vendredi 5 juillet 2024
Les 24 heures du swing de Monségur se déclinent depuis de nombreuses années sur 3 jours.
La 34ème édition de ce rendez-vous musical et festif s’est tenue du 05 au 07 juillet 2024 dans cette belle bastide du sud gironde qui vibre musicalement toute l’année au son des classes de jazz du collège Éléonore de Provence.
Une fois encore, la programmation a tenu toutes ses promesses. Philippe Vigier, le directeur artistique a su mettre en lumière diverses sensibilités qui traversent le jazz tels le funk, le swing, le hip hop en conviant de jeunes talents tout en célébrant des gloires passées grâce auxquelles le jazz ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui.
En contrepoint des 9 concerts programmés sur la sublime place des tilleuls, le swing a été mis à l’honneur en accueillant des champions et des amateurs de Boogie-woogie sur la scène de la halle. Ils ont pu exprimer leur talent sous la direction des excellents « Jean Pierre Bertrand quartet » et Hot swing sextet »
De nombreuses formations musicales ont animé le « off » du festival. On peut citer le Oyster’s Dissident Brass Band composé de 6 musiciens bordelais qui a régalé les festivaliers dimanche midi, autour des Food trucks des Tilleuls, de morceaux issus du répertoire. Pour un peu, on se serait crû à la Nouvelle Orléans avec notamment une interprétation remarquable de Saint James Infirmary. Citons également Le trio Cabane, The Magnetic Boys, Damey trio, A l’ouest de l’Est, Les givrés et tant d’autres qui ont investi la rue Barbe, les terrasses des bars et restaurants de la ville. Les jeunes pousses du collège qui seront les talents de demain n’ont pas été en reste et se sont produits sous la halle samedi après-midi. Un spectacle de fin d’année où ont résonné les grands standards du jazz.
Par ailleurs, quelle bonne idée que ce chemin parallèle qui a permis aux festivaliers de découvrir le travail d’artistes sculpteurs, photographes, plasticiens, peintres et poètes dont les œuvres ont enchanté la rue des patriotes.
Écouter, regarder, lire, penser : Un festival placé sous le signe de l’art.
https://www.swing-monsegur.com/expositions-et-performances/?et_blog
https://www.swing-monsegur.com/les-24-heures-du-swing-2024/
La première soirée a vu se succéder sur la place des tilleuls 3 formations.
Îluje quintet
Îluje a ouvert les festivités. Ce jeune quintet a reçu le prix de la Note Bleue au Tremplin Jazz 2024, organisé chaque année par Action Jazz. L’objectif du Tremplin est de valoriser de nouveaux talents en les faisant jouer dans des conditions scéniques professionnelles au Rocher de Palmer. La chanteuse, Juliette Delas, compositrice de tous les morceaux, y a reçu un prix spécial pour sa créativité vocale.
Autour d’elle ce soir, des musiciens très présents sur la scène jazz avec Vincent Le Bras au piano, Antoine Ferris à la contrebasse, Pablo Giusiano à la batterie et Pierre Thiot au saxophone ténor. Il remplace au pied levé Jérémie Lucchese.
Devant un public malheureusement clairsemé en début de soirée pour cause d’Euro de foot, le jeune groupe a interprété son répertoire durant une heure.
Une scène ensoleillée, un mur de pierre tapissé de lierre : les conditions étaient réunies pour se plonger dans un univers aux textes mélancoliques qui tranchent avec la fraicheur de l’interprétation de la chanteuse. Elle s’essaie avec bonheur au scat, sa voix se confond parfois avec les instruments et ses questions/réponses avec le saxophone ténor notamment sont très réussies et témoignent d’une belle technique vocale. Indéniablement influencée par de grandes figures tutélaires comme Nina Simone ou Brigitte Fontaine, Juliette Delas incarne ses chansons en s’impliquant pleinement dans chaque histoire. Sa gestuelle témoigne de son engagement au service d’une créativité qui évoque le mal être comme dans « j’écoute la machine à laver ». Sur ce morceau, la chaleur du son du saxophone offre un contrepoint au désenchantement qui perce. Toutes ses compositions sont servies par la grande qualité des musiciens : Vincent Le Bras et Pierre Thiot nous ont gratifiés d’excellents chorus tandis que Antoine Ferrris et Pablo Giusiano tenaient solidement la charpente rythmique.
Quelques titres joués ce soir : Parasite, Baisse de tension, La suite du doute, Mes pensées fleuriront demain, Joli fantôme.
Une formation à suivre !
Dans le cadre du partenariat qu’Action Jazz a noué avec le Crédit mutuel du Sud-ouest et Studio du Bassin, Îluje a pu enregistrer La suite du doute.
Éric Séva et Michael Robinson nous ont ensuite présenté leur projet Frères de song.
