Samedi 7 juin Cénac
Jiang Nan

Les fidèles du Festival Jazz360 aiment se rendre à la Bibliothèque de Cénac, pour y découvrir des musicien.ne.s y présenter leurs instruments et carrières. Cela se passe le premier samedi matin de l’édition, l’occasion d’instructifs échanges. Nous y avions déjà rencontré, en formule solo, le guitariste Eddie Dhaini en 2022, le vibraphoniste Félix Robin en 2023, la harpiste Camille Heim, ainsi que le pianiste Giovanni Mirabassi pour une conférence spéciale, en 2024. L’occasion rêvée de les écouter, en avant-première de leurs concerts à venir le jour-même, de midi jusqu’au soir.
Au fil des ans, cette attachante Bibliothèque est devenue un vrai « Cabinet de curiosités », dont l’esprit ne risquait pas de changer pour cette 16° édition, avec l’invitation de Jiang Nan, virtuose chinoise du « guzheng », une cithare traditionnelle à 21 cordes.
Née à Quanzhou (province du Fujian), au Sud-Est de la Chine, Jiang Nan a grandi dans une riche ambiance musicale, ses parents pratiquant la danse et le chant. Elle a étudié à Shanghai et Xiamen, ville où elle a également professé, puis a joué en Chine et à Taïwan, avec des distinctions à la clé. Basée depuis dix ans à Toulouse, ses divers concerts aux styles très variés, et ses nombreuses collaborations lui ont valu reconnaissance unanime de ses pairs, ce qui fait de sa présence aujourd’hui un évènement.
Jiang Nan a d’abord indiqué que les origines du guzheng remontent à 2 500 ans, assistance ébahie à ces mots. Écouter un tel instrument aujourd’hui, ça tient du miracle ! Des explications techniques sont ensuite données sur sa complexité, comme ses 21 cordes disposées sur 21 chevalets mobiles, avec déplacements fréquents pour les réglages liés à diverses gammes, cordes pincées main droite, appuyées main gauche pour les variations de timbres, réglages complémentaires à la clé partie droite etc… Des informations ont aussi été livrées sur la teneur des cordes, sur les bois de paulownia et d’acajou dont le guzheng est constitué. Fut également abordée la notion de gamme pentatonique, et quelques autres pointues considérations. Imaginez les regards troublés des néophytes que nous sommes !
Les propos de Jiang Lan sur les variations d’utilisations liées à la géographie ou aux époques furent passionnants. Diverses écoles existent. Mélodies ondulantes dans les hauts plateaux du Nord-Est de la Chine, ton plus robuste et rude dans les années 70, musique du Centre où les morceaux sont joués en cordes molles évoquant la tristesse et la mélancolique, souvent en monophonie. Il a aussi été question de l’École du Sud, dans la région Cantonaise. Climat doux, beauté de l’environnement, musique plus simple, modération et équilibre. Jiang Nan évoque Confucius. « Le joyeux avec modération, le triste sans affectation ».
Elle ajoute que 70% de cette musique est jouée avec effet main gauche. Do ré mi fa sol, et souvent les notes sont instables, suivant le mode. Une bizarre « beauté pathologique ». Évocation de l’école moderne, comportant moins de décorations main gauche, un style épuré et élégant. Allusion sonore à la pluie qui tombe sur le bambou et à la soie, au Sud du Fleuve Bleu. Les paroles de Jiang Nan sont de la pure poésie. Elle nous indique enfin qu’à partir des années 50, s’est créé à Shanghai un instrument modernisé plus pratique, formé en S à gauche, nettement plus court que le guzheng.
Jiang Nan nous propose alors un dernier morceau avec déplacement des chevalets. La sonorité est effectivement changée, « Ce n’est plus le pentatonique sage ». Nous sommes enchantés par cet instrument aux sons cristallins chargés de rêves, de poésie et d’histoire, aux mains d’une remarquable musicienne, passeuse d’émotion. Elle répond aimablement aux questions dans un français irréprochable, public attentif et ravi, enfants subjugués. Une incroyable rencontre, qui laisse supposer que beaucoup assisteront cet après-midi au concert du Parade Trio dont elle fait partie. Impatients, nous y serons aussi !
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Milo et Robin

Repère des épicuriens mélomanes, tendance jazz addicts, le Restaurant les Acacias de Cénac est réputé pour être depuis longtemps l’un des fidèles complices de Jazz360, dans ses formules SoupéJazz, en cours d’année ou comme hier soir avec le duo Black Bird, ou LunchJazz, qui invitait ce midi le Milo & Robin Duo. L’établissement donne carte blanche à de jeunes talents girondins, la réputation de certains n’étant plus à faire.
