33e festival d’altitude à Luz-Saint-Sauveur
Samedi 13 juillet
La Taula
Romain Baudoin, vielle à roue
Christine Abdelnour, saxophone
Gaspar Klaus, violoncelle
Une table ronde de vigneron pour être à égale distance, une chaise laissée vide pour celui qui n’aurait pas de place dans sa vie, au centre un candélabre avec huit bougies que les musiciens allument s’ils ont « quelque chose à dire »… nous sommes en cercle autour d’eux ce qui renforce l’intimité de la relative pénombre de l’espace contemporain le Hang-Art. Violoncelle et sax entrent discrètement dans leur ronde, suivis par la vielle à roue de Romain Baudoin. Des sons sobres, mesurés débutent cette confidentialité. Les frôlements, chuintements s’insinuent dans la salle, susurrements des instruments prêts à dévoiler leur intériorité ou la nôtre. Les musiciens décomposent infinitésimalement le temps amorçant un léger tempo. Ils tissent alors un fil, des liens entre eux, une communauté : la chaise vide peut accueillir qui veut… Un chant sorti des instruments s’élève, une femme s’est assise et donne sa voix au groupe. Echanges de sensation. Partage. La création comme modèle politique ? Clochettes et petits bruits. Un nouveau désirant avec quelques mots de son quotidien immédiat raconte tout de même une histoire offerte aux autres. Le sax de Christine Abdelnour rejoint la plainte ancestrale, sinueuse de la vielle à roue, petites randonnées dans les chemins de montagne, un sentier lyrique. Le sax ondule à courbes inégales emportant la vielle avec elle.
Ils reviennent ou presque pas, comme une respiration nécessaire, engageant une méditation. Suivent des réveils sporadiques, des alertes du sax, des grondements rouillés de la vielle, des sifflements lointains qui s’éloignent… La vibration de la vielle crée des ondes, le violoncelle rôde. Ils s’accordent tous trois sur une montée progressive des tensions jusqu’à leur acmé. Labeur des sons, joie collective. La lumière des bougies vacillantes rappelle l’éphémère.
Un homme s’assoit et dit : « il faut reboiser l’âme humaine ». Il récite la lettre ouverte de Julos Beaucarne écrite la nuit où sa femme a été assassinée « je pense de toutes mes forces qu’il faut s’aimer à tort et à travers »… La vielle lui répond quelques glissements de tendresse et d’émotion. Nous n’en sommes pas loin non plus !
Une litanie des trois émerge. Si les temps sont menaçants, il faut trouver des réponses communes. Sifflement d’alerte du sax, cloche pour le réveil et l’apaisement suit, étiré. Un espoir ?
Quelle expérience ! émotive et sensorielle…
Keep The bastards Honest
Yann Joussein, batterie, électronique
Synthé et sampler pour la transe, ça c’est fait et pendant le feu d’artifice sauvage, débridé, l’emballement est l’expression d’une liberté, d’une explosion. Toujours le balancement pour rester perché comme base, fond d’envoûtement, et les baguettes de Yann Joussein voltigent pour une danse tribale aux fascinations vaudous. Pas de limites aux accélérations bien au contraire, le tempo au corps libère tous les blocages et vous n’êtes plus face au musicien qu’un objet de désir à vous-même ou mieux à l’oubli de vous-même, envahi par les flashs de sons, kaléidoscopes lumineux en constant mouvement.
Des interférences électroniques pour atteindre durablement le cerveau, pas besoin d’électrodes, Yann Joussein espère une fraction de seconde ce que l’électronique remodelée par ses soins va lui amener à fabriquer avec sa batterie. C’est un manège infernal exorciste. Des chocs sonores rebondissent, amplifiés, dupliqués, le batteur y trouve une piste où se frayer, où faire rebondir sa batterie. Peut-être cela provoque-t-il en lui des impulsions électriques productives pour son jeu, pour sa voix soudaine, d’outre-tombe, ensorcelante comme on voudra.
The philosopher
Hanne de Backer, sax baryton, clarinette basse
Audrey Chen, voix, électronique
Luc Ex, basse acoustique, samples
Emilie Skrijelj, platine vinyle, objets
Raphaël Vanoli, guitare, électronique
Luc Ex présente chaque énoncé philosophique avec un carton numéroté au devant de la scène qu’il change au fur et à mesure du concert, un flyer posé sur nos chaises nous indique les titres et les citations.
1- Aucune machine ne nous a jamais fait travailler moins. Les machines qui permettent d’économiser de la main-d’oeuvre nous ont seulement fait travailler davantage.
Le brouillard ressemble à une purée de pois, les instruments vocifèrent, se tourmentent, alertent, ça sent la révolte à pleins souffles grimaçants. La guitare basse acoustique de Luc Ex maintient le groove, la voix aspire.
2- Quelle est la taille de votre empreinte carbone ?
Où il est question de responsabilité individuelle. On se comporte comment ? C’est encore un signal. Un chaos à venir proche… La voie d’Audrey Chen électronifiée absorbe et rejette les courants déments, une nature furieuse rejointe par tous cinq pour le cataclysme. On en fait quoi ? On fait quoi ? La clarinette en circulaire transporte les flux, Emilie Skrijelj déforme les vinyles, les détourne, les griffe. La guitare de Raphaël Vanoli crisse. Le chaos climatique, c’est sûr.
