Gazette Bleue Week-End # 9

Bonjour ! Voici le neuvième numéro de notre série, qui vous présente quatre chroniques de disques, histoire de vous donner envie d’écouter ces artistes, et de faire de ce week-end, une fête de la musique ! Bonnes lectures !

La rédaction.


Ben Lopez – Draft

Il est toujours émouvant de découvrir un premier album quand on sait le parcours semé d’embuches qu’il faut emprunter pour offrir sa musique en partage. Le guitariste Ben Lopez vient de publier DRAFT. C’est un musicien « capé » qui a étudié à la prestigieuse New School for Jazz and Contemporary de New York où il a notamment côtoyé les guitaristes Vic Juris et Mike Moreno. Il se produit sur Paris en tant que leader ou sideman dans les clubs tels Le Sunset/Sunside, le Duc des Lombards ou le Baiser salé.

Pour former son quartet, il a su s’entourer de musiciens de jazz au talent reconnu : Au saxophone ténor, le californien Robby Marshall qui a participé aux tournées de Michael Bubblé, Trombone Shorty, joué aux cotés de Carlos Santana, Bobby McFerrin ou encore Hugh Laurie. A la batterie, l’italien Stefano Lucchini est très demandé lui aussi puisqu’il a accompagné Ricardo Izquierdo, Alexis Valet, Pierre de Bethmann. A la contrebasse, l’excellent Sylvain Dubrez, très actif sur la scène parisienne. Le pianiste et compositeur Laurent Coq est invité sur 3 morceaux. C’est un musicien très inspirant qui évolue entre la France et les États Unis. Le critique de jazz Michel Contat dit de lui : « Si la scène française du jazz est passionnante aujourd’hui, elle le doit pour une bonne part au pianiste Laurent Coq. »

Ben Lopez propose un jazz innovant, pétri de tradition et de musique populaire qui s’inspire de ses illustres ainés : Les guitaristes Bill Frisell et John Scofield, le légendaire Thélonious Monk ou encore le saxophoniste Wayne Shorter.

Le titre de l’album DRAFT évoque un brouillon. Il n’en est rien. A l’écoute, le projet se révèle abouti, empreint d’influences de guitaristes qui ont marqué leur instrument : Jim Hall pour sa science de l’harmonie et la pureté mélodique, Peter Bernstein pour le swing, John Scofield pour le coté jazz-rock. C’est une immersion dans des paysages sonores aux titres parfois déroutants qui témoignent du bonheur de composer en se nourrissant d’un imaginaire polychrome. Le sorcier de Riga, Oliver’s Twist, 3 temps…forment un ensemble où Ben Lopez s’exprime aussi bien dans des thèmes mélancoliques que très rythmés. Les compositions oscillent entre ballades aériennes et thèmes relevés. Cette diversité révèle un mélodiste sensible et inspiré et un guitariste à l’excellente technique instrumentale, tout aussi inventif sur des phrasés simples que complexes.

Le projet s’ouvre avec From Nowhere, titre évocateur à l’image du graphisme de la pochette réalisé par Fred Lacassagne, alias Terreur graphique. Sur un fond blanc immaculé, un personnage sans visage esquissé en quelques coups de crayon surgit tête baissée et masquée pour, sur la quatrième de couverture, marcher vers les étoiles. Ce premier morceau, d’inspiration be-bop, au tempo rapide et au phrasé dynamique interprété en formation quartette, met à l’honneur le son grave du ténor dans une première partie avant de laisser la place aux volutes mélodieuses de la guitare. Le sorcier de Riga, plus lent, offre une place de choix à Laurent Coq. Le guitariste développe un jeu sobre, ne cherchant jamais à faire démonstration de virtuosité à l’image d’un Jim Hall et répond en contrepoint aux arpèges clairs et toniques du pianiste.

