33e festival d’altitude à Luz-Saint-Sauveur

Dimanche 14 juillet 2024

Hanne de Backer & Clara Levy

Hanne de Backer, clarinette basse, saxophone baryton
Clara Levy, violo
n

Il aura fallu se glisser imperceptiblement dans les sons d’ouverture. La nature près de la chapelle de Solférino facilite l’exercice. Un essaim de petits insectes sort du violon de Clara Lévy, une très fine mélodie se promène dans les doigts d’Hanne de Backer. Une brise dansante chatouille les herbes de la colline, en accord avec le jeu des deux musiciennes.

Le sax baryton d’Hanne vibre pendant que s’élève une voix éraillée du bec. Vibrations circulaires, Hanne sait tout faire et plus encore… Un ballet de papillons bavards surgit du violon rejoint par ceux du sax plein de légèreté et de vivacité délicate. 

Attaque en vue. Quelqu’oiseau affamé.

Silence. Où va l’improvisation ?

Un champ médiéval étouffé par le violon presque le son d’une vielle mais qui lui restitue son passé suggère des glissements infinis au sax d’Hanne. 

Hanne retrouve son souffle somptueux pour magnifier le sax, on est dans l’infinitésimal proche de cette douce matinée enfin estivale, on en observerait mieux les feuilles des arbres s’ébruiter.

Passage à un sax éraillé pour des notes toutefois gourmandes ; la respiration d’Hanne totalement engagée à l’instrument impressionne.

Prendraient-elles un autre chemin ? Clara propose une mélodie désaccordée, Hanne choisit alors d’y glisser la hanche de son sax comme une flûte de Pan provisoire, elle en tapote le bec perturbant habilement le violon. Frôlement d’élytres qui conduisent le violon à faire de même.

Elles sont chacune à l’affût de la moindre proposition de l’autre et l’improvisation nous montre bien là combien l’oreille doit accueillir l’invention inattendue et en faire dialogue. Leçon politique à retenir…

Et pour finir, le silence apparent de la nature.


Scratchwaters

Stéphane Gratteau, akutuk, flûte harmonique, vibra’eau, conque
Sabrina Guetiche, trompette
Florent Lalet, saxophone
Aude Marrisal, trombone
Mounaïm Rabahi, calebasses, percussions

Ils arrivent en fanfare au bord de la piscine municipale : deux tubas trafiqués, une caisse aquatique et deux tuyaux métalliques. Il va sans dire que nous sommes autour de la piscine, enfin faut ptet mieux préciser que les sacrés lurons en combinaison à épaulettes effrangées nous mettent dans l’ambiance ! Ils entrent dans l’eau accompagnés par des sirènes stridentes -encore des instruments repensés pour l’occasion- Ne pas oublier que battre l’eau fait musique si l’on sait l’allier à des calebasses et autre trombone. Tapotis à la surface. La fête peut continuer. Les flûtes improvisées participent à la joie ! Les percus cliquettent, ben oui ! les calebasses deviennent des verres que l’on ferait tinter. Ablutions incluses, ils chafustent le public avec des calebasses remplies d’eau, le jeu au bout de l’inventivité. Le sax soprano de Florent Lalet entame une sérénade, appuyé par la trompette de Sabrina Guetiche et le trombone d’Aude Marrisal enjôleurs juste ce qu’il faut. Tuyaux, bouteilles en plastique sont autant d’instruments que les baguettes alertes éveillent. Stéphane Gratteau utilise son vibra’eau, suivi par les quatre autres acolytes entichés de la même invention. Les cinq se déplacent en grappe, en rond, déambulent dans la piscine nous observant. Jouer certes mais avec quelle habilité et drôlerie. Nos batraciens -et, qui regarde qui…- créent une sonate pour tuyaux furtifs.

S’ensuit une bataille avec pistolets à eau ! et boucliers.

Des morceaux à la fantaisie tropicale, cymbales, percus, cloches, calebasses pour la marche « chaloupée », les cuivres à l’avant de la déambulation imaginaire. Bien sûr qu’ils sont toujours dans la piscine !…

Pour finir jazzy, « l’amour est trop haut » (eau?).  Evidemment qu’on le scande avec eux. Ô ! que oui.


Cheval Cheval

Mathias Bayle, batterie
Jean Lacarrière, saxophone, clarinette

Le free, ça part tout de suite. Ils sont à 200 km/h, il faut que les instruments jubilent ; la fureur du sax, on aime ça. Un temps suspendu ensuite pour allonger le son, laisser l’air prendre la forme de l’instrument. Le jeu très boisé de Mathias Bayle trace une géométrie en pointillé sur la batterie… La folie appelle des intervalles de paix pour le sax de Jean Lacarrière qui laisse place à la batterie plus ronde maintenant. Jean a pris sa clarinette pour de faibles signaux sonores dans la brume épaisse, à leur approche, les deux caisses claires sont balayées par Mathias, avec des airs d’après-midi lascive, juste une clarinette de plus en plus sonore, débordante, aux flux tumultueux. La merveille des sons aigus, c’est qu’ils s’agacent, instables, prêts à se superposer sans se rouler dessus.

