Contrefaçons aux Mercredis du Jazz
L’Entrepôt au Haillan le 29/11/2023
Soutien indéfectible de la jeune génération du jazz, et partenaire fidèle d’Action Jazz, L’Entrepôt le Haillan a accueilli le groupe Contrefaçons aux Mercredis du Haillan. Ce quintet de jeunes talents a obtenu le Prix Découverte au Tremplin Action Jazz 2023. Il fait suite en ce lieu à d’autres lauréats qui avaient également été invités à l’Entrepôt, par exemple TùCA et Aurora.
Vincent Le Bras, pianiste et compositeur inspiré qui mène ce projet, nous explique d’abord son intéressant et osé concept, ainsi résumé : « Contrefaçons », issu des « Contrafacts » en anglais, c’est « s’amuser à écrire une nouvelle mélodie sur des harmonies préexistantes ». Tout est dit, ou presque ! Le célèbre Charlie Parker avait déjà fait ça dans le passé, ainsi que, plus récemment, la pianiste japonaise Miki Yamanaka basée à New-York, avec le morceau « That aint’Betty » qu’elle annonce comme un « contrafact » du « Along came Betty » de Benny Golson, l’une des compositions de son nouvel album « Shades of Rainbow », chroniqué dans nos colonnes, que nous vous conseillons vivement.
Pour accomplir son singulier dessein, notre pianiste n’a pas hésité à s’entourer de la fine fleur des fureteurs surdoués du new jazz néo-aquitain (dont certains échappés temporairement à Paris) que sont Pierre Thiot (saxophones alto et ténor), Paolo Chatet (trompette, bugle), Esteban Bardet (contrebasse) et Thomas Galvan (batterie). Une équipe idéale pour inventer un langage musical futur – empruntant un peu au classique et beaucoup au jazz des sixties – en tentant d’imiter voire de transformer le verbe du passé, sans le plagier, en le contrefaisant comme des illusionnistes, grâce à des idées tatouées d’intonations neuves, qui sortent d’un chapeau comme par enchantement. Allez, nous allons tout vous raconter !
C’est l’étonnant « D’ici l’épilepsie » qui ouvre le concert, une formulation joliment surréaliste pour ce bel hommage à Dizzy Gillespsie, qui l’était peut-être déjà lui-même à l’aube des fifties, connexion naturelle et souriante ! Puis voici une mini intro à une « Night at the Opera » imaginaire, avec « Ouverture », c’est vivant en diable, le lien à la musique classique est furtif mais évident, piano en mode répétitif (Glass ? Reich ?), avec des envolées très libres et aérées des soufflants dont les unissons sont déjà sidérants, c’est fou ! Pompage basse effréné, encore des cris cuivrés, le piano insiste, c’est beau ! Nous sommes à l’opéra, peut-être plutôt face à une joyeuse opérette new-look !
Suit « Entrelacs », un mini concerto pour trompette et saxophone (alto) entrelacés, un régal ! Afin de calmer le jeu, Vincent Le Bras nous propose alors une « Balade », l’occasion pour Pierre Thiot de passer au ténor, et de nous gratifier d’un très beau solo, avec ces petits finish free dont il a le secret ! L’ensemble est onirique et open space, comprenez « à 360 ° », une force tranquille collective émanant de cela. Petit ton subtil un peu sépia, mélancolie portée par une très belle complicité cuivrée, par une rythmique associée, dont l’ampleur espacée crée en pointillés une forêt miniature sonore et chantante, et par le moelleux clavier. Un tantinet discret, il enlumine pourtant le tout. Un belle composition, le public aime !
Place à « Phraseology », et à un peu de blues, celui qu’on apprend au début. Retour au saxophone alto, ses traits brûlants sont de nouveau associés à ceux de la trompette qui les attendait ! Contrebasse en walking et batterie assurée portent le tout avec agilité et élégance. Survient un beau chorus du leader, puis de la trompette, qui s’envole tranchante et précise en tutoyant les anges bleutés. Mais sans crier gare, voici que l’alto reprend la parole avec l’élan vertigineux de certains altistes des sixties, séquence alpine, limite saut à l’élastique ! La rythmique veille, et le solo de batterie assez musclé de Thomas Galvan vient river son clou. Encore une très belle pièce.
Beaucoup de fraicheur et d’ingénuité animent maintenant « Valse Super Hot », nouveau morceau. Un bel hommage à Sonny Rollins mais aussi aux grands-parents de Vincent Le Bras qui s’étaient connus dans un bal. Quelle évocation ! Couleurs, sourires, cheveux aux vents, jolies notes du clavier, semblables à des lampions de fêtes d’été, aux lueurs celtiques, qui se balancent dans l’ivresse joyeuse, comme la part des anges. Superbe chorus de saxophone ténor à la Rollins, censé peut-être représenter l’envol vers des cieux adultes. Ampleur, verbe riche et vivant, et tout le groupe suit derrière, formant le pacte imaginaire et fragile des jours heureux. Puis voici un solo de contrebasse, qui monte et descend son escalier de touches émotionnelles, les arches boisées d’une généreuse cathédrale improvisée. L’un des thèmes phares de la soirée, dont le final est aussi touchant que la fin heureuse d’un film.
Avec « Faciès », clin d’œil minéral et rocheux, retour à l’alto et au bugle, et c’est de nouveau un solo de contrebasse, qui l’ouvre d’originale façon. Le clavier offre de chaudes couleurs et partira bientôt en un chorus tournoyant, épaulé par une batterie en accélérations appuyées, tandis que Paolo Chatet a décidé de nous narguer d’un époustouflant chorus lyrique, traversant l’air tel un oiseau insaisissable. Efficacité des breaks, qui captivent l’attention, point de répit ! C’est fini ? Non !
En guise de rappel, les Contrefaçons ne se sont pas fait prier, et nous ont gâtés avec un deuxième nouveau morceau qui est en fait une reprise du standard « Stomping at the Savoy » (NYC), rebaptisé « Stomping at l’Entrepôt ». Ténor et trompette associent une dernière fois leur souffle en impacts brefs comme des cris. Saisissant ! Puis retour au thème, et encore un très beau chorus de claviers, au charme suranné late fifties/early sixties, mais réactualisé, un dernier solo de trompette enfin, tandis que la rythmique pompe et « stompe » à ravir ! L’équipe termine à l’unisson et puis fading ! Bon, là, c’est fini ! Quel beau concert, à la fois original et aventureux, mêlant habilement tradition et modernité ! Rien que pour la fraîcheur significative de son titre, citons le « Old and new dreams » de Dewey Redman, dont l’esprit, enrichi du piano, s’est aussi par moment retrouvé ce soir !
Merci aux épatants musiciens de Contrefaçons, aux Mercredis du Haillan et à Action Jazz pour ce beau rendez-vous, et au public de ne pas l’avoir boudé malgré les intempéries ! Enfin, surveillez bien leurs futures apparitions, et venez-y, vous ne le regretterez pas, et qui sait, peut-être y-aura-t-il un disque à venir ? Ce sont nos souhaits les plus chers !
Par Dom Imonk, photos Christine Sardaine et Frédéric Boudou
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