Auditorium de l’Opéra de Bordeaux, 13 novembre 2021

Depuis longtemps Action Jazz essayait de nouer des relations avec l’Opéra de Bordeaux où à l’Auditorium se déroulent de temps en temps des concerts de jazz, souvent prestigieux, noyés dans une programmation classique très fournie. Nos colonnes en ont déjà relaté certains, Chick Corea en 2018, Monty Alexander en 2019 et Jean-Marc Montaut en 2020 ; Cette année une convention entre l’Opéra de Bordeaux et Action Jazz vient d’être signée pour sept concerts de jazz de la saison avec à chaque fois deux places à gagner pour nos adhérents !

Ce samedi c’était le premier de cette saison 2021-2022 qui, nous l’espérons tous, ne sera pas perturbée comme la précédente. Le festival « L’Esprit du Piano », dont ce concert faisait partie et créé en 2010, avait d’ailleurs dû être annulé l’an dernier, à deux évènements près, sans public, diffusés « en ligne ».

Ce concert est donc annoncé comme du jazz avec le pianiste franco américain Dan Tepfer pour des Variations Golberg avec improvisations. A son arrivée sur l’immense scène où le piano semble bien seul, Dan Tepfer se présente de suite comme un pianiste de jazz. Ne l’avait-on pas vu au club de jazz le Caillou il y a quelques années avec Lee Konitz ? A l’âge de 13 ans il est tombé amoureux de cette œuvre de Bach et a commencé à la travailler et à la jouer plus tard, devenu adulte. L’idée de l’interpréter – au vrai sens du terme – en concert avec ses propres improvisations lui est venue plus tard, un disque étant enregistré en 2011 ; cela reste toujours une aventure pour lui. Pour lui ces Variations s’apparentent à la structure des morceaux de jazz. Un thème de départ , l’Aria, puis trente variations donc, souvent très courtes comme les chorus que les musiciens de jazz introduisent, avec leurs émotions, leurs diversions et enfin un retour au thème avec l’Aria final. J.S. Bach nous dit-il était peut-être plus réputé à son époque comme improvisateur que comme compositeur. Voilà donc le parallèle tracé entre deux mondes souvent bien éloignés. On va voir qu’ils le sont toujours.

Dans cette magnifique cathédrale de bois blond plutôt destinée à la musique classique, la Grande paraît-il, le public, souvent abonné, est lui aussi assez classique. Les codes y sont différents, le silence règne, intimidant presque, on se retient de respirer entre les mouvements, on étouffe ses émotions, point de chorus applaudi comme au jazz, point d’encouragement bruyant à l’artiste, on écoute, religieusement oserais-je dire. Autant dire qu’en tant qu’habitué des clubs de jazz souvent agités – trop parfois quand on y boit et dîne en même temps – ou même des concerts amplifiés ou non, du trio au big band, cet univers a tendance à me glacer un peu. La structure de l’œuvre avec ses variations courtes dans lesquelles on n’a pas le temps de s’installer, les blancs qui les séparent, ajoutent à mon étonnement. Bien que ne connaissant pas trop l’œuvre originale, j’arrive cependant assez vite à distinguer les parties improvisées, le fond d’harmonies restant le même, je ressens les variations de ces Variations, la réelle créativité de l’artiste au service de la partition qu’il a non pas sur le pupitre de piano mais dans la tête. Mais on est vraiment loin des adaptations de Bach en swing de Jacques Loussier ou même de celles plus récentes de Dimitri Naïditch dont j’avais chroniqué l’album récemment . Je me mors les doigts d’avoir raté son concert quelques jours avant dans le cadre de ce même festival dédié au piano ; je ne l’ai pas su. Je cherche souvent l’assaisonnement jazz de l’œuvre ; tiens Dan Tepfer chantonne, marmonne comme Erroll Garner mais Glenn Gould le faisait aussi sur son enregistrement de référence des Variations Goldberg  ; tiens je pense furtivement à Keith Jarrett sur quelques mesures, à Brad Meldhau… Bizarrement des personnes, cinq ou six, quittent successivement la salle, assez vite, des purs classiques choqués par l’audace hérétique de Dan Tapfer des purs jazz – terme et style indéfinissables d’ailleurs – n’ayant pas trouvé le swing attendu ? Personnellement et avec curiosité je mène ce qui est pour moi une expérience, jusqu’au bout. Non seulement aucun regret mais une réelle satisfaction, la découverte de nouvelles frontières d’une de mes musiques favorites.

Courageux pour ce pianiste de jazz que d’aller semer un – léger – désordre dans ce monde aux codes différents qu’est le Classique. Mais il en a le talent, les moyens, la virtuosité, la sensibilité, il est remarquable.

Dans quelques jours je reviendrai ici pour le trio de Rolando Luna et son jazz cubain, je m’y sentirai certainement plus à l’aise, on en reparlera. Un photographe d’Action Jazz accrédité sera présent cette fois.

Philippe Desmond