14 SEPTEMBRE 2024

Hélène Bass, violoncelle solo

11h – Eglise de Trois-Palis

Hélène Bass, violoncelle solo

Hélène commence par le souffle du violoncelle, son esprit. Elle nous a fait tous saluer/toucher l’instrument avant de commencer, elle défend l’aléatoire, avec ses feuilles colorées et thématiques aux titres évocateurs (petite cascade, catharsis, conjugaison, etc.) « Pas d’applaudissement. Prenez la mesure de l’église. »

Silence, étouffement, précipitation, l’archet provoque les cordes, donne-nous ton son, semble demander Hélène Bass. Une mélodie apparaît en filigrane, du fond de l’ombre, sinueuse, des notes fébriles. Silence.  La musique continue de commencer. Affiner l’oreille. Se réconcilier avec l’impalpable, le presque pas mais déjà là. Alors un morceau s’en extrait. Un morceau classique, Bach exploité  pour en entendre les échos, la mélodie, la construction mais aussi la fragilité. Aléatoire, comme la vie. Silence. Hélène fait renaître la splendeur des compositions, leur sève. Les  époques ne font qu’une, gravité et légèreté du violoncelle. L’église est attentive, elle aussi… Des musiques plus ancestrales apparaissent aussitôt enlevées par un essaim bourdonnant. Comment jouer différemment avec/de son violoncelle. Hélène sifflote, complice du public qui suit. Nous sommes de petits oiseaux. Elle chuinte un instant puis tapant sur son instrument entame une danse à percussions… Apparemment aléatoire. C’est une sorcière, et nous en avons besoin : sortilèges et enchantements sortent de sa bouche. Elle s’attache à la perception des autres et de la musique dans divers états comme lien crucial, fil d’Ariane.

Passons à un morceau qu’elle jouera pour une personne si celle-ci le désire. Une femme lève la main. Le solo lui est donc dédié. C’est une offrande. Hélène se nourrit de l’instant, le célèbre.

Puis elle part au fond de l’église à la croisée du transept, devant le choeur… Elle écoute imperceptiblement les variations de son violoncelle pour les déplacer doucement, infinitésimalement.

De retour, Hélène chante en jouant un morceau d’Anthony Braxton comme une ritournelle. Elle s’imprègne des musiques pour en faire une ronde autour du monde, incassable, uniquement déplaçable, tantôt ludique, tantôt sombre, Les deux à la fois aussi ! Sacrée sensibilité !

Nous l’accompagnons vers le dehors, comme elle le propose, mais quel dehors ? Pour une danse d’automne. Elle nous demande soudain de rester immobiles. Même pas cap. Le jeu, le jeu.

François Raulin, Richard Bonnet. « Misterioso »

20h30 – Foyer communal – Misterioso

François Raulin, piano

Richard Bonnet, guitare

C’est parti pour dérailler, une musique de l’insolite, aux accords décousus, un récit par bribes, une continuité en lambeaux, à la recherche du swing qui arrive à la surface, lentement. D’une dissonance volontaire, piano et guitare s’harmonisent peu à peu, désireux de cette attente riche  dénicheuse d’harmoniques saisies par chacun d’eux pour alpaguer l’autre, un boogie déjanté prend forme, Monstre, aussitôt délaissé, repris…

Touches en borborygmes…on en dirait le piano préparé, même traitement à la guitare dont les frôlements métallisés grouillent. La conversation entre les deux se précise.

Démarrage jarrethien pour François Raulin, une ballade en formation à laquelle le guitariste s’accorde, en Réflexion.

La volonté de démonter Monk pour le recoudre est bien présente, miroir, parfois kaléidoscope, fragments pour retisser l’ouvrage, pénétrer le génie, le titiller, le submerger parfois un instant comme rassuré, autant de constructions créatives de l’arrangeur François Raulin. Ici, sa composition aborde toutes ces tentatives, fructueuses. La guitare de Richard Bonnet ponctue, double, agrémente, provoque aussi des rebonds du piano. Les thèmes entêtants surgissent, ils les excèdent pour en extraire la substantifique moelle, Too much monkistes !