Sollicitant une oreille attentive et toujours surprise par la créativité, l’écoute se poursuit avec Maladresse, très Coltranien et empreint de lyrisme, alors que Countryside se révèle plus rock. Ces deux titres aux reliefs rythmiques contrastés révèlent de nouvelles facettes du compositeur. Sur Oliver’s Twist, la tessiture mate du saxophone s’échappe admirablement du rythme imprimé par les percussions. Trois chorus superbes saxophone, guitare et piano sont soutenus par les lignes efficaces et magistrales de la contrebasse. Ici, on prend la pleine mesure de l’étendue et du talent d’une section rythmique très alerte. Scolatism, au thème prégnant et raffiné se revendique des influences de John Scofield et du saxophoniste Joe Lovano.  Ce morceau moderne, très travaillé où le saxophone imprime la mélodie, met également en valeur le toucher et le phrasé élégant de Ben Lopez. Là aussi, il y a un admirable travail effectué par le batteur et le contrebassiste. C’est superbe. 3 temps se propose comme une valse contemplative où les chorus saxophone, guitare se répondent avec brio sur un tempo d’abord nonchalant et ensuite plus relevé.

Sur la ballade sentimentale Love me tender écrite par George R Poulton au 19ème siècle et popularisée par Elvis Presley, Ben Lopez prend la lumière en déployant des phrases longues et en enchainant avec brio un long chapelet de notes. Avec ce morceau écrit par un autre, il déploie pleinement ses qualités harmoniques et la finesse de son jeu. DRAFT est très une belle découverte. Ben Lopez creuse son sillon au milieu de figures tutélaires et incarne un jazz moderne et inventif aux subtiles lignes mélodiques.

Par Christine Moreau

Label : Parallel Records /Socadisc

Paru le 12 Mai 2023.

Track list : Compositions de Ben Lopez sauf Love me Tender de G.R Poulton.

From Nowhere

Le sorcier de Riga

Maladresse

Countryside

Love me Tender

Oliver’s Twist

Scolotism

Dodécasong

3 temps

Choral

https://benlopez-parallel.bandcamp.com/album/draft


Bévort 3 – Northbound

5 étoiles

Gateway Music, sortie le 09 Février 2024

Chronique de Martine Omiécinski le 26 janvier 2024

Pernille BEVORT : Saxophone

Morten ANKARFELDT : Contrebasse

Espen LAUB VON LILLIENSKJOLD : Batterie

Pernille BEVORT est une saxophoniste danoise lauréate du Rythmic Music Conservatory de Copengague connue et demandée pour son jeu intense du duo au big band. Elle a performé notamment avec John SCOFIELD, Richard BONA et Charlie WATTS. Elle a ses propres formations depuis 1995, actuellement le trio BEVORT 3 et le septet RADIO BEVORT.

Ces 3 dernières années (2020/2023) elle a été nommée aux Danish Music Awards dans différentes catégories (compositeur de l’année, album de l’année), a été récompensée en 2022 avec le trio BEVORT 3 : « Groupe de l’année » et en novembre 2023 a reçu un prix honorifique en reconnaissance de son travail et de son œuvre.

« Northbound » est la 16 ème production de Pernille comme leader/compositrice et la 4ème avec BEVORT 3, donc nous avons affaire à une saxophoniste qui a du métier, entourée de 2 musiciens non moins valeureux ! Pour cet album elle a été inspirée par l’impermanence de ce qui se passe dans la vie et notamment les saisons changeantes.

Dès la première écoute on est frappés par l’harmonie qui se dégage de l’ensemble avec ce son profond que l’on retrouve souvent avec les musiciens du nord de l’Europe.

Mes morceaux préférés :

« Northbound » : Direction le nord avec une atmosphère mélancolique pour ce premier morceau : quelques notes en boucle au saxo puis la rythmique imprime sa force tranquille, Pernille BEVORT déroule les accords mélodiques avec créativité, lenteur et clarté, nous sommes bien dans les paysages sonores scandinaves emplis de zénitude !

« My Soft Spot » : Le groove du batteur Espen nous happe sur les belles lignes graves de contrebasse de Morten majestueusement présent, le saxo brode avec fluidité et énergie.

« Floating » : Ce morceau révèle un solo de batterie et des cordes vivaces sur lesquels l’alto prolixe nous fait flotter.

« Sleepwalker » : Cela démarre doucement par des cordes tendrement tendues puis ce somnanbule s’agite : la batterie syncope les rythmes, l’alto jongle avec les notes hautes puis basses puis hautes, un travail d’improvisation bien agréable !

« Strolling in June » : Le saxo se promène puis devient intense sur cette flânerie que la rythmique rend terriblement « groovy ».

« Tiny Hesitation » : Swing souple à la batterie, saxo note à note (hésitation ?) puis emportant avec ardeur les volutes de la mélodie sans timidité aucune, la batterie envoie des roulements de tambour et des changements de tempo, la contrebasse groove aussi toujours efficacement.

