Jeudi 27 juin 2024 – Eglise de Salles-Lavalette
Lavender Walk

Christelle Raquillet, flûtes, chant
Thomas Gaucher, guitare
Cyril Drapé, contrebasse
Quoi de mieux qu’une église pour la fraîcheur des sons, la flûte traversière de Christelle Raquillet s’élève avec légèreté, mais gourmande d’histoires à raconter, la guitare de Thomas Gaucher caresse le swing comme une brise, la contrebasse de Cyril Drapé construit son chemin élégamment, du trio se dégage une douceur.
Ils filent les demi-teintes, pas les fades, au contraire, celles qu’ordinairement on ne regarde pas et qui font pourtant toute la palette des couleurs d’une vie de sensibilité, d’observation attentive des instants, d’une feuille qui s’envole, d’une pensée qui la suit. On s’approche doucement de cette contemplation musicale qui sait décrire ce qui nous nourrit et que l’on ignore souvent. Les accords s’alanguissent ici traducteurs d’un temps, d’une horloge se délectant des minutes précieuses.
Et la voix de Christelle Raquiller emboîte le pas à la balade délicieuse et délicate empruntée par le trio pour atteindre un tempo feutré, à la cuisse dansante.
Aller chercher ainsi les aspérités, les anfractuosités, quelques lichens, quelques mousses dans le jazz : voilà une belle idée de Thomas Gaucher !
Aurions-nous oublié un instant la poésie de la langue anglaise quand elle raconte l’existence que nous la redécouvririons ici. Happyness de Christelle Raquillet, la joie n’est pas le bruit, mais parfois, en tout cas, une voix qui emplit en nuances fines l’âme ou l’exprime, au plus près. Les frissons vous connaissez ? C’est là… Guitare et contrebasse dans un accompagnement tout aussi mesuré.
L’harmonie entre ces trois-là et leurs instruments est remarquable, on désire juste se glisser au plus près pour profiter de leurs effets bénéfiques comme une paix animée.
A l’écoute de sons inhabituels, pas de confort ici, en effet, Thomas Gaucher accorde plus bas sa guitare pendant que Christelle Raquillet choisit une flûte basse -grand-mère de la traversière- ils vont ainsi avec un tempo bien maintenu par la contrebasse de Cyril Drapé, cahin-caha, dans un espace-temps aux parfums de petits matins tranquilles où la nature brillerait flattée par une atmosphère sereine, lieu privilégié et bienfaiteur.
Là, un crépuscule, la traversière a repris sa complainte, livreuse d’émotions tout aussi profondes, un peu flûte indienne inspirée.
Le retour de la flûte basse apporte la gravité à ce morceau solennel du contrebassiste Cyril Drapé, le ralenti entraîne une nouvelle respiration, chaque accord attend son écho comme respectueux, et la guitare de Thomas en fait son miel, et même son nectar. Nous y goûtons, heureux de cette offrande.
La voix de Christelle résonne maintenant comme les cordes de ses deux acolytes -un grain frôlant les sensations- pincées, elles frémissent encore apportant de nouvelles douceurs, de nouveaux état d’âme à la musique.
Le souffle de la fin de l’automne pour ce frétillement des sens traduit par la contrebasse volubile de Cyril, suivi du même engouement par la guitare de Thomas et la flûte de Christelle. Tout grouille et s’agite harmonieusement dans ce charmant humus sonore.
Un enchantement !
Anne Maurellet, photos Dom Imonk
Anaê

Sonia Cat-Berro, Aurélie Tyszblat, Jiji, chant
Gabriel Marques, guitare
Joli voyage en polyphonie avec ce trio Anaê, trois voix qui se fondent en une, se dissocient pour s’entrelacer. La guitare suave de Gabriel Marques les accompagne, soucieuse de restituer la langue brésilienne charnelle, parfois douloureuse, souvent tendre.
Voix délicates, dansantes scénarisant une histoire des meurtrissures. Foule sentimentale de Souchon prend la coloration brésilienne et s’en accommode fort. Gilberto Gil, Chico Buarque, Caetano Veloso revivent magnifiés par les trois chanteuses admiratives.
Elles détournent avec délice la 5e de Beethoven comme on dégusterait des fruits défendus dérobés à l’institution. Un triangle pour rythmer la guitare toute retournée en guise de percussion. Y en a un qui doit s’enjoyer dans sa tombe.
Elles serpentent ainsi le long des fantaisies de cette langue, malicieuses, joueuses, amoureuses de Rio.
Anne Maurellet, photos Dom Imonk
Vendredi 28 juin 2024 – Abbaye de Puypéroux – Montmoreau
Henri Texier « An Indian’s Life »