En mémoire d’une rétrospective des films d’Ozu, François Raulin a écrit une traversée musicale, sensible au personnages pittoresques de Mister Ozu, il y glisse à nouveau Monk, histoire de traquer le mystère de la création. Richard Bonnet exploite incessamment les ressorts de sa guitare, lui fait révéler les thèmes magnifiquement obsédants qui se reflètent dans les facettes déployées. Monk chatoie !…

Hacher ses chorus, c’est attaquer la montagne, l’édifice, par les côtés, soucieux de pénétrer l’inventivité du grand musicien, à petites touches s’il le faut. Evidence.

Les arrangements de François Raulin sont aussi fous que possibles, tournant sans relâche autour de la singularité de Monk. Plus le musicien défait, plus il recompose, divise, démultiplie, largement suivi par son acolyte. Tous deux, pour Four in one, s’attardent, s’écoutent, se devancent, se relayent, partageant ainsi leur fascination.

Le guitariste chatouille ses cordes, les grignote, puis appelle un nouveau thème monkien, Ask me now par le piano pour le saisir à nouveau au vol. Ce jeu de passe-passe suggère aussi l’élégance de Monk.

D’arrangement en dérangement, François Raulin fabrique un Little petit rôti bien ficelé. Il mêle les grands thèmes de Monk…pour que ses ingrédients se dénoncent ? Les investigations prolifèrent en tous cas.

Sophia Domancich, Simon Goubert. « Twofold Heads »

22h – Twofold Heads

Sophia Domancich, piano

Simon Goubert, batterie

Bruissement de cymbales, quelques accords et notes au piano, une main gauche lancinante et répétitive, nous sommes sûrement partis pour une aventure, les balais qui glissent sur la caisse claire assure le tempo.

Les perceptions sont fines. Le jazz contemporain prend l’espace à témoin, le temps est fracturé, la musique attaque le tempo, dissocie le swing, la logorrhée des notes est un pamphlet à l’encontre du monde tel qu’il est. Sophie Demancich emplit le piano mais peut tout au contraire l’aborder par accords presque juxtaposés comme si l’un corrigeait l’autre, le confrontait, mais par là même l’annulait. La batterie gronde complice, tout aussi nerveuse, la précipitation du quotidien ou les ténèbres du fantastique. Les silences sont des ruptures violentes. La batterie de Simon Goubert possède un langage véloce et subtile à la fois. Le musicien entre imperceptiblement en résonance avec la pianiste. Sa batterie tambourine, rebondit, frémit, crisse un instant rayée par le rez de lumière d’une tige métallique sur une des cymbales.

Pour Organum (V ?), Simon Goubert prend la main et quelle main… roulement swingué, le jeu de Sophia construit  pendant ce temps une étrangeté des choses, une mélodie avortée. Par quelques cliquetis, sur sa caisse claire, le batteur lui confie le singulier. Des coups de semonce à l’unisson suivent.

Ils se connaissent parfaitement musicalement, et la conjugaison des deux sans ombre… les traductions sont simultanées et ça rend l’instant magique.  Il s’agit bien de ça, il suffit d’écouter « Merlin » Goubert. Parler de précision n’y suffirait pas…maestria.

A nouveau, un Organum,on pense à divers états de la lumière, quand les heures défilent dans une journée. Le temps s’écoule dans les doigts de Sophia pendant que les paillettes dorées éclatent délicatement de la batterie de Simon ? Dramatisation de la permanence et déplacement. La batterie jubile savourant les arpèges continus de la pianiste.

Accord parfait !

Avec Twofold sense, la montée progressive, lente et chargée d’images ou d’émotion, de sensations du piano rencontre les frémissements de la batterie. Morceau suspendu jusqu’au-dessus de nous, dans les airs, une légère brume matinale, interrogation comprise, serait toute indiquée…

Par Anne Maurellet, photos Alain Pelletier (tamkka)

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