Gustave Reichert – Mars

[COUP DE COEUR]

Avec son album « Take Off » (Jazz Family, 2018), Gustave Reichert nous avait déjà embarqués dans un palpitant voyage bien au-dessus de la Terre, l’occasion de découvrir son amour des grands espaces et des images, propices à un onirisme singulier qui nous avait séduit. Tombé tout jeune dans la marmite jazz, puis formé en divers conservatoires et écoles, Aix, Londres, Bordeaux, Centre des Musiques Didier Lockwood, il s’est vite révélé très doué à la guitare, mais aussi volontiers bassiste et batteur à ses heures, ce qui a débridé son imagination grand angle et nourrit son étonnante écriture. Il est en outre très présent en live dans des lieux réputés, notamment à Paris et à Bordeaux, ville où nous n’oublierons pas les passages de son furieux trio jazz funk The Hang (lui à la basse, Simon Chivallon aux claviers et Gaëtan Diaz à la batterie) !

Nous voici donc conviés à un nouvel envol, cette fois-ci vers la planète rouge, Mars, la bien nommée vu la magnifique pochette que l’on devine signée par Balthazar Reichert. Pour ce disque, Gustave Reichert (Guitare, composition, production) s’entoure de ses précieux amis Luca Fattorini (Contrebasse) et Pierre-Alain Tocanier (Batterie), auxquels se joignent les brillants Matt Chalk (Saxophone alto, claviers) et Simon Moullier (Vibraphone). Un quintet « high level » !

Le film de cette expédition s’ouvre par le morceau éponyme, et des notes cristallines de guitare qui dessinent déjà un chemin d’une délicate poésie, le reste de l’équipage survenant en appuyant progressivement le trait de subtils tourbillons, fluidité du vibraphone, souffle ascensionnel du saxophone, et battements rythmiques comme le pouls accéléré de la surprise de la découverte. Voilà une manière originale d’évoquer avec attendrissement cette immense planète, dont les rêves les plus fous nous habitent depuis l’enfance ! Nous la contournons alors, et sommes aspirés par de forts courants ascendants, survolant des dunes vierges, puis bien plus haut encore le gigantesque Mont Olympe. Nous en redescendons, enivrés par une ensorcelante danse du vent.

Des hommages inouïs sont alors rendus à Phobos et Déimos, les deux satellites de Mars, dont les capteurs imaginaires, intacts de présence humaine, aperçoivent peut-être ce petit point qu’est la Terre à une si grande distance, bien trop lointaine pour imaginer les drames qui s’y vivent ! Remarquables pièces, éloges poétiques à la pureté céleste, auxquelles s’associe « The Dark Shape », à la fois délicate et ardente. Qu’elles soient classiques et dépouillées, ou lovées dans des flux électroniques savamment modelés, les parties de guitare de Gustave Reichert sont d’une beauté lumineuse, tant en rythmique qu’en ces chorus passionnés, comme les cris soutenus de sirènes cosmiques. Tels des frères de sons, les autres musiciens sont à chaque instant soudés, et en harmonie naturelle avec les élans du leader, qu’ils accueillent en un écrin mouvant de velours rare, avec une force et un langage qui vont bien au-delà de la simple virtuosité, que les humeurs soient purement new jazz, où innervées d’impulsions rock.

Dernière des huit compositions de l’album, « The Shadow is Near » nous saisit encore plus profondément par son chant, son mood bizarre et vibratile, et par les mots d’Abraham Diallo, troublants de vérité, d’une gravité crépusculaire certes, mais qui laissent des fenêtres entrouvertes à l’espoir, ce que confirme peut-être la question posée par le morceau qui clôt ce très bel album, le magnifique « When Will the Blues Leave ? » d’Ornette Coleman, brûlante reprise que le Maestro du free n’aurait pas reniée, tant elle porte haut l’esprit d’un jazz qui veut « Autre chose !!!! ». Message formé de myriades de météorites émotionnelles, dont nos musiciens cosmonautes portent inlassablement la flamme, en les propulsant dans le cœur de la nuit, avec grâce et sensibilité ! 

Par Dom Imonk

Jazz Family/cdz

https://www.facebook.com/profile.php?id=100006320373145

https://www.facebook.com/Labeljazzfamily