17/09/2021 « Soirs bleus » – 20h30 – Foyer communal de Trois Palis

Robin Fincker, saxophone, clarinette
Bernard Santacruz, contrebasse
Samuel Silvant, batterie

Tempo accéléré, contrebasse et batterie de concert pour cette montée en gamme du saxo. Il y a de la plainte et de l’insurrection dans ce bel instrument. Don Cherry rôde, il arrache les tripes et revendique, c’est ce que cherche Robin Fincker. Le jazz explore. La batterie choisit la syncope pour entendre le swing à venir. On y est. Tous trois sont partis dans la ronde folle. Quelques abeilles s’échappent du saxo.

C’est une musique tout d’abord rustique dans le noble sens du mot qui traduit les variations des sons au plus près de leurs possibilités. On est dans une pénombre, et chaque note prend un relief particulier. La contrebasse à pas feutrés engage la clarinette à poursuivre sa déambulation cahotante.  Seule la batterie volatile de Samuel Silvant balaie l’espace. Une courte ritournelle s’enfuit, le thème abandonné.

Vient un morceau orthogonal où arythmie et susurrement alternent. Plainte et colère. Un cerveau bicéphale ? C’est bien les instruments en colère, anarchiques, habilement déconstruits. Ça libère par moments,. Bris de feu, éclats de sons., désespoir virulent. Le sax ne demande que ça, et la batterie bat des baguettes bien consentantes. Quant à la contrebasse, la main féroce de Bernard Santacruz  maltraite les cordes pour exprimer quelque colère…

La musique expressive ? Ben oui, pas dans le consensus, pas dans la pensée unique. Ça soulage. Ça nettoie.

Arrive l’apaisement ; c’est juste un souffle, une clochette, une note, un frôlement. Bien sûr qu’on en a besoin aussi…

Quand le son, corne de brume du sax laisse passer quelques notes, que la contrebasse s’ébruite juste un peu, l’étrangeté du monde se répand comme une brume étrange au bord d’un fleuve impassible. Vent aux courants changeants, points cardinaux déboussolés… Ils s’éloignent tous trois dans le même tempo volontairement empesé. On pourrait s’y perdre et disparaître. Fondus enchaînés…

La contrebasse du compositeur Bernard Santacruz nous dévoile d’emblée les courbes de Nadja S., ce qu’elle lui suggère. Volutes, du désir amoureux, chant s’amplifiant, déclaration passionnée qu’enhardit le saxo encouragé lui-même par la batterie. Sentiments rapidement tourmentés ou ode à l’amour ? Allez savoir. Musique expiatoire des sensations perturbées. Un désir progressivement explosif à en croire la contrebasse saturée et la batterie coïtale. Sortie de soi, explosion cérébrale.

Comme pour un deuxième set, ils reviennent après une courte pause.

Après une entrée en matière très structurée de la batterie, contrebasse et saxophone conciliabulent. Puis les puissances des deux instruments incitent la batterie à les suivre. Ondulations, irisations, le bois de la contrebasse gémit sous les mains savantes de Bernard Santacruz, soubresauts, soupirs, extirper du sax ses meilleures élégies, traquer les variations, rayer le son jusqu’à son éclatement et son déploiement, à la fois.

Course folle avec sortie de route, bien sûr, à la Paul Bley. À quoi sert le jazz s’il n’est pas dans le débordement intérieur ou extérieur, la décomposition multipliée du ressenti, du cérébral, de l’émotion. Expression comptable, certes, mais qui intéresse sans cesse la mesure, justement. Distendre comme la contrebasse féroce ici à nouveau, arrachant aux cordes leur vérité, leur râle. La batterie lui répond sèchement, revenant au tempo efficacement. Le sax leur préfère un babillage contrasté, les narguant en swinguant afin de les persuader de le rejoindre. Ils se retrouveront par un doux froufrou, vainqueurs.

Frottement du son vers le son pour le sax. Arabesque de Paul Motion précise Robin Fincker. Il les dessine, on suit les formes montantes et descendantes, pleins et creux. Les arrondis convexes et concaves. La contrebasse s’y glisse et reprend le pinceau pour appuyer encore sur les traces. La batterie de Samuel Silvant leur offre les accélérations et les ralentis utiles, elle stylise les enluminures du sax ; octaves dansantes, vous avez une âme.

En rappel, la contrebasse martèle le thème et en livre la spiritualité, d’emblée ; la batterie en écho prépare l’entrée de la clarinette forcément inspirée. Cette dernière choisit le resserrement pour concentrer les sons, en faire méditation. C’est un jeu ascendant dont la montée vers un nirvana passe par des sursauts existentiels. Interrogations du vivant, laisser le monde réel, passer en poésie ? À quel prix ? Beauté et gravité se côtoient sans pouvoir se dissocier. Le chant reste désespéré même si l’issue se veut éthérée.


