Gazette Bleue Week-End # 17

Bonjour ! Déjà le dix septième numéro de notre Gazette Bleue week-end ! Voici cinq nouvelles chroniques de disques, histoire de vous donner l’envie de passer de beaux moments en musique. Crossing – Digression, Kat Tet – Women, Obradovic – Tixier Duo – Jiggled Juggler, Christine Corvisier Quintet – Chansons de Cologne Vol.2 et Guilherme SilveiraBonnes lectures !

La rédaction.


Crossing – Digression

C’est en octobre 2020 que nous avons découvert le pianiste Xavier Belin et son quartet Pitakpi, lors d’une soirée organisée par l’Association Déluge, à l’Inox de Bordeaux. Un concert révélation, énergique, joyeux et ensoleillé. Des impressions que le disque studio paru en début d’année suivante confirma en tout point.

Mais auparavant, Xavier Belin et le saxophoniste Baptiste Poulin s’étaient connus en 2018 au Pôle Supérieur de Paris Boulogne Billancourt. Tous deux brillants étudiants, ils eurent de sacrés mentors, une complicité fructueuse les a liés, et naturellement poussés à former le duo Crossing. Ils avaient tout d’abord principalement joué des standards de jazz, repris par de célèbres duos tels que Joshua Redman et Brad Mehldau, Lee Konitz et Martial Solal ou encore Stan Getz et Kenny Baron. De très sérieuses références !

Conquis par cette expérience et la liberté que laisse le duo, ils ont alors décidé de créer un répertoire de compositions dès 2021. Est ainsi né le concept « Crossing », où se croisent notamment leurs cultures, Xavier Belin étant martiniquais, et Baptiste Poulin bourguignon. Des influences qui selon eux remontent jusqu’à l’enfance. Xavier Belin indique que plusieurs morceaux évoquent diversement le croisement, comme par exemple « Arquer Bô Lanmè » (qui signifie se balader à côté de la mer), où les deux musiciens ont mélangé du patois bourguignon et du créole martiniquais, ou un peu plus loin le trépidant « In a hurry » pouvant suggérer celui des gens dans le métro, le rythme invitant à les imaginer en train de danser sur les quais, après le boulot. Superbe pièce, qui pourrait aussi servir de thème à une série ensoleillée, tournée sur les bords du Pacifique.

Dès l’ouverture de l’album, les origines de nos duettistes sont bercées par la brise poétique du thème « Entre Terre et Mer », une traversée où les rôles alternatifs des deux acolytes se jouent en d’harmonieux échanges, l’un est soliste, l’autre rythmique, et vice et versa, en une limpide fluidité et un naturel qui annoncent le ton de ce disque. Par exemple, le dynamisme chaloupé et la couleur de leur étonnant « Travail d’équipe » en est l’une des preuves marquantes, qui déroule son histoire sur neuf minutes de pur charme qui nous laissent sans voix.

Cette gémellité d’âme nous conquiert au fil des sept compositions proposées, dont les généreuses durées nous laissent le temps d’entrer dans la singulière magie de chacune.

Parmi les autres surprises, nous sommes comme hypnotisés par la mélancolie bizarre et saccadée de « Solitude », un petit monde parallèle, rêveur et tatoué d’effets électroniques épars, qui accentuent le mystère. Mais, comme une incitation secrète à la fête, « Si j’avais » ne tarde pas à nous ouvrir la voie vers des pays où les cœurs chantent et les âmes dansent le soir sous les lampions.

L’ambitieux « Digression » clôt cet album de magistrale façon, et confirme l’unité d’inspiration de ce duo, une écriture jumelle riche, à la beauté qui ne s’impose aucune limite, et nous fait traverser un incroyable arc en ciel, qui relie des terres sœurs, et projette sur les eaux qu’il surplombe, une lumineuse clarté de fraternité chaleureuse et de paix.

Faisant suite à une résidence au réputé Crescent (Mâcon), lieu que connait Baptiste Poulin depuis sa tendre enfance, cet album y a été enregistré en conditions live, ce qui lui confère un son de toute beauté, chapeau bas à Léo Aubry (enregistrement) et à Sylvain Thévenard (mixage et mastering). C’est ce qu’il fallait pour servir ce délicieux album, et pour honorer les jeux épatants de ces deux jongleurs d’étoiles intimes, que voici au mieux alignées grâce à eux. Espérons les voir bien vite en concert !

