Rocher de Palmer Cenon – 25 mai 2022

Avishai Cohen : trompette, effets, mini synthétiseur

Yonatan Albalak : guitare basse, effets, sifflements

Uzi Ramirez : guitare, effets

Ziv Ravitz : batterie, effets, samples

Aviv Cohen : batterie

En Mars 2020, Avishai Cohen (le trompettiste) sort chez ECM un nouvel album, « Big Vicious« , avec une splendide reprise de « Teardrop », un des tubes de Massive Attack.

Est-ce alors, une évolution, une révolution, comme Prince a pu le faire en devenant « Love Symbol » ?

Difficile de le dire encore, mais il faut une bonne dose de second degré et d’audace pour se dire « gros vicieux » ! Bon, je vous livre la traduction de « Big Vicious », comme elle me vient !

Avec « Big Vicious », Avishai Cohen introduit un son plus dur, plus torturé et assume un propos aux influences multiples, dont le rock, le hip hop et l’électro. C’est aussi le nom de son groupe, portant fièrement des salopettes de garagistes de couleur bleue, rouge, noire, floquées du logo BV comme Big Vicious. Formé il y a six ans en Israël, ce groupe est avant tout une bande de vieux copains. Avishai Cohen et Uzi Ramirez étaient camarades de classe à Tel Aviv, et Yonatan Albalak et le batteur Aviv Cohen originaires de Jérusalem ont joué ensemble dans plusieurs groupes. C’est le noyau initial de Big Vicious, auquel s’est ajouté plus tard le prolifique Ziv Ravitz qui a fait partie du premier quartet acoustique d’Avishai Cohen.

Plus discret que son homonyme et ainé, le bassiste Avishai Cohen, cet Avishai-là n’a aucun lien de parenté avec l’autre (vous suivez !). Né en Israël dans une famille de musiciens, il étudie au célèbre Berklee College of Music de Boston avant de s’installer à New York et signe avec ce nouveau projet, (le 4ème chez ECM) son 11ème ouvrage, tout de même !

Quand on est trompettiste de jazz, il est bien difficile de ne pas tomber dans la voie Chet Baker ou Miles Davis, même sans le vouloir. Erik Truffaz a réussi à tracer un autre chemin, et selon moi, Avishai Cohen laissera aussi une trace toute singulière dans le jazz.

Et c’est là que certains auditeurs peuvent s’interroger. Est-ce encore du jazz. Chroniqueur amateur, je tente de vous livrer mes impressions, mais je reste toujours curieux du ressenti d’autrui. A la sortie de la salle 650 du Rocher de Palmer, les avis divergent. Appréciée ou pas, en tout cas, personne ne reste insensible à cette esthétique unique.

Comme pour rassurer ses auditeurs, Avishai dit en interview « On vient tous du jazz, mais certains d’entre nous s’en sont émancipés plus tôt que les autres. Tout le monde apporte son vécu, et participe ainsi à l’élaboration du son du groupe. Nous avons peut-être travaillé sur la musique pendant des mois, mais finalement l’ambiance de l’album est celle que nous avons ressentie pendant ces trois jours d’enregistrement. Cela ressemble toujours à du jazz dans ce sens. Nous avons une confiance mutuelle et la seule question est : qu’est-ce qui fait résonner la musique ? Ce qui nous intéresse, c’est de faire des chansons. À ses débuts, le groupe a commencé à jouer énormément de vieilles chansons, principalement des années 90, parce que c’est un truc générationnel, c’est ce qu’on écoutait quand on était à l’école », explique Avishai Cohen dans le rédactionnel de presse du projet Big Vicious.

Cela se ressent vraiment en live, « Big Vicious » est un projet collaboratif avant tout, bien plus que les précédents. Il y a beaucoup de choses à apprécier dans cet amas sonore et rythmique ; on sent qu’après avoir passé autant de temps ensemble, et peut-être aussi avec la maturation forcée des 2 années pandémiques, ce groupe de potes très affûté donne une autre dimension à cette musique sur la scène, un je ne sais quoi plus dynamique, plus complice, plus organique, plus intuitif qu’il ne l’est sur disque.

Fini l’introspection et la mélancolie planante des précédents concerts ; place à de nouvelles intentions faites de partage, de surprises, voire de légèreté et d’exubérance. Tantôt nerveux, tendu fiévreux, tantôt tendre, rêveur, suave et susurrant, le son de la trompette et celui du groupe embarque l’auditeur dans une série de scènes différentes, sans vraiment s’arrêter. A Cannes, on parlerait d’un travelling en plan séquence ou le mot « coupez » n’arrive qu’à la toute fin, juste avant le générique.

Du jazz oui, sans aucun doute ! Autant de liberté, autant d’inconnu, des chorus, des sonorités improbables, deux batteurs, une basse électrique jouée en cordes frottées version rythmique… Cette exploration permanente c’est forcément du jazz. Ne jamais se contenter de faire juste bien, mais toujours différemment mieux, c’est ça le jazz, non ?

En tout cas c’est ce que donne à penser cette équipe de « garagistes » sonores, toujours les doigts fourrés dans la mécanique. Et vas-y que ça bidouille, trifouille, tripatouille les effets dans tous les sens… On comprend mieux alors l’usage de la salopette ; une durit pourrait lâcher à tout moment. En tout cas ça éclabousse les oreilles ! Même s’il semble parfois difficile de s’y retrouver… S’il vous plait ? On est au début du nouveau morceau ou encore à la fin du précédent ? Peu importe ! On est pris dans cette ambiance. Sans pour autant communiquer longuement avec le public Avishai réussit à nous embarquer dans son univers fait de rythmiques, de mélodies et de sons d’une originalité totale et d’une esthétique très aboutie, à l’image des breaks percutants et aléatoires sur le 1er rappel.

Ce qui pourrait passer à première écoute pour une création volontairement foutraque, s’organise peu à peu en musique savamment complexe, mais pourtant, accessible par son dynamisme, sa joie, sa sensibilité et sa fraîcheur irrésistibles.

Si vous avez manqué cette performance, séance de rattrapage sur Youtube (un peu moins sympa que le concert au Rocher, à mon avis) : Live à la « Elbphilharmonie » de Hambourg (Allemagne)

Set list :

  • Flamenco Sketches
  • Impro / Look Up, George
  • Moonlight Sonata
  • Honey Fountain
  • Drum Solo
  • Hidden Chamber
  • Bass Solo
  • Saturn Return / Fractals
  • Teno Neno
  • Tear Drop

Rappel :

  • Betray
  • Intent

Signé : David Bert pour les images, Vince pour les commentaires

Galerie photos couleur et noir et blanc :