Milo Radonic est un chanteur très prometteur, qui se forme actuellement au Conservatoire de Bordeaux, dont il est membre soliste du chœur du Big Band (cf. leur magnifique hommage à Claude Nougaro !) et Robin Magord, remarquable pianiste, claviériste et compositeur, très sollicité, ses multiples collaborations à des formations reconnues, du jazz à la soul, en passant par le groove et le funk « intergalactique », forçant au respect. Citons entre autres Alexis Evans, The Kilometers ou encore Shaolin Temple Defenders.
Au menu une riche liste de célèbres pépites réparties en deux sets. Les compères sont sur la même longueur d’onde, pour faire revivre ces morceaux du passé, avec un feeling d’aujourd’hui qui reconnecte nos mémoires. Voix et clavier s’entremêlent subtilement, libérant quand il le faut de savoureuses improvisations. Notre bloc note se noircit à vue d’œil (et d’oreilles) des titres qui nous ont fait rêver et que le Milo & Robin Duo réinvente à chaque note.
La voix « blue eyed soul » de Milo rend grâce avec précision et élégance à des géants du styles, le maestro Stevie Wonder en tête et des joyaux de son cru dont le titre dit tout : « Looking for another pure love », « Overjoyed » ou encore « Blame it on the sun ». Robin s’en régale en plaquant de subtils accords qui instantanément réactive la magie de ces thèmes ! Mais il n’y a pas que ça dans le genre, sont aussi au menu « Georgia on my mind » le hit planétaire du « genius » Ray Charles, et « Wait for me » du célèbre duo soulful Darryl Hall & John Oates. Beaucoup de finesse et de respect dans ces reprises.
Ces garçons savent tout jouer, et la pop n’a pas de secret pour eux, les Beatles par exemple avec « Blackbird » et « Michele » réarrangé par Milo, sa voix placée entre low et haut perché, un soupçon scateuse, ce qui lui sied à merveille. Un peu rêveuse, en équilibre sur un fil, le clavier doux et sensible la soutient à la moindre note, puis le voilà parti en solo. Nous avons aussi aimé « Shape of my heart » de Sting, tiré de la bo du film « Leon » de Luc Besson, une reprise assez soul.
Et le jazz dans tout ça nous direz-vous ? Mais il y en a et pas des moindres ! Très férus de la note bleue, Milo et Robin nous ont gâtés avec des morceaux phares toutes tendances confondues de l’histoire du jazz, repris avec beaucoup de sensibilité. Choix de grande classe où l’on déguste « It could happen to you » connue de Chet Baker (Burke/Van Heusen), en version soul, « I dont know what time it was » de Rodgers & Hart, voix chaleureuse de Milo et joli chorus de Robin, « Four » et « Solar », deux perles rares du « Prince of Darkness » Miles Davis, belles versions portées par un clavier ondulant et soloisant et un scat agile et audacieux. Nous sommes comblés !
Allez, soyons fous, juste un petit détour ensoleillé par « Triste » d’Antonio Carlos Jobim, interprétée d’une voix fidèle à celle du maestro, et caressée de suaves claviers, avec en prime un solo so brazil !
Fin des dégustations, très originales et actuelles, avec « Afro Blue » de John Coltrane, mais attention, dans l’esprit du Robert Glasper’s Experiment et Erykah Badu. Une merveille arrangée par Robin Magord, gratifiée d’un chorus inspiré et presque spirituel. C’est déjà le rappel, alors la grosse cerise sur le gâteau, c’est le très soul new age « Tron song » de Thundercat. Une belle surprise LA style, certes osée mais ô combien réussie, qui conclue à merveille ce délicieux festin ! Big Up sincère et amical à Milo & Robin pour ces moments exquis !
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Eddie Dhaini quartet

Très actif sur la scène régionale, Eddie Dhaini évolue principalement dans le jazz, et sa diversité la plus inspirante. Il participe ainsi à de nombreux projets comme le Flora Estel Swingtet Quartet, Madame, Grappeli my Love, Canto ou encore Tarab. Il se produit aussi en solo.
Le Eddie Dhaini Quartet est sa formation jazz, un quartet qui a été récompensé en 2023 par le Prix Action Jazz lors du 10° Tremplin Action Jazz, et par un prix spécial au trompettiste Loïc Guenneguez, le jury saluant la qualité d’écriture et de jeu, ouvert à l’autre par des interactions permettant l’improvisation, ce que nous avons pu constater aujourd’hui.
Sous les Tilleuls il faisait bon écouter la musique de ce groupe formé par Eddie Dhaini (guitare, compositions), Paolo Chatet (trompette), Louis Laville (contrebasse) et Baptiste Castets (batterie).