Par Dom Imonk
Label Madajam/Inouïe Distribution

https://www.xavierbelin.com/

https://www.facebook.com/pitakpimusic


Kat Tet – Women

Pépite rééditée

Patrick Jean-Marie : Piano, compositions
François Luther : Saxophones, composition titre « Hommage »
Toto Jean-Marie : Basse
Eric Danquin : Batterie
Christian Mathurin : Percussions
Invité : Charlie Chomereau-Lamothe : Percussions

Dans la famille Jean-Marie issue de Guadeloupe, on connait bien Alain, le pianiste à la carrière internationale, on connait moins ses frères musiciens. Patrick Jean-Marie est l’autre magnifique pianiste et compositeur (hélas décédé en juin 2021) et Toto Jean-Marie le bassiste !
Patrick Jean-Marie est une icone de la vague free des années 1970/80 en Guadeloupe ayant composé et joué de belles mélodies entre jazz, gwo-ka, biguine et musiques « antillo-latines ».
L’album « Women » sorti en 1985 en est une des plus belles illustrations. Il était devenu introuvable jusqu’à ce qu’une DJ : « Mambo Chick » décide de faire des recherches et ré-édite la perle rare pour notre plus grand plaisir.
L’album accueillait également le brillant saxophoniste de Sainte Lucie : Luther François et des as de la batterie et des percussions dont un des experts du Gwo-ka : Charlie Chamereau-Lamothe. Le Gwo-ka ou gwoka est un genre musical typique de la Guadeloupe joué sur des tambours (ka) en peau de chèvre de différentes grosseurs, il comprend 7 rythmes différents et est accompagné généralement de chants et de danses.

Mes morceaux préférés :

« Nikita » de Patrick Jean-Marie : Jolie mélodie où François Luther nous enveloppe dans ses envoûtantes volutes flutées et Patrick dans ses envolées aériennes et subtiles tantôt déliées, tantôt percussives, le tout porté par une architecture savante de percu, batterie et basse au solide groove jazzo-caribéen.
« Sky 2000 » de Patrick : Encore une mélodie simple sur un effet rythmique somptueux qui démarre lentement pour s’accélérer progressivement, alto et piano rivalisent de créativité, virevoltant, très libres, les percussions de Christian et Charlie fleurtent allègrement avec la batterie d’Eric et la basse de Toto.
« Swing Hibiscus » de Patrick : Ca tourne follement, les impros habitent de foisonnants dialogues basse / batterie et piano/saxo électrisant ce swing fulgurant ! Quelle énergie !
« Solange » d’Alex Monpierre : Nous embarque dans une biguine, ça balance terrible, la rythmique est au taquet, saxo et piano libres et agiles swinguent allègrement, la batterie et les percussions groovent d’enfer !
« Hommage » de François Luther un peu bluesy, le saxophoniste nous cueille, troublant de lyrisme, avec des accents de Pharoah Sanders, la rythmique et le piano se font lancinants et itératifs, le jeu collectif est magistral !

Bref, quelle bonne idée d’avoir ré-édité cette pépite qui a 40 ans à écouter absolument !

Label Symbole Records sortie début Février 2025
Chronique de Martine Omiécinski

https://symbolerecords.bandcamp.com/album/kat-tet-women


Obradovic – Tixier DUO – Jiggled Juggler

JIGGLED JUGGLER, le « jongleur bousculé », est le sixième album, enregistré en juin 2024 par le OBRADOVIC-TIXIER DUO, formé en 2016 par la percussionniste croate Lada Obradovic et le pianiste français David Tixier, formation créée suite à leur rencontre en 2013 lors de l’International Jazz Festival de Bucarest en Roumanie.

Lada Obradovic, compositrice et percussionniste croate née en 1987, est diplômée d’un Bachelor of Arts de la Jazz Academy de Graz en Autriche auprès du professeur Howard Curtis, et titulaire d’un Master of Arts en batterie performance à l’Université de Berne en 2018.

