Soirée Jazz Club 360, Cénac le 27/11/2021
Par Dom Imonk, texte et photos.
Les portes de l’Entre deux Mers se sont de nouveau ouvertes en grand à Cénac, en particulier celles de sa Salle Culturelle, sorte d’écrin accueillant et généreux, offrant sur un même plateau jazz et gastronomie œnologique (*), lors de ses très appréciées Soirées Jazz Club 360, dont c’était la reprise, en ce samedi tant attendu. Nous y sommes tous attachés et, comme en tout refuge, nous avons l’impression d’y avoir notre rond de serviette. Active depuis de nombreuses années, l’Association Jazz360 s’est toujours engagée aux côtés des artistes de jazz, et en particulier celles et ceux de la jeune génération, en les programmant régulièrement, notamment lors du Festival Jazz360, ou des Soupers Jazz ou encore des Soirées Jazz Club 360 comme ce soir. Grâce au contrat de filière musique actuelle de la Région Nouvelle Aquitaine, l’association va encore plus loin dans son soutien en proposant des résidences rémunérées à des formations, ce qui en cette rude période est du pain béni pour elles, comme ce fut le cas pour Elio 4tet en février dernier, suivis en avril par Aurora, puis en novembre par Holocene. Il se dit même que d’autres se profileraient à l’horizon !
Au hasard d’une confidence, nous comprenons que le nom d’Elio 4tet est une nouvelle marque de l’amour que Jérôme Masco (saxophone, compositions), leader du groupe, porte au cinéma, Elio Petri est en effet un cinéaste italien réputé pour son engagement politique, qui connut ses heures de gloire dans les années 70. Une passion que l’on retrouve aussi dans les ciné-concerts de l’un de ses autres groupes, Yoshiwara, avec des spectacles tels que Le Cabinet du Docteur Caligari, ou plus récemment Le Train Mongol.
Notre saxophoniste est entouré de Xavier Duprat (claviers, compositions), de Flavien You (basse), ainsi que de Simon Pourbaix (batterie, machines électroniques), un collectif de musiciens émérites, à la forte personnalité, dont la sémillante complicité fait plaisir à voir ! En quelques mois, la musique a fait son chemin, les liens se sont noués, de résidences studieuses en probables répétitions privées, un peaufinage d’artisans minutieux appliqué à de belles histoires, dont la générosité de l’engagement ne devrait pas cesser d’évoluer, tant de douloureux sujets se bousculent à être évoqués ces temps-ci ! Ainsi, un espace dense et mobile, aux signes actuels captivants, a petit à petit dessiné les contours de son territoire créatif, mêlant acoustique et électricité. C’est ce que nous avons pu découvrir lors de ce concert en deux parties, où rien n’est acquis d’avance, c’est aussi (et heureusement) ça le jazz, même si l’on perçoit une écriture précise et réfléchie, mais qui s’ouvrira sans peine aux échappées.
Et ce, dès le début de ce film musical, où l’on nous annonce déjà une improvisation ! On aime ! Elio nous entraine alors en une « déambulation moderne », où, avec un soupçon de trac, tout semble se mettre naturellement en place. Les sons commencent à pétiller de partout, la rythmique frétille en montrant un peu ses muscles, alors que le saxophone fait chauffer doucement son cuivre et que les claviers ronronnent élégamment vers la fin, comme pour annoncer le superbe Fender Rhodes qui introduira à merveille « Ulice 1 L’Odyssée », premier des trois actes d’un beau voyage, au carnet de route chargé de sens. Alors qu’une intro de saxophone assez électronisée, le rack d’effets de Jérôme n’y est pas pour rien, puis une certaine répétitivité rhodes ala Terry Riley, auront suffi à subtilement croquer le portrait sans fard de la «Force de travail », nous voici déjà rendus à l’acte 2 du voyage d’Ulice. L’Île ! Parfum énigmatique des premiers accords, servis par la voix aérienne du saxophone, portée par les nappes de velours des claviers et par une rythmique à la délicatesse des traits du fusain. Nous sommes invités à fouler le sol de ce lieu magique, en l’admirant avec l’émerveillement interrogatif que nous permettraient les « Infant Eyes » d’un Wayne Shorter, que le mood du morceau nous rappelle. Nous y sommes et nous volons haut, dans des rêves neufs !
Il est clair comme un ciel bleu qu’Elio est un groupe ouvert et libre, au point qu’il fera sien le « La nuit je mens » d’Alain Bashung, surprise du groupe, impeccablement ouverte par un solo de batterie de Simon Pourbaix. Batteur d’âme et d’envies doubles, il animera également, de sa science souriante d’inventeur electro le « Shifumi » qui suivra, ainsi que « Indivisiblis», traversé par un très beau chorus de basse de Flavien You, son complice de rythme, qui a nourri de son jeu riche et gambadeur les deux sets, et a lui aussi le pouvoir de se dédoubler grâce à un respectable rack d’effets ! Alors étaient-ils quatre ou huit ? Nous ne nous posons même plus la question !
On n’oubliera surtout pas le rôle déterminant de Xavier Duprat, par ses généreuses parties de claviers qui participent à la profondeur et à la couleur du groove singulier d’Elio, mais aussi par ses compositions, « Comme un Mantra » ou encore « XD6 », sorte de saisissant chant d’espoir, de ralliement, qui, enrichi du verbe chaleureux de Jérôme Masco, n’est pas sans rappeler le souffle amérindien eighties d’un Jim Pepper. Même impression lorsque nous nous étions auparavant laissés entrainer par « Ulice 3 L’Horizon », le troisième acte du voyage, son ambiance sereine et lumineuse plutôt seventies évoquant par moment les expériences libertaires de Pharoah Sanders et Léon Thomas. Enfin, autres instants émotion avec deux derniers morceaux de Jérôme Masco, « Midi à 14 heures », dédié à un ami disparu. Tout en douceur mélancolique, la chaleur d’une mémoire amie. Très engagé, humain et émouvant ! Et enfin la part du voyageur poète, exprimée dans cette « Villa Llanquin », pépite blottie au pied de la cordillère des Andes, un tout petit village auquel on accède par une seule passerelle !
Au final, très beau concert d’un groupe pétri (**) de bonnes intentions, qui a captivé l’assistance, par des compositions modernes et évolutives, où flèches de jazz acoustiques et électroniques se sont télescopées avec bonheur, créant un feu d’artifice de trouvailles sonores, un vocabulaire universel à la touche tant soit peu militante, propices à l’éveil de la prise de conscience et, surtout, à une furieuse envie de les revoir bientôt !
Merci et bravo à Elio 4et et à Jazz 360, dont la programmation 2022 se trouve déjà sur le site, en particulier celle de l’incontournable Festival Jazz 360 début juin, avec une très belle affiche !
https://www.facebook.com/elioquartet
(*) Ce soir c’étaient les vins du Château Les Conseillans qui nous ont régalés !
(**) Ok, il fallait bien que je la fasse !
Galerie photos :