17/09/2021 – 11h – Eglise de Trois Palis

Robin Fincker, saxophone, clarinette

« Laisser l’endroit jouer tout seul » ou « jouer avec » dans une église romane, ça veut dire lancer le son jusqu’à ce que la profondeur du jeu entende celle du lieu. Ils jouent ensemble donc. De l’explosion au bruissement, les contrastes trahissent les variations de l’âme. Les sons posés, Robin Fincker invite les thèmes du jazz pour les magnifier en s’en éloignant. L’impro en train de se dire. Le discours de la méthode tout en sensations. Un plaidoyer sensible. L’écho nous atteint et passe sous la peau, provoque un émoi mystique. Si, si. Une seconde mélodie s’immisce dans l’instant suspendu. On touche la sobriété du jeu, elle nous effleure aussi.

La composition suivante April, on l’appellerait « l’air de rien ». Air comprimé, filtré, comme dans les bons romans, l’histoire se trouve entre les notes. M’est d’avis que Robin Fincker en raconte une ! Son jeu puissant et obstiné traque la trace ou le leitmotiv qu’il épuise pour composer toujours et encore. Pas de complaisance.

La clarinette à l’aube précoce nous éclaire de rayons longs et fragiles qui nous aveuglent pourtant. L’insolite du jour, un réveil étrange où l’on ne reconnaît rien autour de soi que le son d’une clarinette interrogative. Quelques notes même peuvent faire un univers…C’est savant et finement ressenti. D’ailleurs peu à peu, Robin Fincker érode le son et crée une dentelle aux courbes délicates et aux couleurs du sud. Et puis, il saisit une mélodie et l’entête.


18/09/2021 – 20h00 – Foyer communal de Trois Palis

Carte blanche à Denis Badault, piano

Préambule : des nimbes, un entresol, une oblique ? La naissance de la terre, son évolution. Il faut se loger où on peut, dans cet intervalle insolite. Y naît peu à peu l’harmonie, par endroits, comme une pousse dont le germe cherche à s’épanouir. Notre monde est fait de ça.  Et le jazz y fleurit, fragile en son éclosion. Teinté par le doute, son swing éclate libéré par les accords mineurs. In a sentimental wood, il y entre comme en vocation, et en dessine les gammes pour en faire des méandres, des abîmes, des  cerfs volants au gré des courants choisis, abordés, risqués même. Nous parle-t-il de la superbe folie des variations ? Surgit souvent une mélodie résiliente.

Denis  Badault relie (relit) les standards, de passerelles en jetés de filets, la toile se tisse…  Un tableau aux peintures en relief, mêlées aux uns et aux autres pour en inventer d’autres. Créer. En les honorant, il les écoute à nouveau et laisse l’improvisation les sublimer, et même parfois, semble-t-il, il capte ce que lui apporte les harmoniques créées pour en tenter d’autres.

Affection donc, ici, pour Barbara. Aimer, c’est peut-être traduire ou l’inverse. Frôler le langage de l’autre, sans s’en emparer, le traverser aussi pour le ressentir, le décomposer pour l’envisager, l’absorber pour le restituer, le chahuter pour le faire rougir.


18/09/2021 – 21h00 – Foyer communal de Trois Palis

Duo Marc Ducret, guitare / Samuel Blaser, trombone – Suisse

Une peinture de Picasso. Ça , c’est pour l’atmosphère. Rien d’équerre. Les instruments à brut. La guitare de Marc Ducret tance le trombone qui lui fait écho, complice ou opposant…

Marc Ducret, à la gestuelle féline, provoque les sons et engage Samuel Blaser à l’enjoindre. Jeu à la pointe des pointes, onomatopées musicales.

Marc fait maintenant couler le son, il l’attendrit, l’arrondit en cercles concentriques que le trombone de Samuel attrape en miroir. Les deux instruments gémissent ensemble.

La rondeur de l’un s’est emparée des secousses aigües de l’autre. Marc cisèle en poinçonnant. C’est possible. La guitare aux sons futuristes métallisés invoque la déformation du son du trombone. La guitare irradie l’espace : Marc Ducret crée une autre guitare pour un autre univers, tendu, nerveux à l’extrême et en épure.

A son tour, le trombone se déploie comme un éventail s’ouvrant et se dépliant, par branches successives. Les deux musiciens réinventent leurs instruments et la musique qui s’en dégage, c’est du tempo  à l’état pur, et ils s’en amusent.  Marc Ducret, orfèvre , ne cesse de sculpter chaque son et tenter son camarade. Noce hybride.

