François Bourassa Quartet – Live @ Picollo – Swirl
FRANÇOIS BOURASSA : Piano, Compositions
ANDRÉ LEROUX : Saxophones, Flûte
GUY BOISVERT : Contrebasse
GUILLAUME PILOTE : Batterie
Artiste emblématique du jazz actuel québécois, fer de lance de la maison Effendi d’Alain Bédard, musicien toujours passionnant, François Bourassa. après un opus en solo, creusant ‘impact du silence’ (à retrouver dans nos colonnes), qui ne nous avait laissé indifférent, revient sur scène, armé de 3 grands noms de la sphère canadienne de l’est, tout autant originaux, ne demandant, tous, qu’à sortir de leur espace (tant géographique que par un jeu sans cesse en bordure du cadre des belles compositions du ‘directeur de cérémonie’) en recevant la reconnaissance qui leur est légitimement due, comblant ainsi le large vide nourri de notre ignorance envers le foisonnement de talents œuvrant dans cette région du monde.
11ème disque du pianiste, depuis 1985, qui creuse sa réputation de constance et d’évolution dans la qualité de ses compositions qui ont toujours quelque chose à raconter, et de leurs interprétations qui élargissent les thèmes, les explorant jusqu’aux confins de leurs limites audibles.
La cohésion du quartet s’est opérée durant 25 ans de pratique régulière (le batteur est un petit nouveau qui prend sa place tout naturellement de par une oreille, des pieds, des mains, totalement coordonnées à l’esprit de ses partenaires, il ajoute à la pulsion nécessaire une anticipation des traits de chaque choriste, pourtant imprévisibles). Il y a un peu d’Eric Dolphy dans la folie contrôlée de André Leroux, des notes lunaires réfléchissant les propositions et élans du piano, des chants d’oiseaux s’évaporant dans un azur empli de nues dispersées, une fougue colérique mesurée souvent à fleur de doigts et un lyrisme emprunté à toute l’histoire de la musique, sans frontière. Pizzicato ou à l’archet, la contrebasse régule les échappement d’horizon sans les brider, lui-même ne rechignant pas à laisser un instant les dimensions immuables (?) des mesures en étirant ou abrégeant les temps qui deviennent élastiques, jusqu’à rejoindre son compère rythmique pour confirmer le rôle de colonne vertébrale de l’ensemble, parfaitement assumé… sauf si le batteur décide à son tour de prendre quelque liberté avec la stabilité attendue du maître du temps pour résonner dans d’autres galaxies inconnues.
Tous pour une musique radicalement libre, grâce à une écriture forgée de légèreté et d’intelligence, indiquant de multiples directions possibles où chacun peut s’engouffrer et entraîner qui voudra le suivre… Ils peuvent ainsi, se réclamer, sans fausse modestie, de la fameuse devise des 4 mousquetaires qui unit 4 éléments distincts pour former une entité soudée.
Disque puzzle qui pioche en divers catégorie musicales (musique improvisée, contemporaine, free, moderne…) définitivement jazz actuel, avec de belles pièces qui s’enchaînent sans heurts ni franche cassure malgré la particularité identitaire de chacune qui ne se réclament ouvertement d’aucun genre précis, même si on se laisse à penser à quelques références, un instant, vite estompé par l’originalité des thèmes et leur diversité d’ambiance à l’intérieur même, en perpétuelle évolution, qui finissent par leur donner une allure de ‘suite’ .
Telle l’ouverture de l’album : Pooloop (en argot : polop = attend, ce n’est pas ce que tu penses, il n’y a pas que ça…), roulements et battements introduisent un piano aux accents monkien, pas décidé à se poser, batifolant d’accords en arpèges, des notes appuyées, décalées, des frôlements, entre le sax avec un bout de thème, stoppé court par le clavier songeur, re-thème de quelques notes qui se développent pour former une chanson, qui n’aboutit pas mais vacille déjà vers ailleurs, plus loin. Arpèges raveliens, sax en vaisseau cosmique se transformant en oiseau fou de liberté…, contrebasse rêveuse, puis virtuose avant de marquer le tempo, qu’affirme la batterie qui ne manque pas de se glisser entre chaque interstices que le saxo parsème.
Vient le ‘prologue’, amené par la flûte virevoltant comme un papillon, suivie d’un piano mystérieux, grave et en retenu avant que les 2 autres ne viennent combler, ça et là, d’une sombre légèreté. Grille atonale, dodécaphonique, ouverture sur tous les possibles, une pointe de sériel, une pincée d’avant-garde, un bout de swing, développements interrompus, la musique avance vers… nulle autre part que leur désir de liberté, et notre plaisir.
Suivent 3 titres très visuels, presque figuratifs, ambiance film polard noir et blanc. Une ‘Room 58’, où il s’est passé un drame, où/ou quelqu’un attend… Une lampe allumée, mouvance d’ombres diffuses, des pas silencieux… Un ‘Costard’ que ne porte pas un mort. Accroché sur un cintre, coupe droite, étoffe confortable, unie, il raconte sa journée : des taches, des plis froissés, une poche déchirée, une autre gonflée de … Scène près d’une pièce d’eau, un canal, un étang, des ‘Remous’… La nuit, des pas rapides, la lune se reflète dans une flaque… l’image disparaît en spirale. (Bon, après, vous y verrez bien ce que vos oreilles vous indiqueront, n’est-ce pas.)
Fin de disque, fin de film (?) : ‘15, Notre-Dame- de-Lorette’. Résolution harmonique, lyrique, chantante d’une œuvre à l’écriture ambitieuse et concise offrant de larges plages où se glissent douillettement, ou en parfois en force, l’imagination des 4 acteurs … ainsi que celle de l’auditeur.
En rappel de l’opus précédent du compositeur, le silence meuble les phrases en devenir, en fulgurance, soude l’harmonie permanente de l’ensemble joué par quatre musiciens hors-pair, qui perdent, enfin, leur anonymat, pour prendre bonne place dans le gotha (gros tas ?) des incontournables, galette à ne laisser pas trop loin de la platine, de notre envie d’entendre de la Bonne musique ! Et ce n’est ni S. Swallow, ni C. Bley, amoureux de ce groupe qui nous contrediront.
Allez les cousins canadiens ! À tout vite !
PS. Signalons le travail remarquable de Phillipe Côté qui a posé son sax pour jouer au Directeur Musical ici.
Chez : Effendi Records
Par : Alain Fleche