David Tixier, compositeur et pianiste français né en 1989, formé d’abord aux Conservatoires de Bordeaux et Mont-de-Marsan, a suivi les cours de Giovanni Mirabassi à Paris, de Emil Spanyi à Lausanne, suivi d’un Master of Arts à la Haute Ecole de Musique de Berne en Suisse.

Le Cd produit par le label Somewhere Beyond Records (SBR) offre une œuvre originale de l’artiste croate Ivana Svjetlicic, représentation du jongleur en costume du fou du roi, palette chatoyante prélude à l’entrée dans l’univers poétique du disque. Le jongleur bousculé, c’est l’anti-héros, la figure allégorique, métaphore d’une société du XXI° siècle dont les équilibres apparents masquent les fragilités vacillantes. Album de compositions, nous avons là le résultat d’un processus créatif abouti à l’écriture exigeante. La riche palette d’instruments (batterie, carillons, voix, bols indiens, cloches pour Lada Obradovic ; piano, claviers, processeur électronique pour David Tixier) attise notre curiosité à entrer dans le jeu.

L’écoute est d’emblée envoûtante. Le ton est donné dès la première plage « And only the sky could see it » : la batterie toute en nuances, accompagnée de signatures électro installe une certaine étrangeté, ouvrant la voie à la ligne mélodique aérienne du piano de David Tixier.
Le voyage se poursuit avec « Your way of mine », voix en dialogue avec les instruments acoustiques dans un bel équilibre, entre ruptures rythmiques, calmes et envolées dynamiques.
« B for Angel » révèle le jeu puissant et subtil de Lada Obradovic aux percussions et la cohésion avec le piano aux accents hypnotiques.
« Delhi’s dream » est un voyage onirique de 7’19’’ aux accents de l’Inde, subtil équilibre entre clavier et batterie.
« Never trust a coward » marque une rupture, fuite éperdue, chaos.
« Genie in the battle » signe l’entrée en scène du fou du roi facétieux par une alchimie délicate entre sonorités électro, bruits, paroles, percussions et piano au toucher soyeux.
« Watch your step » clot le thème sur une note optimiste à travers le jeu dynamique très inspiré batterie, piano.

Un album qui surprend à chaque instant, nous transporte dans un univers onirique à la palette sonore originale, aux motifs parfois hypnotiques, qui joue entre équilibres et déséquilibres, toujours sur un fil, tel jongleur bousculé.

En bonus sur ce Cd, deux compositions : « Untied Laces » et « The only thing that matters », ce dernier enregistré en 2023, avec un texte du journaliste de la BBC Raphael Rowe, condamné pour un crime qu’il n’a pas commis.

Par Francois Laroulandie

Somewhere Beyond Records

https://obradovic-tixierduo.bandcamp.com/album/jiggled-juggler


Christine Corvisier Quintet – Chansons de Cologne Vol.2

4 étoiles sup

Christine Corvisier : Saxophones, clarinettes, composition, arrangements
Sebastian Scobel : Piano, composition (6) et arrangement (9)
Martin Schulte : Guitare
David Andres : Basse
Alexander Parzhuber : Batterie
Invité : Marshall Gilkes : Trombone (5 et 8)

Christine Corvisier est une musicienne « souffleuse » (saxophones, clarinettes, flutes), compositrice et arrangeuse originaire de Perpignan, ayant fait des études musicales à Nice et à Amsterdam. Puis elle s’est perfectionnée au saxophone à New-York avec nombre de « stars » dont Joshua Redman.

Elle vit à Cologne et se produit surtout en Allemagne où elle a enregistré son album précédent « Chansons de Cologne Vol.1 », cette fois encore, mais auprès du label Neu Klang.
Outre ses compositions personnelles très travaillées, elle reprend à sa sauce des chansons françaises issues de son enfance, le premier opus faisait la part belle à Edith Piaf et Charles Aznavour, sur celui-ci Gilbert Bécaud, Charles Trenet et à nouveau Charles Aznavour sont à l’honneur.

