33e festival d’altitude à Luz-Saint-Sauveur
jeudi 11/07/2024
Bosc
Lisà Langlois-Garrigue, chant, ttun-ttun
Noëllie Nioulou, violon, viole de gambe
Marthe Tourret, violons, chant
Elisa Trebouville, banjo, requinto, fifres, chant
Mathilde Spini, cabrette, boha, chant
Anaëlle Marsollier, technique
Repartir des territoires, c’est prendre une origine, du spécifique, et l’ouvrir à l’universel, capacité de la musique qui surgit, généreuse, des instruments (ttun-ttun,violons, banjo, etc.) du Massif Central, et même du Quercy, la tradition fait entendre sa voix et c’est pour mieux la sublimer, la faire actuelle. De la sève débordante jaillissent les sons profonds des instruments poussés dans leur excès, leurs puissances. les violons s’exaspèrent, le ttun-ttun bat la cadence d’une procession aux allures mystiques. Les dissonances recherchées de la cabrette de Mathilde Spini appellent les voix à déployer un chant incantatoire auquel s’ajoutent les cordes -violon de Marthe Tourret et viole de gambe de Noëllie Nioulou-, une seule note pour une harmonie à cinq… C’est envoûtant sans aucun doute, une lenteur solennelle, on voudrait regarder l’horizon ainsi, les légers frémissements n’affleurent que pour supprimer toutes velléités, juste l’intensité du son qui pénètre nos êtres. Et qu’il ne reste que l’humanité des chants.
Le patois renaît, ses caractéristiques valorisées par le violon toutefois perturbateur, les roulements de reprennent leur épaisseur, le Ttun-Ttun de Lisà Langlois-Garrigue scande l’espoir, témoin des revendications. Les instruments racontent aussi les aventures d’une fermière qui ruse malicieusement pour rétablir l’égalité des conditions, et même dépasser la mort ; ils crient parfois pour traduire les injustices. Contes, complaintes des siècles passés toujours d’actualité…
Il n’y a qu’à se laisser guider par les grelots, la vivacité tonique des instruments ne laisse pas de place à la résiliation, ou alors ils pleurent comme le requinto d’Elisa Trebouville par commisération
Mais l’humeur est à la fête, au bal exutoire des sensibilités blessées, sublimation du désespoir. Les tragédies traversent les siècles, la musique, le chant les éclairent.
Beau démarrage à JazzàLuz 2024 !
Ravage
Anthony Laguerre, batterie, électronique
Bastien Pelenc, violon amplifié
Mathieu Werchowski, violon amplifié
Un seul accord des deux violons, tout paraît calme et puis ça déraille juste un peu comme le signal d’une route à prendre ailleurs, tout près mais déjà autre, que la folie est possible à un tressaillement répétitif, maladif. La batterie sage pour le moment marque l’accélération discrète. L’amplification fait son ouvrage, ça commence à cracher, par vagues, la batterie explose. Hirsutes, ils sont hirsutes, l’insolence de l’obstination, les deux violons se répondent, s’accordent, c’est le feu ! Eclats de lumière, jets de sons continus, si votre tête éclate, c’est normal, c’est fait pour. Et le pire, c’est que c’est harmonieux.
C’est une musique répétitive qui tient son originalité des dérapages progressifs, inégaux, et curieusement elle a quelque chose de lyrique ! Des paysages défilent, peut-être sont-ils artificiels, remplis de brume rouge comme l’éclairage de la scène, construits en même temps par une mécanique de métronome, mais les échappées dessinent le relief. La batterie pulse, garante de cette horloge d’un temps robotique et fascinant. La transe s’installe et des mondes imaginaires, intergalactiques apparaissent. Alors si ça matche, vous étendez les bras et c’est parti pour l’envol.
Bastien Pelenc scie son violon, -il n’y a pas de transport sans détachement douloureux-, sauf si l’on l’accepte un enfer à la Bosch, des hystéries naissantes.
Puis ils nous font apparemment descendre sur Terre pour une danse tribale appuyée par les coups de boutoir de la caisse claire. Mathieu Werchowski entame sa sérénade saccadée, Bastien Pelenc le rejoint par une note infinie mais sinueuse. Vous regardez quand même le ciel où sillonnent des nuées d’oiseaux noirs un peu menaçants, maléfiques. Le cœur bat à 200 à l’heure, enserré malgré tout dans une atmosphère ouateuse. Anthony Laguerre raye ses cymbales, l’encéphalogramme s’aplatit, mort imminente.