Pour finir, musique tibétaine, spirituelle qui dérive en sons mystiques. Stravinski est ainsi happé…


20/09/2021 – 11h – Eglise de Trois Palis

Concert solo, Vincent Courtois, violoncelle

On ne peut s’empêcher de penser que dans le solo on aborde la méditation. L’autre, c’est tout d’abord l’espace. Vincent Courtois l’emplit progressivement. Arabesque en élévation, élégie dont les accents s’amplifient avec une gravité assurée. C’est beau, voilà.

Le vent soulève imperceptiblement le sable sur la baie. Les doux rebonds de l’archet se propagent en ondes spirituelles. La beauté, c’est peut-être ici l’épure des sentiments, pour traduire leur ampleur, leur profondeur. Une montée en profondeur… La main s’est faite nerveuse : aborder la tragédie existentielle avec vigueur. Des sursauts, coups d’archet, se superposent comme une litanie féroce, désir de changer de registre après avoir tourné avec force la page de la partition intégrée comme son. Sons de guitare hawaïenne temporisant les sons mélodieux d’une musique contemporaine (György Ligeti) qui, restituée ainsi, lance des effluves de nostalgie.

On ne sait pas qui traverse qui. L’instrument, le musicien ? Les doigts font danser les cordes, follement. La beauté, c’est la simplicité, parfois l’évidence. La justesse du tracé musical, les accents, les ruptures, les variations, les délicates conciliations, des danses ancestrales façonnent une œuvre sublime.

Des vols de papillons affolés envahissent l’église. Le souffle du vent né des extrémités du violoncelle les ont effacés.

On peut pleurer. De joie.

Inspirez, n’expirez pas…

P.S. La lumière de la campagne charentaise avait les couleurs de la tessiture d’un violoncelle aujourd’hui…


19/09/2021 – 18h00 – Foyer communal de Trois Palis

« Entre les terres »

François Corneloup,  saxophone baryton
Jacky Molard, violon
Catherine Delaunay, clarinette
Vincent Courtois, violoncelle

Des couleurs de Chypre, la lumière, une porte ouverte sur une orientalité, le quartet nous amène avec minutie dans une contrée où une douce brise traverse les instruments. Sur l’estrade, un tapis, volant.

A pas menus, le doigté mesuré de Catherine Delaunay s’accorde avec le violon de Jacky Molard. Les visages expressionnent l’extrême sensibilité du jeu de chacun et ne font qu’un avec les instruments.  Que d’émotions ! C’est une balade un peu cahotante, à l’irrégularité délicieuse. Une composition de François Corneloup, Trois pieds pour une marche.

Une danse aux accents bretons, voire irlandais, entre en piste. Nous tournoyons avec douceur depuis un moment alors nous continuons. Le violon du compositeur virevolte entraînant ses acolytes à l’accompagner. Ils partent dans les chemins de traverses où nous les suivons.

Dans une vallée d’herbes hautes, le saxo baryton se détache et la marche solennelle des trois autres leur emboîte le pas sombrement. A son tour, le violoncelle donne son plus beau chant breton…

Suit une danse tourbillonnante aux mille éclats de lumière, tournez, tournez, vibrionnez. Qu’importe si vous ne touchez plus le sol, la richesse de la composition peut vous étourdir… C’est une danse sans fin, son tourbillon à la pointe klezmer vous ensorcèle.  La complicité est telle que les duos changeants formés sont en parfaite osmose ; leurs sonorités se marient avec grâce. La précaution de chacun pour offrir à l’autre le son le plus expressif cisèle les mélodies.

Peut-être que ces danses bretonnes d’ « entre les terres » sont des exutoires à la mort ou qu’elles la célèbrent joyeusement. Bonne idée. La conjurer l’instant du rythme, de l’énergie… Se rebeller, accélérer, lui tourner le dos, lui faire face ? Les musiciens lui ont préféré la folie bien harmonieuse de leurs instruments : fausse cacophonie, désordre habile pour se retrouver dans les pas d’une danse légère, si peu macabre. Allez savoir.

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Nous reviendrons, Jazz à Trois Palis. Nécessaire, la musique ? Bien plus ! Un concentré d’ontologie.

Juste, le bonheur c’est fragile, et puis dans un monde qui  aspire  les êtres humains aujourd’hui plus que jamais,  on n’ose plus prononcer ce mot. Pourtant, musiciens, nous sommes parti(e)s avec, accrochée à l’âme, de la joie.

Anne Maurellet, photos Alain Pelletier

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