Bref : Pernille nous propose un cocktail énergique avec quelques doses de poésie, de rêverie et de mélancolie, le tout joué avec la maestria de musiciens aguerris. A découvrir !

https://www.pbevort.dk/

https://www.facebook.com/pernillebevortmusic


Labyrinthe d’une ligne

Xavier Garcia : Sampler, Laptop / Caroline Gesret : Voix / Lionel Marchetti : Magnétophone à bande, poème / Laura Tejeda Martin : Voix

2 chercheurs de sons qui expérimentent ensemble depuis 10 ans, décident de travailler sur un poème de l’un d’eux (Lionel). Pour réciter le texte qui sera dit, chanté, utilisé, pétri, selon l’humeur de l’instant, et garder une symétrie : 2 chanteuses sont choisies pour 2 hommes aux sons.

Dès la 1ère répétition, en 2022, un groupe spontané est né, et perdure.

Plusieurs prises de 50 minutes sont enregistrées, donc l’œuvre en entier… une est retenue.

Seul repère : le texte, pour le reste : le moment décide de la voie à prendre : improvisation totale sur le poème.

En fait, le projet est destiné, et prévu, pour être joué en public : une sonorisation spéciale est installée. les sons électroacoustiques sont diffusés dans l’espace, les chanteuses sont mobiles et investissent le terrain de jeu. Le lieu doit être ouvert et vaste, sans limite. Seule règle : se concentrer sur l’énergie entre les 4 officiants, jusqu’à trouver une homogénéité entre le sens des mots et de la musique.

Les artistes bâtissent une composition concrète (c’est à dire depuis la matière sonore jusqu’à l’écriture) et non pas abstraite (depuis l’écriture vers l’exécution). Les extraits de textes sont lus, parlés, chantés, déconstruits, reconstruits…

À défaut de vivre cette expérimentation en direct, voici le témoignage d’un moment, la découverte d’un mix entre sons primordiaux (voix) et sons contemporains (électriques/électroniques). Suite logique des travaux sur la musique concrète de Pierre Henri à Pierre Schaeffer.

Un voyage d’introspection à l’intérieur des sons et leur raison d’être, qui renvoie à soi-même et à nos capacités d’écoute et d’interprétation, par une diffusion d’éléments instables qu’il nous appartient de mettre en forme et en image, fut-elle abstraite, voir en émotions qui risquent de se révéler différentes pour chaque auditeur…

Une espèce d’expérience virtuelle ! Essayez !

Par Alain Fleche

Chez ARFI

https://www.facebook.com/alana.arfi.5


The GORI PROJECT II

de Torben Westergaard

Captivant un jour, intrigant un autre, puis intéressant et surprenant avant d’être séduisant, avec enfin une attirance sonore que l’on ne contrôle plus… un envoûtement en toute simplicité !

Cet artiste ne fait certes pas parti des grandes têtes d’affiche parmi les bassistes de jazz. Mais le moindre que l’on puisse dire c’est qu’il pourrait faire partie de cette classe de jazzmen explorateurs élargissant fondamentalement les frontières du style. Ce nouvel album illustre donc ces mélanges de couleurs imprégnés d’une profonde curiosité.

Torben Westergaard bassiste, vocaliste, pianiste danois qui demeure avant tout compositeur d’un nuancier musical étonnant. Une texture toute particulière à travers ces 18 précédents albums avec un début fusion avec J. Abercrombie, un passage au cœur du Brésil, puis des collaborations multiples, avant cette rencontre raffinée en Argentine entre le Tango et le Jazz scandinave (Tangofield I,II et III) suivie d’une plongée vers l’électro, d’un mix Jazz classique / Jazz expérimental avec Vijay Iyer. L’album écrit pour les malades du cœur avec ces vocalises ouvre son talent vers le domaine de la relaxation. Gori Project I est ensuite paru après un interlude avec chants danois et liens bossa-nova, un second Jazz Brazil et un 3ème en lien avec un professeur de méditation. Oui cet artiste m’a tellement intrigué que j’ai tout écouter…

A coté, Torben Westergaard enseigne, compose dans plusieurs domaines comme le cinéma en tant que chef d’orchestre. Sa curiosité le conduit même à être animateur d’ateliers sur des axes de réflexions concernant les apports de la musique dans des situations de la vie.