Henri Texier, contrebasse
Manu Codjia, guitare
Gautier Garrigue, batterie
Carlo Nardozza, trompette
Himiko Paganotti, chant
Sylvain Rifflet, saxophone, clarinette
Henri Texier ouvre la cavalcade. Le tempo affûté entraîne chaque musicien à la course folle et déterminé. La guitare de Manu Codjia toujours extrêmement aigüe, sensible, la trompette de Carlo Nardozza et le sax de Sylvain Rifflet tourbillonnent, la batterie de Gautier Garrigue maintient la vitesse. La contrebasse toujours volubile danse sous les doigts d’Henri Texier ou est-ce ses doigts qui survolent l’instrument… L’avancée nerveuse profite au batteur, la voix de Himiko Paganotti est le sixième instrument parmi les autres dévouée à l’Apache woman.
Le changement de rythme cherche le groove, l’enlace, le flatte, Manu Codjia l’irise, toujours à la pointe du son, il déploie les accords en myriades d’éclats, emboîté par le sax de Sylvain Rifflet bien sûr curieux des recoins, des méandres, qui creuse, fouille, arrondit, courbe l’instrument. Un récit, la complainte de celui qui a faim se distille dans le jeu de chacun, l’injustice traduite ainsi en musique, manifeste puissant que la trompette de Carlo Nardozza prolonge dans un cri long, accusateur, swing dénonciateur. La musique revendicatrice, au cœur de l’humain. Un homme affamé a été tué. Cri de la voix, des instruments de concert, l’histoire des Black Indians de la New Orleans pour trame.
Avec Dakota Mab, la voix d’Himiko traduit les injustices -les Sioux expatriés qui pourtant célèbrent la terre- et les six autres l’entourent comme une ronde protectrice et militante, la batterie tambourinant un message tribal, la guitare volubile suivie par la trompette, autant d’expressions des inégalités alors les instruments prennent une autre dimension, une autre fonction, leurs langages portent davantage encore, bienveillants pour les uns, inquisiteurs pour les autres, la voix fédératrice !
L’hommage à Charlie dans Mingus love call magnifique le grand musicien grâce à un swing joyeux, lumineux, les instruments dansants sur scène on ne peut dire autre chose.
La voix pleine, charnue, un peu grave aussi -et ça fait du bien- d’Himiko Paganotti est bercée par les instruments Black and blue, sax et trompette tout en courbes sensuelles. La contrebasse d’Henri Texier caresse le swing suave, en empathie avec les métissages, leçon de sagesse, d’ouverture. S’accepter tous, reconnaître chacun dans le mélange à la hauteur de ces entrelacements musicaux. Le choix de Prévert n’a rien d’anodin, le rêve et le plaidoyer politique glissé dans les mots, l’un et l’autre intriqués, les instruments fidèles traducteurs, traquant dans les mots et les idées, les actes ? comment ils peuvent aussi les transfigurer. Forces du propos et de la musique réunies ici. Alors bien sûr profondeur, gravité, lumière et espoir déambulent. Les instruments prennent une nouvelle épaisseur, voix comprise et, en même temps appellent un jazz archaïque. Le sax de Sylvain Rifflet livre toute son ampleur, son impertinence, son refus de la résignation tout comme la trompette, avec une accélération de tous pour augmenter la virulence, la batterie de Gautier Garrigue évidemment n’est pas en reste, fougueuse mais régulière en osmose avec la contrebasse d’Henri Texier. Le champ désespéré et lumineux de Manu Codjia toujours présent.
Quelle course magnifique et responsable. Les pulsations de vie respirent de chaque instrument !
Anne Maurellet, photos Alain Pelletier
Pierre Perchaud Quintet « Fleur d’immortelle »

Pierre Perchaud, guitares
Robinson Khoury, trombone
Christophe Panzani, saxophone
Tony Paeleman, claviers
Karl Jannuska, batterie
La guitare de Pierre Perchaud entre en méditation dès ses premiers accords, un swing soft se dessine avec un phare somptueux émergeant de la douce brume, le trombone de Robinson Khoury. Pierre passe à l’électrique délivrant ce monde intérieur ou l’exprimant ainsi davantage, et encourageant le piano à le rejoindre : retour à une ritournelle envoûtante, la lumière de Robinson réapparaît, éclairant au loin longuement ou par éclats rapides le chemin à prendre. Chaque note pour Echappée belle, et créant un virage les amène à une valse bancale qui s’emballe, attirée par un chaos habile, une tentation rock. Le sax cahote judicieusement et le quintet baltringue. La batterie de Karl Jannuska assure le tempo, tonique, accompagnée du piano et des claviers de Tony Paeleman.
Les pas de Pierre sont toujours mesurés pour des constructions extrêmement complexes et pourtant si séduisantes. C’est un mélange de traductions du monde environnant, de sensations intérieures et d’une poésie musicale : Picking the wind !
Chacun égrène les sons comme autant de bulles d’air apparaîtraient et disparaîtraient sans cesse. Quelques bouffées d’air effleurées dans le trombone de Robinson, la vie coule par petite touche impressionniste. le piano de Tony attrape les pizzicati et tous le rejoignent pour cette joyeuse suffocation des sens… Le retour, c’est l’harmonie, une paix intérieure, un apaisement progressif.
Avec Go on, éclatements de tous les sens, cacophonie bien organisée, tous cinq poussent les sons, les agacent, de cette fusion naît un rock un tantinet psychédélique avec une guitare extrêmement électrique, opération à cœur ouvert, on le voit palpiter, même pas peur, la batterie assureuse d’un pouls agité, pulsions aigües, hystérie enveloppante, euphorie libératrice. Le sax soprano décolle. Ô jubilation !
Et puis, ça ralentit, c’est pour mieux se délecter de l’accélération à venir.
Quelques accords de guitare acoustique de Pierre Perchaud et l’on pleurerait, une mélancolie colorée, la nostalgie du futur, quelque chose comme ça, un ailleurs enchanté où se lover. Les baguettes de Karl rebondissent avec élégance, la Fleur d’immortelle méritent bien ça…
Les mélodies sont très belles, comme nées d’une évidence, d’une simplicité, même si la complexité des compositions en sont à l’origine. Furtive, dernier morceau, sorte de tornade à l’enroulement lent dont l’intérieur soulève la terre, les êtres, des instruments en liberté habités comme ce quintet.
Nous attendons le disque.
Anne Maurellet, photos Alain Pelletier
Galerie photos
Dom Imonk, Alain Pelletier

