3- Un oiseau ne chante pas parce qu’il a une réponse, il chante parce qu’il a une chanson. (Maya Angelou)
Peut-être qu’il s’agit de création, de ce que l’on peut avoir dans le ventre et ça passe par un déchirement fou de chacun, des possibilités de chaque instrument d’abord. Ensuite un silence et puis des suffocations, des étouffements, les essoufflements comme en témoigne le sax de Hanne de Backer.
4- Lorsque les missionnaires sont arrivés en Afrique, ils avaient la Bible et nous avions la terre.
Ils ont dit : « prions ». Nous avons fermé les yeux. Lorsque nous les avons ouverts, nous avions la Bible et ils avaient la terre – (Desmond Tutu)
C’est la question de l’exploitation, de l’abus de confiance, du christianisme ravageur de peuples, de contrées. Il y a une terre, des autochtones attachés à leur humus, et la colonisation brutale, destructrice. Une désolation, comme le sax de Hanne le raconte, la dilution des coutumes, la fragmentation des êtres dans la guitare basse de Luc Ex. La douleur de la désapprobation chez tous, des cris – Hanne, Audrey, Emilie-, avec des déchirements.
5- Le paradoxe de la tolérance.
Ne faut-il pas être intolérant à l’égard de ceux qui sont intolérants ? (Karl Popper)
That is the question. Un paradoxe, ça dodeline ligne, ça et son contraire, alors ils balancent, à question folle, musique folle. Oui ? Non ? Si je suis intolérant, je deviens comme eux, et si je tolère, ils persistent. Ça pète la tête. Ça pète la musique. Les instruments s’affolent, balancent, se balancent. Pulsion angoissante pour réponse insatisfaisante. Pas de place à la paix. Irritabilité. Agir : comment ?
6- Pourquoi (p***** de merde), pensez-vous que le niveau de la mer continue à monter ?
L’enjeu de l’inaction est trop important
C’est le tourment de The Philosopher, qui est un agitateur d’angoisse, pas pour faire peur, pour repousser l’inaction, le naufrage. Les instruments crient, s’insurgent, manifestent. C’est à la fois une prise de conscience et une colère, une violence comme réveil. La guitare de Luc gratte les consciences, Audrey soulève des insurrections salvatrices, ça ressemble à une urgence !
7- Si les chevaux savaient dessiner, Dieu aurait ressemblé à un cheval.
La religion est un culte créé par l’homme. (François de Waal)
Petit règlement de compte à la religion, l’homme a créé Dieu à son image…Un instant de recueillement pour cette pensée mécréante, les instruments s’alourdissent par le poids de ce postulat ? C’est une remise en question des perspectives existentielles. Et si ?…
8- Sans musique, la vie serait une erreur.
La musique peut montrer un monde où les mots ne suffisent pas. (Friedrich Nietzsche)
Les mots sont nécessaires mais pas suffisants. Comment évoquer la sensibilité, l’émotion, la peur, la douleur : la musique peut. Comment décrire les atermoiements, les bonheurs, les terreurs, les sidérations, écoutez la musique. Votre silence, ici précieux, s’en imprime, s’en nourrit et votre être s’étoffe : des perspectives s’ouvrent, aveuglées parfois par le langage. La musique englobe l’entier des individus et même la propre ignorance de soi. La musique est au-delà. Elle nous traverse et nous grandit, facilite l’attention aux autres. Elle fricote avec l’étrange, le futur, la tendresse, l’amour, la mort… qu’elle nous permet de mieux aborder. Peut-on s’exprimer aussi bien que par le chant désespéré et puissant de ce sax ? ses larmes ?
Peut-on trouver la paix comme il le propose aussi ?
9- La liberté et la libération sont une tâche sans fin.
Le fascisme ne disparaît jamais. (Umberto Eco)
Pour finir, l’humour de The Philosopher et sa revigorante impertinence…
La création libère. Utile ?… Forcenée.
Mocking Dead Bird
Sébastien Baquias, contrebasse
Aymeric Descharrières, saxophone baryton, claviers
Fabien Duscombs, batterie
Daniel Webster Scalliet, voix, guitare
C’est un voyage en Utopie, un rêve doux et joyeux. La contrebasse déliée de Sébastien Baquias donne le tempo tout du long, et le chant de Daniel Webster Scalliet nous emmène ailleurs… ! Et on veut bien y être, c’est pas stable, on se déplace.
C’est reparti pour l’aventure, la batterie de Fabien Duscombs rocke à plaisir, on dirait retrouver la légèreté de l’enfance, -dans les grands traits- une joie pleine, débridée, un road movie en BD. Ça fait du bien, le clavier d’Aymeric Descharrières enlumine la traversée. C’est chantant, dansant, un bonbon acidulé.
Tribalism3
Yann Joussein, batterie, composition
Olivia Scemana, basse
Luca Ventimiglia, synthétiseur, électronique
Le trio est très aérien, fluide. Bien sûr la répétition fait les larrons, mais c’est une course légère, aux myriades de sons, la voix de Yann Joussein pour le fantastique, ou le psychédélique au choix.
Le synthé de Luca Ventimiglia distribue les pulsations, la guitare basse d’Olivia Scemana en extrait un tempo, la batterie de Yann prend le pouls, les morceaux deviennent vite planants. C’est là-haut que ça se passe, légèrement au-dessus des nuages, en apesanteur tout de même. Vous y allez ou pas. Au choix. Si vous choisissez l’ascension, vous y resterez tout du long, la batterie vous bal(l)ade, assez douce même si rebondissante, la guitare basse dans un rôle inhabituel maîtrise le jeu.
Par Anne Maurellet, photos Alain Pelletier (tamkka)
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