Un Quartet

Le terme Gori peut être traduit en coréen par «connexion». Torben Westergaard élargit donc les perspectives du Jazz dans ce 19ème album grâce à une cohésion singulière avec ses 3 compères :

  • Hyelim Kim 김혜림 au Daegeum. qui est une une grande flûte traversière en bambou d’origine coréenne. Peu connu en occident cet instrument était considéré comme un instrument sacré qui apportait la paix au royaume et assurait la sécurité de son peuple. L’artiste coréenne a une approche similaire du compositeur de l’album avec une volonté interdisciplinaire d’utiliser la musique traditionnelle coréenne. Elle est considérée comme une nouvelle virtuose du Daegeum.
  • René Damsbak à la trompette, bugle et au clavier. Cet artiste danois est aussi compositeur et producteur. Enseignant aussi la production sonore, la musique acoustique et électronique, il est considéré comme un super geek.
  • Marilyn Mazur aux percussions. Cette autodidacte danoise est aussi batteuse, danseuse et compositrice. Ancienne collaboratrice de Miles Davis, Wayne Shorter, Jan Garbarek et bien d’autres, elle s’attache à la vision émotionnelle, spirituelle voire mystique de la musique. Son ouverture à la créativité musicale l’amène d’ailleurs à être marraine d’un sextet dans le cadre du projet Criss Cross qui permet de rassembler des talents européens au cours d’échanges créatifs. Elle joue aussi fusion avec Nils Petter Molvaer ou plus classique avec Dr Big Bang.

Voici donc les artisans de ce projet. Une fusion musicale dano-coréenne à la fois moderne et traditionnelle qui ne doit surtout pas être écouter en une seule fois. En effet les ressentis bouillonnent et tourbillonnent selon les moments de la journée, la situation le volume …

L’artiste indique d’ailleurs sur le volet intérieure de la jaquette :

«La musique est entièrement démocratique, elle appartient à vous, à moi et à tout le monde. Plus vous vous ouvrez à elle, plus elle vous accueille. Elle est éveillée comme vous l’êtes.»

Gori Project II

L’album débute par une introduction qui déclenche l’intrigue : quel est cette ambiance ? Les percussions mêlées aux sonorités du clavier électrique placent l’ambiance avant l’arrivée de la flûte en duo avec la basse, puis du son contemporain de la trompette Truffazienne. Cet ensemble de styles, s’entremêle avec une harmonie unique.

Ainsi peut débuter le voyage musical et laisser à chacun la liberté de se laisser porter par ces souffles, ces rythmes, ces réflexions dans un apaisement sonore ou pour d’autres un éveil devant un tel alliage de sonorités.

Le daegeum en duo avec la trompette est suivi de ces percussions de mi-morceau avec ce riff de flûte coréenne, et la discrétion du bassiste qui laisse l’expression de développer (02). Une légère mélancolie de dégage ensuite (03), avec le chant discret encore une fois du compositeur et les scintillements de M. Mazur. Une démocratie est alors illustrée d’une manière mystérieuse (04) ouvrant une douce évasion (05) avant un réveil avec la technique de Hyelim Kim (06) qui se stoppe net pour un envol incontrôlable (07) délicatement rythmé par le udu vers des horizons inconnus… Les deux instruments à vents se joignent nous toucher plus intensément si l’on augmente les basses malgré la discrétion de Westergaard (08). Un samedi soir nous est dépeint avec ces chants toujours en douceurs (09). Le dernier titre nous replonge dans l’ambiance de l’introduction par ses percussions et cette ambiance asiatique contemporaine (10).

Une musicothérapie, une méditation, un envoûtement, une entrée en hypnose certes. Mais aussi plus simplement une pause, un instant improvisé pour observer comment combiner en toute simplicité, sans effort nos origines culturelles musicales dans un atmosphère jazzy néanmoins présent pour toujours plus de beauté.

Voici ce que signifie l’annotation coréenne sur la pochette 고리 프로젝트 : projet de bague / ou de collier. J’invite donc vraiment à rejoindre les liens paisibles de cet album qui élimine les distances pour une interactivité musicale telle que cela devrait être entre toute société !

Par Julien Motard

@Torben Westergaard

https://torbenwestergaard.bandcamp.com/album/the-gori-project-ii