Francesco Bearzatti – Federico Casagrande – AND THEN WINTER CAME AGAIN

Francesco Bearzatti : Sax ténor, Clarinette
Frederico Casagrande : Guitare électrique

Deuxième disque de ce duo qui tourne depuis 10 ans dans toute l’Europe. Le saxophoniste avait écrit les compositions du  1er, pour celui-ci, c’est le guitariste qui s’y colle. Changement d’ambiance et de son : on passe de l’enregistrement de l’urgence du concert à la possibilité méditative du studio.
Les chansons proposées ici émergent des brumes diffuses d’un crépuscule annonçant l’hiver proche. Des paysages en clair-obscur, des personnages et leurs histoires, des esprits qui se perdent cherchant l’autre…
Deux acteurs-conteurs à la large palette de sons évocateurs qui nous offrent des chansons en forme d’histoires abstraites (la musique peut-elle être autre?) et minutieusement détaillées, comme des tableaux en noir, gris et blanc, couleurs fondues, lignes flous, lumière évanescente, contours incertains… On devine les ombres d’arbres frileux, les feuilles frémissent, les pieds s’enfoncent dans une terre humide, bientôt boueuse, les nuages arrivent à raz du sol, les oiseaux se sont tus. Branches qui craquent, brindilles brisées et glissements des pas pressés de qui rentre chez lui, rêvant de cheminée allumée et de soupe fumante.
À travers le ténor chaleureux ou explorant, la clarinette douce, lyrique et virevoltante, guitare électrique, souple, voluptueuse, bavarde et pleine de surprises d’effets divers, en boucles infinies. Tous ces sons, servis par les 2 transalpins de Paris, au top de leurs capacités, bourrés d’idées et de talent pour les exposer clairement en scénettes attachantes, charmantes ou incongrues.
Federico, passe des études de Boston (classique) aux cours de Berklee (jazz) entre 2003 et 2006, 18 disques depuis, du solo au quatuor, avec Enrico Pieranunzi, Steve Swallow, Vincent Peirani… Sillonne le monde, probablement une influence majeure par sa virtuosité et la profondeur évocatrice de son jeu.
Découvert en France par Aldo Romano (encore un italien…), Francesco passe du jazz moderne (avec Emmanuel Bex) au jazz plus rock (Sax Pistols), et mêle les 2 avec son quartet « Tinissima » plein de folies, de puissance et d’humour, notamment dans ‘Monk’n Roll’ où il mélange morceaux de jazz et chansons pop dans d’hilarants tourbillons de sons dévastant l’idée que l’on se faisait de ces airs connus. Le dernier opus de ce quartet libertaire militant s’attaque au mythe de ‘Zorro’, Robin des bois latin !
La balade dans ce disque démarre d’un bon pas sur un sentier bien marqué que le crépuscule proche n’a pas encore masqué. Suffisamment de lumière pour discerner les couleurs des prairies et des rares fleurs que fait apparaître la chaleur de la clarinette sur une guitare bucolique, quoique un peu pressée…
L’obscurité s’épaissit, rodent farfadets et elfes, forêt enchantées d’orchidées vénéneuses et lucioles multicolores. Les instrumentistes évoluent côte à côte, ténor Lesterien et guitare Frisellette, l’un entraînant l’autre dans une démarche incertaine, sautillante, trébuchante, hésitante mais presque joyeuse.
Vient un espèce de pas de deux, complicité exacerbée de compagnons de toutes les routes. L’un s’échappe, l’autre le rejoint, guilleret, dans l’air qui s’est réchauffé.
Il fait presque nuit. Le pas s’est ralenti, on cherche le bon chemin, ne pas se perdre, la brume enveloppe les formes mouvantes et sombres. Les pieds s’enfoncent dans la terre trempée, les buissons gênent la marche pourtant lente. Des cris diffus de bêtes inconnus, invisibles…
Nuit noire. Une halte pour reprendre des repères. Ha, une piste, passe devant, non toi, ok ensemble, toujours ensemble !
Une lueur, au loin ? Espoir de chaleur, de repos. La faible clarté donne vie aux ombres. Chanson douce pour se donner du courage et chasser les mauvais esprits.
On s’approche de la maison, porte qui s’ouvre et se referme, volets qui occultent les lumières, échos de pas lointains, allez, on y va, ne flânons pas, attention aux branches ! Le chemin s’élargit, d’autres lumières brillent, le froid glace les pieds qui s’engourdissent, et si ce n’étaient que mirages ? Perdus !
Et voilà ! On se retrouve près d’un bon feu, joyeux et mystérieux. Maison inconnue, biscornue, mais où sont les gens ? Attends, on est dans un rêve. Et dehors, c’était aussi un rêve ? Oui.
Bon, c’est pas tout, y a encore de la route. Une dernière goutte et on s’arrache de ce havre, fut-il onirique. Quitte à rêver, si on prenait l’avion ? Tais toi, marche. Bon d’accord. Il fait meilleur en marchant vite. Hop !
Les deux compères sont redevenus lutins des bois qui changent de forme à volonté. Ce sont eux les ombres et les lumières, le froid et le feu, les arbres et les insectes, l’air et le brouillard. Ce sont bien eux qui nous ont promené pendant près d’une heure parmi nos désirs et nos doutes, vents et cordes en guise de baguettes magiques, et on a marché ! Et on en redemande. C’est trop beau ! Encore !

Chez : CAM Jazz / L’Autre Distribution
Par : Alain Fleche

https://www.francescobearzatti.com/albums/and-then-winter-came-again/

https://camjazz.bandcamp.com/album/francesco-bearzatti-federico-casagrande