Argentin nous embarque par le bout du soprano dans une chevauchée cinématographique sur grand écran, les paysages de grands espaces défilent. Peut-être sommes-nous collés à la vitre d’un train ou ballotés sur une route dont on ne voit pas le bout ? Le contrechant du piano qui s’intercale est tout simplement délicieux.
Le rythme, un peu plus enlevé de « Alto mare » est joueur, on entend des éclats de rires dans les arpèges envoyés avec force virtuosité, mais ce n’est pas démonstratif, c’est toujours chantant.
Lorsque Javier souffle de courtes phrases sous le couvercle ouvert du piano avec son sax soprano, les cordes résonnent par sympathie. Cette vibration forme une sorte d’écho harmonique et le concert devient un spectacle tout à fait novateur.
Après plusieurs salves, le piano fait son entrée et la force laisse place à la douceur. Cette nouvelle conversation sax piano se fait plus intime cette fois.
Toujours aussi cinématographique, et pour cause, « Deborah’s theme » d’Ennio Morricone (il était une fois en Amérique) est la seule reprise de ce concert.
L’intro au piano qui suit, est écrit dans un style classique de sicilienne (logique après Morricone, peut-être un clin d’œil au clan des Siciliens ?). La suite d’accords sur lesquels le sax soprano susurre le thème est une véritable fresque, puis arrive une vague d’arpèges et le discours se fait plus vif. En plusieurs en mouvements, le duo expose une œuvre riche, pleine, structurée, dont le titre provisoire est « Piano orchestre », pardi !
Avant le rappel, « Parfum d’azur », titre composé quelques jours à peine avant ce rendez-vous est un brin nostalgique. Est-ce un parfum perdu, un jour dans une chambre d’hôtel de la riviera, l’effluve d’une inconnue que l’on croise sur la croisette, la fragrance du pays niçois à la saison des mimosas en fleur… tout cela peut-être ou tout autre chose, mais la douce mélodie nous emporte au loin assurément.
Pour la seconde et dernière fois, Jean-Pierre Como se saisit du micro. Il est un peu plus précis sur le projet de ce soir qui nait sous nos yeux.
Le premier rappel nous réserve une surprise car Javier joue simultanément de la flûte à bec amérindienne en bois sur le refrain et utilise le sax soprano pour les chorus. Ce « Bonheur caché » est une composition de Jean-Pierre, tout comme le second rappel « Song for Stéphanie » qui est un titre enregistré sur le projet « Com ô Paradis » en 2023, rue du Paradis dans la prodigieuse collection des Paradis « improvisés » d’Hélène Dumez. En solo cette fois, il clôture avec une pièce délicate aux accents de Satie, cette soirée exceptionnelle.
Il m’aura été sincèrement difficile de transcrire ce que j’ai ressenti ce soir-là, tant il est parfois complexe de mettre des mots sur des émotions, sans trahir la profondeur et la pureté du sentiment.
S’il me fallait trouver un synonyme du beau, je serais bien embarrassé, mais si je devais vous donner un exemple pour définir ce qui est beau, alors, je vous parlerais de ce concert du 8 février.
Set list :
Wonderland : J-P. Como
Chopiniana : J. Girotto
Patagonio : J. Girotto
Alto mare : J-P. Como
Deborah’s theme : E. Morricone
Piano orchestre (titre provisoire) : J-P. Como
Parfum d’azur : J-P. Como
Bonheur caché : J-P. Como
Com ô Paradis : J-P. Como
Signé Vince, photos Alain Pelletier

Galerie photos par Alain Pelletier