C’est « De la Vega » (Eddie Dhaini) qui a démarré le concert. Un morceau un peu mélancolique, traversé d’une belle attaque de trompette et d’un solo de contrebasse net et précis, la guitare toute en fine dentelle. « Blake » (Baptiste Castets) a suivi sur un low tempo méditatif, rappelant un peu une complicité de jadis entre Bill Frisell et Ron Miles, ce thème est d’ailleurs tiré de l’excellent album « Patience » du batteur.
Mais ne croyez pas qu’Eddie et ses camarades soient si calmes que ça. La preuve, nous incitant à bouger, « A Pedro » (ED) nous pique dès le début par sa basse grondante, et sa guitare un tantinet caribéenne. La fête se poursuit avec un solo dansant de Louis accompagné de scintillements percussifs, et tout part en étincelles grâce au solo du patron et au feu d’artifice de la trompette au courant alternatif. Final festif et coda chuchotante, pour reprendre notre souffle !
Le saisissant « Ligne 13 » (ED) nous permettra cela par l’entrée fluide et réfléchie des six cordes. Sérénité d’abord enveloppante, puis envol de toute beauté, force, élan, intériorité, nous gravissons une marche de plus vers le haut, un escalier vers le ciel ? Le pouls de la basse bat fort, et la guitare raconte son histoire avec délicatesse. Nous avons l’impression d’un feeling arabisant. Survient alors une pensée (de plus) pour la souffrance des peuples, et le sang des plaies de la Terre, le Liban, les autres terres blessées. Paolo fait s’envoler la supplique collective. Quelle force a ce message ! Tout se calme cependant en revenant tranquillement au thème.
De la pure beauté, il y en aura encore grâce au sublime « Kind folk » tiré de l’album Angel Song de Kenny Wheeler. L’hommage qui lui est rendu par Paolo Chatet est bouleversant, avec ses flèches caractéristiques qui nous transpercent de lumières, suivies d’échappées célestes. Comme un petit miracle, il semble que ça libère les rayons du soleil, il brille, on est bien ! Entre temps vient nous titiller un intermède vif et subtil de Baptiste, les impacts rebondissent comme sur un tremplin de joie. Encore quelques notes de ce fabuleux morceau et c’est le finish tout en douceur. Respect messieurs !
Nous découvrons alors la tranquille « Sedona » (ED), où Eddie s’échappe avec grande élégance. Lui, c’est le charme discret de la note idéale, juste ce qu’il faut d’émotion au bon moment, pas plus, pas moins. C’est alors que la trompette joyeuse et hardie prend le relais « non mais tu vas voir toi ! » semble-t-elle lui dire ! Le groupe suit, en belle synergie fraternelle. Fading feutré.
Cette superbe prestation se termine par « Étude n°2 Opus 76 » (Sibelius), un dernier morceau assez saccadé qui remue, comme un retour à la fête, genre rondo un peu latino, avant un rappel inattendu, le « I will » des Beatles. Une belle ballade en mid tempo, gorgée de feeling. Chorus francs et chaleureux de Paolo et Eddie, la rythmique ponctue à merveille, entre percussions avisées et solo hyper articulé de contrebasse.
Le Eddie Dhaini Quartet a séduit par son jazz moderne, inventif et sacrément fûté car il a certes le pouvoir de rassurer avec la « force tranquille » qu’il possède, mais aussi d’enchanter, en rompant les liens aux habitudes classiques, grâce à son inspiration et ses idées nouvelles. Ces quatre épatants musiciens sont frères de son et forment un seul esprit, ayant pour ambition de jouer de la belle musique et de la transmettre à leur public, qu’ils ont captivé (capturé ?) avec ce beau concert. Nous avons même à plusieurs reprises entendu le feuillage des tilleuls protecteurs frémir de plaisir à leur écoute, c’est dire !
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Parade trio

La lecture de la bio du Trio Parade n’avait pas manqué de nous intriguer. En effet, une réunion associant Jiang Nan, rencontrée ce matin à la Bibliothèque de Cénac, lors de sa conférence autour de l’étonnant guzheng (cithare chinoise), Ferdinand Doumerc (saxophones, flûte, métallophone, compositions) connu pour certains de ses autres projets, notamment le trépidant Mowgli (Gueule de boa) et Louise Grévin (violoncelle) que nous allions découvrir, présumait d’une grande singularité, idéale pour stimuler notre imagination d’addicts des musiques libertaires !
