Festival Les Nuits d’Hure
Soirée du 06 septembre 2024
Eric Séva, Daniel Zimmermann
Quel joli nom pour ce tout nouveau festival de jazz en Sud Gironde près de La Réole. Thierry WELLHOFF l’initiateur, programmateur et propriétaire des lieux a eu les bonnes idées non seulement d’oser ce projet dans une commune de 560 habitants : Hure, de programmer des musiciens et musiciennes de grand talent et de faire revivre le patrimoine local puisque la salle de concert n’est autre qu’un ancien séchoir à tabac à qui il offre ainsi une deuxième vie. L’accueil par les bénévoles est très sympathique, notamment par Jeff Béziade qui rythme les entrées, la salle affichant complet…Pas mal pour une première fois !
Restons sous le signe de l’inédit avec en première partie de soirée un duo peu conventionnel : le tromboniste Daniel Zimmermann et le saxophoniste baryton Eric Séva présentant leur album : « Deux souffleurs sur un fil » (Z’Arts de Garonne/L’autre Distribution).
Eric Séva nous confiera que pendant la période d’inactivité Covid propice à la réflexion, ils se sont contactés et l’idée de ce duo a germé, ils avaient joué ensemble il y a 15 ans dans le quartet d’Eric. Le projet a fait son chemin !
On se dit à priori que c’est gonflé d’associer seulement 2 instruments axés surtout sur des notes basses, sans piano, guitare ou batterie pour dérouler les harmonies ou marquer le rythme ! Dès le premier morceau « Oblivion » d’Astor Piazzolla on est épaté par le résultat, chacun jouant tour à tour la mélodie et l’accompagnement en passant de l’un à l’autre avec un tel brio, sans la moindre cassure si bien que l’on n’entend pas le passage de relais. De plus viennent s’y lover naturellement des improvisations de belle intensité : du travail d’orfèvre qui a certainement demandé pas mal de répétitions. « Luz d’Eus » : une composition lumineuse d’Eric célèbre chaleureusement ce village des Pyrénées Orientales avec ce supplément d’âme que les 2 compères mettent dans leurs envolées poétiques et joyeuses. Le public est conquis. Suit « Méditation profane », composition de Daniel sur la base de la musique gnaoua, un tour de force car cette musique du sud marocain a pour instruments de base cordes et percussions ! Nos 2 souffleurs nous embarquent dans une transe où les tempos sont marqués habilement par le baryton, Eric s’aidant de bruitages percussifs sur le corps et le bec de l’instrument, où le trombone et ses notes basses en boucle évoquent les sons et mouvements hypnotiques de cette musique. Le pari est gagné, le public ne s’y trompe pas !
« Libertango » de Piazzolla, tellement joué, dévoile une version totalement inédite où les instants lyriques et les broderies free concoctés par les deux subliment l’œuvre faisant mystérieusement oublier l’absence du bandonéon.
« Mademoiselle » de Daniel révèle toute la tendresse du propos (dédié à sa fille naissante) en jouant délicatement sur la tessiture de leurs soufflants. Ensuite, sur un morceau de la musique des Valseuses, sur un autre du tromboniste de Duke Ellington et sur le rappel « Indifférence » (une valse musette de Toni Murena), les 2 confirment qu’ils sont aussi intrépides qu’inventifs. Ce n’est pas étonnant si leur album « Deux souffleurs sur un fil » a obtenu les mentions « Choc » de Jazz Magazine et « Indispensable » de Jazz News !
Bref une première partie de soirée très réussie et très applaudie !
Sophisticated Ladies
La deuxième partie propose le quartet féminin Paola Vera Sophisticated Ladies, leur nom faisant référence à la revue de Broadway des années 1980 basée sur la musique de Duke Ellington. Le quartet est composé de Paola Vera (originaire de Londres) au piano et au chant, de Shekinah Rodz (venant de Puerto Rico) à la flûte, au saxophone et au chant, de Léonie Hey (de Stuttgart) à la contrebasse et de Rachaël Magidson (originaire de San Francisco) à la batterie, aux percussions, à la trompette et au chant. Palette internationale de musiciennes qui ont adopté notre pays et qui confirment (au cas où certains d’entre vous en douteriez encore ?) que la femme a plus d’une flèche à son arc ou plus d’un instrument à sa palette !
Joli démarrage avec « Little Sun Flower » de Freddie Hubbard où la flute diserte de Shekinah remplit avec fougue l’espace, Paola au piano porte la mélodie, la rythmique assure le groove teinté latino, le public ne boude pas son plaisir ! Puis la voix chaleureuse de Rachaël entonne « I’am Just a Lucky So & So » d’Ellington, immortalisé par Luis Armstrong et Ella Fitzgerald, Shekinah impressionnante de liberté lui emboite vivement le pas au sax ténor, le piano swingue à l’envi ! « Softly as in a Morning Sunrise » nous bascule dans un standard des années 1930 au rythme très soutenu où nos Ladies chantent, scatent et jouent allègrement, rythmique au taquet ! « Sumertime » de Gershwin révèle leurs dons vocaux : Shekina au chant, Paola et Rachaël en polyphonie : magnifique ! Leonie hyper placée à la contrebasse a une façon bien à elle de glisser sa main sur les cordes après les avoir tirées comme pour rallonger le son. Shekina envoie des phrasés puissants et variés au saxo, le balançant également pour des effets de son. Pour la suite elles nous baladeront brillamment avec voix et instruments de standard swing (« Fascinating Rythm » ou « Tin Tin Deo ») en chansons françaises (« La chanson d’Hélène », « C’est si bon », « Les feuilles mortes » en passant Blues et Latin jazz.
Dans « Hip Hat Blues » de Clark Terry, Rachaël nous happe à la trompette bouchée, Shekinah au saxo nous époustoufle de puissance et d’inventivité dans ses impros, Paola jongle habilement sur ses touches entre le velouté et le frappé et Léonie nous gratifie de son beau son lors d’un solo subtil.
Leur « latin groove » nous séduira encore sur « Apelo » de Baden Powell où jaillit le chant en chœur et en espagnol, le piano tendre, puis la flûte lyrique de Shekinah, les doux balais de Rachaël, et la contrebasse chaloupée de Léonie. Nous le retrouverons sur le final « afro-cubain » des « Feuilles Mortes » où chacune termine en apothéose, ovationnées par la salle.
Belle première soirée très convaincante pour ce nouveau festival à qui toute l’équipe d’Action Jazz souhaite une longue vie !
Par Martine Omiecinski, photos Philippe Marzat
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