Depuis une première collaboration en 2017, les deux hommes ont tissé des liens artistiques, fraternels voire filiaux. L’envie de créer ensemble les a conduits à ce bel album où Éric Séva a composé la musique en invitant le chanteur américain Michael Robinson à écrire les chansons. Depuis 30 ans, le saxophoniste est toujours à la recherche d’une identité sonore inclassable, ses pérégrinations lui ont permis de jouer avec des artistes magnifiques aux univers contrastés : Didier Lockwood, Jean Michel Jarre, Maxime le Forestier, Chris Réa, Thomas Fersen…
Artiste prolifique se nourrissant de la richesse de ses rencontres, il sait s’entourer de musiciens exceptionnels. Sur scène, nous avons retrouvé ceux qui sont au cœur du 8ième album d’Éric Séva : lui-même aux saxophones baryton et soprano, Michael Robinson au chant, Daniel Zimmermann au trombone, Christophe Cravéro au Fender Rhodes et claviers, Julie Saury à la batterie. Frères de Song est le fruit d’un pari artistique osé comme les aime Éric Séva. Il nous invite à déguster une musique métissée gorgée de groove, de R&B, de Soul, de pop, de jazz afro-américain. Il réussit le mariage audacieux du baryton et du trombone, deux instruments puissants qui ici, sont en parfaite osmose.
Servi par des musiciens hors pair, le propos est sérieux et politique. En humaniste, il réfléchit à notre avenir commun et prône la solidarité. Le répertoire questionne notre avenir, sur Bivouac intérieur, la légèreté du soprano alliée au jeu ferme et sensible de Julie Saury offre un contraste saisissant à la thématique anxiogène.
Canopée sous les étoiles est un morceau magnifique, aérien et poétique qui sied parfaitement au timbre perché de Michael Robinson et au jeu subtil des « soufflants » et de Julie Saury aux balais. Les titres s’enchainent, toujours créatifs et étonnants, ponctués par les prises de paroles engagées d’Éric Séva. Nous sommes subjugués par son jeu au saxophone baryton, il en joue comme personne, en soliste au phrasé volubile. Il habille de sa gravité le magnifique Stiykist (résistance en ukrainien.) : les joutes musicales se succèdent, les instruments se libèrent et trombone et piano rivalisent de chorus superbes. Le concert s’est conclu sur une note plus légère débordante de groove avec Time and space.
Un grand merci pour ce moment de partage et de fraternité.
Pour conclure cette première soirée, un dernier cadeau :
Camille Bertault quintet.
Camille Bertault a en commun avec Éric Séva de toujours bousculer les codes, à la recherche de nouveauté et d’authenticité. Auteure de textes ciselés et brillants, elle compose également. Son talent a été salué par le prix d’artiste vocale 2023 aux Victoires de la musique.
Bonjour mon amour est son 5ième album. C’est la colonne vertébrale de son spectacle, car il s’agit bien d’un spectacle, un mariage réussi de chansons, de danse, de poésie, de jazz. Elle parvient à réconcilier des textes écrits en français avec le jazz et l’improvisation. Toute de noire vêtue, une redingote l’inscrivant hors du temps, Camille Bertault avec sa silhouette élégante et longiligne s’impose d’emblée par sa présence charismatique. Elle a formé un quintet cosmopolite avec des musiciens qui offrent un écrin exceptionnel à sa voix et à ses textes. A la contrebasse, Christophe Minck, au piano Fady Farah, aux percussions Minino Garay et à la trompette Julien Alour. Le décor est planté, écoutons et regardons l’artiste. Elle est gracile et gracieuse mais aussi puissante et spontanée.
Nous comprenons rapidement que sa voix est un instrument unique et inqualifiable qui lui permet de chanter, de scatter et de converser avec les instruments. Nous avons un aperçu de sa belle tessiture nuancée toute à la fois grave et chaleureuse sur Un grain de sable, empreint d’influences latines où elle s’abandonne à une danse. Sur Bizarre, elle démontre sa capacité à changer de rythme et à modifier la couleur de sa voix. Sur une composition de Julien Alour, elle parvient à imiter le saxophone dans une joute avec la trompette. Sur Has been, Camille Bertault démontre sa capacité à chanter très rapidement. Et sur Nouvelle York elle imite de manière sidérante le son des sirènes ambulances new-yorkaises avant de laisser Julien Alour déployer tout son talent. Époustouflant ! Elle nous a ébloui tout au long du concert par la qualité de son scat et de son phrasé rapide, net et clair.
Et que dire de la richesse de ses textes ? Ses références sont multiples et penchent vers Gainsbourg, Nougaro ou encore Boris Vian. Mais son écriture singulière se nourrit de son époque et de ses expériences. Elle pose sa voix sur des textes originaux bien construits, qui dénoncent tout à la fois le harcèlement scolaire avec Voir la mer, une relation toxique avec Bonjour mon amour, l’addiction aux réseaux sociaux avec Acrécran, le confinement avec Conne, Finement.
Elle sait également incarner ceux qui lui sont chers et a produit des miaulements superbes sur Jo.
Quant à ses musiciens, ils servent son talent atypique par la qualité de leur interprétation.
Très présents, on sent qu’une grande complicité les unit à Camille Bertault. Elle les met en valeur, ils s’amusent, tous les quatre proposent des chorus brillants, la puissance de la trompette le disputant aux arpèges déliés de Fady Farah.
Quant à Minino Garay, il a eu le dernier mot sur le rappel : le batteur argentin a débordé de fantaisie sur un morceau brésilien avec Cajon, congas et maracas !
Le public de Monségur a eu un vrai coup de cœur pour cette formation.
Christine Moreau, photos Philippe Marzat
Galerie photos par Philippe Marzat
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