Pourtant la batterie lance de délicats soubresauts, Mathieu Werchowski griffe lentement les cordes de son violon, torpeur, salle de réveil ? Les deux violons s’étirent avec langueur. L’amplification ajoute une nouvelle noblesse au violon… parfois cela l’empèse pour lui restituer sa gravité, parfois cela l’étend, et les trois créent par-dessus un morceau à la dissonance mélodieuse, aux effractions forcenées, aux grattements psychédéliques. La terre s’entrouve, le magma nous attire immédiatement. Chute vertigineuse et consentie…dans ses entrailles. Ça doit être ça… indéfiniment.
Premier concert du soir catapulte.
Facteur sauvage (augmenté)
Aymeric Avice, trompette
Aymeric Descharrières, saxophone baryton
Laurent Paris, batterie préparée
Matthieu Sourriseau, guitare basse
Daniel Webser Scalliet, voix
« Entre dans cette nuit sans avoir peur » : les ondulations de mots de Daniel Webser Scalliet, c’est la joie en lui qui s’étend sur son bras tagué… Langue anglaise puis française, pour l’approche, « Approche » répète-t-il, ne crains pas notre liberté, partageons cet univers de guitare rockeuse, de batterie déjantée. La trompette et le sax baryton badigeonnent l’espace, la voix de Daniel se faufile entre les publics et les musiciens. Un rien de transe, pulsions douces, sourdes, cavalcade légère, faut juste attraper ce petit galop, une féérie musicale, un monde décalé mais intime… Une poésie foutraque, une folie douce. Ça a une sacrée gueule d’humanité. Freaks musical, galerie de portraits comme ceux de ses tatouages, de personnes déplacées, d’histoires du commun, sorties de l’ordinaire, les chansons facilitent la participation du public, debout. « Approche » ! La batterie de Laurent Paris et la guitare de Matthieu Sourriseau roulent. On pénètre dans une jungle musicale, à la nature généreuse, exubérante, au délicieux chaos et à la sensibilité à fleur d’oreille, en mariage et divorce constant. Daniel abandonne parfois son micro pour que sa voix se perde dans les méandres de la vie à moins que ce soit dans les plis de son kilt noir. Les cuivres fanfaronnent, ça rocke, ça tangue, ça libère.
Les chansons d’exaspération sont des révoltes et des jubilations mélangées. La guitare de Matthieu Sourriseau et le sax d’Aymeric Descharrières entament une joute ludique. La brillante trompette même bouchée d’Aymeric chante avec Daniel au milieu du public affamé d’amour, caressant l’un, approuvant l’autre, constituant une communauté.
Ils s’amusent aussi sur scène encouragés par une guitare survoltée.
Vendredi 12 – 11h
Audrey Chen, Philippe Eden et Joaquin Ortega
Audrey Chen, voix
Philippe Eden, synthétiseur, électronique
oaquin Ortega, guitare, électronique
Audrey Chen, la voix en goulot d’étranglement accueille eau, air, aspiration, rire étouffé, croassements… La puissance du jeu électronique de Philippe Eden la dénature, du plus minéral au plus électrique. Et que dire de la guitare de Joaquin Ortega, voleuse de temps, d’espace, tour à tour électrodes branchées dans le néant, vidange de tuyaux, vents lunaires… Instabilité du présent, sa diffraction, son inquiétude, angoisse. La bouche d’Audrey devient un immense trou noir absorbeur et recracheur de sons synthétiques.
De la place pour l’humain ? robotisé, juste un langage en bribes d’expression. La voix se fait douce, un murmure quand elle redonne vie avant son absorption. Roucoulements de moteur, borborygmes kidnappés.
Un passage nô, paysage mental qui s’immisce dans la proposition. Joachim sature les sons de sa guitare transformée alternativement en déflagration progressive, et en implosion. Philippe appuie, prolonge, découpe, hache, dilue…
Des oiseaux métalliques strient le ciel, des nuées oppressantes !
Et toujours le retour d’une voix désespérément tendre, du fond des temps. Joachim Ortega tapote, griffe, irise sa guitare. Philippe Eden accompagne, interfère, perturbateur infatigable des fréquences sonores. Jusqu’à la suffocation puis l’apaisement. La sérénité enfin trouvée.