Mes morceaux préférés :

« Et Maintenant » de Gilbert Bécaud : le leimotiv itératif est exécuté au piano main gauche par Sebastian Scobel qui développe ensuite le propos avec agilité, le saxophone de Christine Corvisier vient chanter puis module des arabesques riches, le piano s’envole sur une rythmique « carrée », Martin Schulte à la guitare nous offre un autre éclairage du morceau, David Andres à la basse fait un travail monumental. Quels beaux arrangements de Christine de cette œuvre d’un musicien ayant vraiment côtoyé le monde du jazz.
« Bouge » : Composition colorée de Christine très vive et jazzy dès l’entame où la batterie d’Alexander s’illustre notamment avec les peaux, puis viennent les volutes de l’alto, la guitare prolixe et langoureuse, la basse profonde. Quelques changements de tempo plus loin à nouveau le saxophone en impro créative, un dialogue avec le piano, et tous qui font à Christine un écrin parfait. Super !
« Zodiac » de Christine : Les sonorités puissantes du quintet sont rejointes par celles rayonnantes du tromboniste américain Marshall Gilkes invité sur ce morceau, après son premier long solo, le rythme devient latinisant et marqué où Alexander s’éclate à la batterie, portant le piano puis le saxo déchainé.
« Five Noire » de Sebastian Scobel : outre le dialogue brillant saxo / piano, retenons le remarquable solo de contrebasse de Davis Andres sur cette jolie mélodie tendre puis les cris déchirants de la guitare de Martin et enfin la conclusion bluesy du saxo.
« Mes emmerdes » de Charles Aznavour, arrangé par Christine : Belle intro à la basse de David suivie du trombone de Marshall non moins éloquent, tous développent le refrain de cette chanson si présente à nos oreilles. Le trombone enchaine sur les refrains, Christine lui emboite le pas au saxo…puis la basse brille à nouveau de sa sonorité chaleureuse. Charles Aznavour aurait applaudi !
« La mer » de Charles Trenet sur des arrangements de Sebastian : Entame étonnante avec un mélange de piano enfantin (glockenspiel ?) et de notes grasseyantes du saxo, puis Christine au soufflant fait pleurer la mélodie au saxo sur les harmonies complexes du piano imitant le ruissellement de la mer sur la grève. Le dialogue piano/saxo qui suit remue les tripes. Tous finissent cette reprise en apothéose sensible !

Bref, un album qui se laisse écouter grâce aux propositions variées entre reprises très arrangées et compositions originales, le tout subtilement joué….

A découvrir !

Label Neu Klang sortie 14 Mars 2025
Chronique de Martine Omiécinski

https://www.christinecorvisier.com/cc5/


Guilherme Silveira

Un deuxième album prometteur.

Guilherme Silveira, diplômé en musique de l’Université d’État du Paraná au Brésil, est un guitariste et compositeur brésilien qui, au fil des ans, a su marier les riches traditions musicales de son pays avec des influences contemporaines. Son deuxième album éponyme, « Guilherme Silveira », en est une illustration éloquente.

Cet opus se distingue par des compositions originales qui traversent le vaste spectre de la musique brésilienne, du nord au sud, mêlant des accents traditionnels à la sophistication de la musique improvisée. Les arrangements, particulièrement originaux, mettent en lumière le dialogue complice entre des musiciens de grand talent.

Parmi eux, on retrouve Itamar Assiere au piano et au Fender Rhodes, Marcio Bahia à la batterie, Ney Conceição à la contrebasse et à la basse électrique, Jonathan Augusto à la clarinette, Luci Bispo aux percussions, ainsi qu’Amina Mezaache et Pedrinho Figueiredo à la flûte. Ces collaborations enrichissent les compositions et offrent une interprétation nuancée de chaque pièce.

Enregistré entre Rio de Janeiro, Curitiba, Porto Alegre et Paris, l’album reflète également les expériences parisiennes de Silveira, avec des compositions récentes évoquant la vie quotidienne dans la capitale française. Sur une base de musique brésilienne, l’album intègre une dose généreuse de swing et explore des passerelles entre diverses inspirations musicales, empruntant tant à la bossa nova qu’au jazz.

Avec ce deuxième album, Guilherme Silveira confirme sa grande originalité et affirme une voix personnelle déjà perceptible dans son premier opus. Son travail témoigne d’une recherche constante de fusion entre les genres, offrant aux auditeurs une expérience musicale riche et authentique.

Pops White

℗ 2024 Guilherme Silveira

https://www.facebook.com/guilherme.silveira.10