Sirocco

CHRISTOPHE MONNIOT : Alto, Sopranino, baryton, electro
HUBERT DUPONT : Basse, Contrebasse
THEO FISCHER : Boite à rythmes, electro 


Nouvel opus pour le contrebassiste toujours sur la brèche pour innover, bousculer, inventer et se réinventer. On connaît assez son foisonnant travail dans la sphère ‘musiques improvisées’ pour qu’il ne soit pas utile de dresser la liste de ses apparitions, qui ressemble à un annuaire ‘jazz actuel’ en ce qu’il inclut la plupart des noms importants dans ce domaine (France et ailleurs…). Pour cette nouvelle expérience, c’est au sax alto Christophe Monniot qu’il a fait appel. On sait moins de ses collaborations avec des musiciens africains, pourtant forts riches entre 2000 et 2013, de l’Egypte au Maroc, Liban, Iran… ce qui situe mieux cette magnifique rencontre avec le danseur d’origine malienne SMAIL KANOUTE pour lequel cette musique a été composée. Et comme, dans sa quête insatiable d’expériences improbables, de rencontres multi-culturelles et de mélanges artistiques, rien ne le freine, c’est un jeune ‘beatmaker’ nourri de rap-jams et de hip-hop qu’il invite à assurer la rythmique sur ce projet.
Faute d’enregistrement vidéo commercialisé (voir le spectacle complet sur ‘ultrabolic’ ou sur ‘youtube’), nous nous contenterons de parler de la partie sonore, et elle se suffit largement à elle-même !
Sirocco. Vent chaud des dunes, né des tempêtes de sable. Il modèle la géographie du désert, l’architecture des monts et des crevasses, et fait de même avec ceux qui l’affrontent, éternels nomades qui croisent au rythmes des turbulences de l’air brûlant et des oasis rafraîchissantes qui balisent leur pérégrinations permanentes. Le vent isole chacun, face à lui-même, les oreilles pleines de chaos, yeux mi clos, narines et bouches closes, démarche mal assurée, à lutter pour garder le cap, au risque de se perdre faute de repère… Le vent réunit tout ce qu’il envahit, uniformise, indifférencie, recouvrant son monde de poussière rosâtre où l’individualisme disparait au profit d’une masse agglomérée comme ‘rose des sable’ i Une masse légère d’air et de matière qui passe entre tous interstices, atteint l’âme et le coeur, fait danser les corps et étourdit la tête. Vent de feu, de folie, de fête ! A l’instar de ce souffle qui parfois franchit les autres éléments, terres et mers, ‘Sirocco’ est aussi un hommage à ceux qui ont pris le risque du courage et de la liberté d’échapper à leur condition, à leur nation, pour se confronter aux chemins sans fin, aux rencontres d’inconnus, au mystère de l’instant.
Son inattendu, inentendu de la basse qui marque le temps comme les pas sur le sable, réguliers et parfois imprévisible comme une bourrasque qui décoiffe, fait sauter une marche, envoie dans le fossé et récupère au détour d’une connivence avec Théo qui empile les rythmes, patiemment, attentivement, à l’écoute de l’avance de la basse et du vent qui passe. Variété de sons et de rythmes sans nom, ou comment amener la boiteàrythmes au niveau des sphères de la pure poésie !
Poête des pouet-pouet harmonieux et singuliers, Christophe se la donne et nous le rend bien ! Comme la lune réfléchissant les rayons du soleil, il se fond dans l’ambiance ‘vent du désert d’Afrique’, avec les modulations que réclame cette musique exotique, faite de quarts de tons et de rythmes irréguliers. Lumière qu’il reflète à la faire sienne et briller de mille étoiles, de mille notes chuchotées en secret, assénées comme coups de soleil, notes distillées, groupées, éparpillées, nature ou modelées, triturées qui naviguent dans le ciel où vacillent les astres qui permettent de garder sens, où il fait bon se perdre aussi parmi des sonorités inhabituelles. Figure lunaire, gestes en apesanteur, écoutilles grandes ouvertes et harmonies intimistes. Mais aussi des troupeaux de notes qui se bousculent et s’enchevêtrent, encore le vent, le temps qui passe et nous dépasse…
Musique à écouter avec des ‘pataugas’ sur les oreilles pour ne pas glisser dans les ornières où la gravité n’existe pas encore (est-ce une raison pour tout prendre à la légère ? Oui !). Vraiment écouter, avec l’envie de découvrir … ce que l’on croyait avoir déjà entendu. Oublier l’avant, le pourquoi du quand, le comment commenter… Écouter avec la passion instantanée d’enfants autour d’un château de sable de toutes les couleurs. Non, le danseur n’a pas disparu, c’est lui qui tourbillonne entre les notes, qui rythme de ses pas et de ses bras  et s’envole et se mêle aux grains de sable qui ne craignent pas le sommeil , ils ont embarqué sur le grand vaisseau du désert et de la mer d’où nous venons tous …
Beau et grand voyage qui s’ouvre à chaque écoute… Profitons-en !

Chez : Ultrabolic
Par : Alain Fleche