Hanne de Backer solo
clarinette basse, saxophone baryton
Part one
Hanne de Backer souffle et aspire son air pour que le sax baryton absorbe et rejette le long de la paroi ses poumons puis elle caquette, machine en route avant qu’une note ne s’en extraie. Halètements et souffle circulaire alternent, le son se déploie par strates fines. S’y double une voix gémissante, un cor désabusé de fond des bois surgit en réponse. Le sax se met à gronder, vibrer, puis il ruisselle, d’une eau bouillante sur huis rouillé. Somptueux. Une grille fatiguée se plaint…
Hanne prend une vraie gorgée d’eau, et les sons ricochent, balles anarchiques, bulles folles, sons hérissés !
Le sax chante alors une colère passée, Hanne en libère sa tendresse, son agilité, ses trémolos. Elle extirpe de son souffle un chant/cri, comme accompagnatrice de ce qu’elle prend à son instrument ou pour le prolonger. Alors, ils ne font qu’un. Une logorrhée que les frémissements des doigts sur les touches appellent et du sax naissent de nouvelles variations, l’exploitation de sa puissance et de ses subtilités potentielles. De l’aigu au grave, en expansion. On ne sait plus qui pousse l’autre dans ses extrêmes.
Part two
Entrée d’air minimaliste pour qu’on entende les touches frapper, la clarinette comme un jeu d’enfant sauf qu’un swing s’en dégage peu à peu, bruits de marteau enrobés et au milieu, des notes qui s’envolent, légères. A nouveau, l’instrument prend son relief… Charlot se dandinerait bien… Une mélodie se construit, s’élève, sinueuse, puis chantante, éraillée par intermittence. On découvre grâce à Hanne de Backer la beauté de ses instruments-là. Retour au sax qui se prend à nouveau pour un cor essoufflé, encouragé par une clochette qui tintinnabule ou glisse savamment le long des touches, les lèvres sont pincées pour se fondre avec l’hanche du sax dont elle a bien sûr enlevé le bec. Ce dernier réinstallé, le sax se déploie, fier, ample du plus agacé au plus ourlé. Sons démultipliés jusqu’à leur hystérie, gammes incessantes, exigence de l’artiste qui cherche toutes les possibilités de l’instrument, et sa complexité. Sifflements aigus d’insectes fous, vents lourds, et lent, respiration et presque mort.
On peut dire superbe ? Superbe !
Milesdavis-quintetorchestra !
Christine Abdelnour, saxophone
Xavier Camarasa, piano
Ronan Courty, contrebasse
Sylvain Darrifourcq, batterie
Emilie Skrijrlj, accordéon
Michael Thiecke, clarinette
Il faut entrer dans cette pièce intime à pas feutrés. Chacun joue a minima, Christine Abdelnour chasse le son, le piano préparé de Xavier Camarasa éteint la note, la clarinette de Michael Thiecke frémit à peine, l’accordéon d’Emilie Skrijrlj tressaute légèrement, la contrebasse de Ronan Courty tapote, la batterie se contient, alors la moindre variation attache l’oreille, on perçoit les sons différemment, on s’adapte à cette faible fréquence et, curieusement la perception grandit, s’étale en soi, envahit lentement mais totalement l’univers intérieur. Le sax hulule maintenant, la clarinette scie doucement un morceau de bois. C’est sûrement la nuit, une nuit. La clarinette chasse l’air comme une ventilation paresseuse, l’accordéon ventile, le pianiste gratte ses cordes, les sens s’éveillent.
La batterie de Sylvain Darrifourcq entame une danse guerrière, chaque instrument trouve son agitation, ténue mais dorénavant volontaire. Un Pic vert sort des aigus du piano, le bois de la contrebasse suinte, clarinette et sax partagent des chants d’oiseaux, un pouls grossit malgré le glas de la grosse caisse, les fines baguettes de Sylvain se mettent à battre la chamade. Émilie gratte les touches de son accordéon. Les instruments sont au service d’une cosmologie, milieu organique raffiné, le grouillement d’un monde juste sous la terre et un peu au-dessus, crissements, crépitements, toujours l’horloge d’un temps en fond, et puis tout s’emballe, se mêle, les sons se mêlent, s’emmêlent, fréquence haute, accélération des émotions, avancée inéluctable, exaspération répétitive de chaque instrument…
Faut bien que ça s’enraye, que ça breloque, que ça s’épuise, que ça se retire. Les aiguilles bruyantes d’une horloge ralentissent, les instruments soubresautent délicatement, la nuit totale arrive , peut-être. Les instruments tremblent, s’endorment. Deux petites billes sonores sur la caisse claire appellent le bruissement du sax. La clarinette expire, tous frémissent encore. Seule une note affleure, régulière, celle du sax et de la contrebasse pendant que l’accordéon irrite la mécanique.
Par Anne Maurellet, photos Alain Pelletier (tamkka)
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