Le free disloque, Mathias Bayle, par interstice, attrape une petite cloche, un tambourin, survole les cymbales. Par un son inattendu, arbitraire, la batterie fait sa prochaine ouverture et sa probable échappée, sa nouvelle liberté.

Une cloche grattée sur une petite cymbale suscite le retour du sax titillé,  je vais t’en donner du coffre, de l’époumoné, du puissant, de l’excès. Le sprint de la batterie ne faiblit pas bien au contraire, il remplit la page volante de cette musique entière. Noircir de courbes, de traits, de points, cet espace-là. Provoquer le jazz en le déconstruisant pour lui ouvrir les portes d’une liberté renouvelée.

Des sons d’alpage traverse la salle, un temps méditatif ? Pour une autre fenêtre à ouvrir, plus intense encore que les précédentes, conduisant  finalement à des bourrasques, des vents violents.

Mathias fait vibrer une cymbale posée sur les caisses claires, volatile, favorable à la clarinette de Jean. Douceur et tremblement. Désir de calme pour un son long, de plus en plus appuyé, des grondements de tonnerre dans le pied de Mathias, rapprochés, que je t’excite cette clarinette, ça doit cracher, exulter , dégouliner avec force , un volcan en éruption, c’est rien à côté.


Violoncelles Gaspar Klaus

Gaspar Klaus, Karsten Hochapfell, Julie Läderach, Soizic Lebrat, Lola Malique, Didier Petit, violoncelle

Ils enchaînent l’un après l’autre pour former une ronde presqu’un seul son pour une harmonie et un ciel serein, lumineux, le lien infini qui amène une paix intérieure totale. On peut entrer en soi rassuré par le partage. 

Changement de ton, la dysharmonie s’insère facilement, la musique aime la différence, efface les frontières. Didier Petit entame une mélodie grave, sa voix prolonge celle de son violoncelle comme un chant de beauté. Les six se rejoignent pour le frémissement imperceptible de leur archet sur chaque violoncelle. Six et un pourtant un pourtant un et six, ils descendent en gamme avec la même complicité, une méditation intime et collective. 

Quand ils frottent avec véhémence juste pour leur chuintement, c’est afin de magnifier la matière, le matériau, faire grincer les cordes en les aimant davantage, en laisser trois commencer une mélopée, Julie Läderach, Soizic Lebrat, Lola Malique, fédérer à nouveau, dissocier pour certains, tenter une cacophonie bienheureuse parce que la perfection est un piège et que définitivement les chemins chaotiques puis choisis construisent l’âme. Œuvre contemporaine pour cela aussi.

 IIs reviennent inlassablement à l’accord parfait celui de l’écoute.

 Gaspar Claus caresse son violoncelle, le griffe un peu, Karsten Hochapfell le fait pivoter sur lui-même en le tapant, Didier Petit le pose sur ses genoux, demi-tour volte-face. Ils cherchent des bruits, la décomposition, le décousu, l’hétéroclite, les grattements, passion, célébration de l’instrument que l’on espère, à qui l’on demande de tant donner, que l’on désire surprendre, dont on souhaite dénicher les trésors. Des bribes de Bach, des musiques des âges passés comme un grouillement obsessionnel, somme à dépasser, respectueuse rage à en découdre avec…, passer dessus l’avenir étant la seule solution.

Des accords furtifs comme un jeu de balle que se renverraient Didier et Gaspard à doigts menus. Une mélodie s’élève alors des six violoncelles, dépouillée comme un arbre aurait laissé ses feuilles à terre pour montrer son essentielle nudité.

La grâce.


Meule

Dorris Biayenda, batterie
Léo Kapes, batterie
Valentin Pedler, guitare, synthétiseur modulaire

Un vaisseau spatial en vue ! Si vous croyez être resté au sol, erreur, l’aspiration est immédiate à qui veut bien se laisser enlever. Deux batteries avec Dorris Biayenda et Léo Kapes aux baguettes qui maintiennent un tempo cool, une guitare avec chanteur intégré, Valentin Pedler. L’électrique crée l’artifice, ce qui vous fait vous trémousser sans vraiment vous en rendre compte, c’est hypnotique !

 Les trois découpent tout l’espace, la quadrature du cercle vraisemblablement. C’est un tempo suffisamment haché pour renvoyer à quelque chose de l’enfance, juste de petites trépidations appréciables à l’âge adulte parce qu’elles facilitent l’oubli. Vous recevez, vous absorbez. Vous vous balancez !

L’électronique fait figure de gourou rassurant, le pouls reste régulier, un peu rapide toutefois, avec des accélérations délicieuses. Pas besoin de substances, leur musique en est une.

 Evidemment, le répétitif y est pour quelque chose, il envoûte. Vous relâchez tout et ça fait pas de mal. On pourrait aller jusqu’à dire que ça dégage une certaine douceur. Planant, quoi ! 

Et symbiose avec le public, il y a…

 Dur de quitter ce festival ouvert, curieux et donc créatif. A très vite Jazz à Luz…

Par Anne Maurellet, photos Alain Pelletier (tamkka)

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