Mêler musique traditionnelle chinoise, sonorités classico-contemporaines et jazz tendance free, ceci dans des turbulences avant-gardistes, était un défi courageux. Pari tenu, et gagné selon nous ! La magie de cette écriture est enivrante. Elle est certes savante et d’une précision à la note près, mais rendue totalement fraîche, aventureuse et supposée instantanée, par les humeurs virevoltantes du trio, la façon énergique micro théâtralisée de bouger, les mots, les chants, voire les cris qui fusent, comme ceux d’un oiseau farouche, qui s’échappe surpris de la broussaille. Ajoutons à cette douce folie gestuelle et vocale le déclanchement permanent d’impressions sonores et impacts variés, entre pleins et déliés émotionnels qui déstabilisent à dessein l’auditoire (qui semble n’attendre que ça !), des improvisations furtives comme des clins d’yeux taquins qui nourrissent une prestidigitation inattendue, c’est de l’inouï, tout simplement fou !
Empruntons sans crainte ce sentier singulier. C’est parti en une douceur très poétique, alliance du délicat guzheng, des mots et du violoncelle classico contemporain, ainsi que du sax et du métallophone. Les jeux de voix à trois, les paroles, les frottements intempestifs, créent une atmosphère free libérée et déconcertante. Mais voici quelques papillons, tout est léger, éphémère, une sorte de conte rêveur pour enfants. Le sax ténor se joint à la fête, pour faire sa place au jazz, qui a lui aussi versé son encre cuivrée en cet accueillant creuset. Délicieux début de promenade.
Mais voilà que la lune se lève, les nuages s’effilochent à l’horizon. … Un loup blanc surgit, un autre gris. Bruitages, gémissements élastiques. « Ce loup blanc, ce loup gris, existent en chacun d’entre nous ». C’est alors le départ d’une farandole villageoise, qui suit le flûtiste, un vrai Till l’Espiègle, puis quelques cris retentissent, tout s’échappe et stop, prudence ! Nous voici rendus au bord de « Muraille et précipice ». Souffle le vent du saxophoniste sur la plage, vagues, mouettes, frottements grinçants des coques de bateaux, nous y sommes. Autre promenade de vie, déambulation dans des ruelles colorées, folklore imaginaire des petits ports de pêche. On imagine sur les quais des chats cherchant de petits poissons, tombés des paniers. Quelle saisissante alchimie des trois à peindre cette toile surréaliste !
« Ohio ». Étonnante bizarrerie entrainante. Le joyeux tumulte à fait place à la voix pure de la cithariste chinoise. Mais allez, on se bouge, reprise du flow et passages binaires disco free. Le sax conduit tout ça. Le chœur des trois chevauche le pouls du violoncelle… « j’ai omis de fermer la cage, Ohio s’est échappé …il n’est toujours pas rentré. Où es-tu donc passé ? »
« Le dernier jour » est arrivé ! Le guzheng s’échappe en quelques notes, ses acolytes le rejoignant en unisson. Un groove oblique s’empare de l’histoire, avec des flèches de cuivre brûlantes, le violoncelle assure et rythme, la cithare chinoise papillonne. Une brève halte apaisée permettra son complexe réglage, polir à cœur la pierre sonore.
Nous croyons comprendre « Infernal » pour cet avant-dernier titre. Il débute inquiétant et se poursuit dans une turbo allure irrésistible, ce qui valide bien son nom. Heureusement, une courte pause respiratoire nous remettra un instant de nos émotions, avec la douce voix de la violoncelliste. Mais cela repartira de plus belle à l’écoute du morceau suivant, dont le speed alterné se retrouvera dans les muscles du rappel assez fou, avec toujours ces breaks chaud et froid vertigineux. Beauté des voix et finesse de la cithare s’allient enfin en une suite irréfrénable. Fin festive en mode free disco tatoué NYC, que le peuple s’amuse !
Nous finissons époustouflés par cette ébouriffante parade amoureuse, qui a eu raison de nos cœurs, et nous ouvre de nouvelles portes sensorielles. Un génial trio, sorte d’ovni « punk-jazz-chambristo-asiatique » à la poésie rebelle inoubliable, par sa force et sa douceur, son humour et son pétillement, mais aussi et surtout par son amour des histoires saugrenues, dont la morale pourrait être de continuer à inventer l’ininventable ! Histoire de se calmer suite à cette incroyable révélation musicale, nos tensiomètres risquent d’être dans le rouge, alors redescendrons sur terre et écoutons « The Peacocks » de Jimmy Rowles et Stan Getz…
Note des artistes : Ce spectacle, créé par la Compagnie Pulcinella, bénéficie du dispositif Aide à la création de l’Espace Roguet et du Conseil Départemental de la Haute-Garonne. Avec le soutien de la Mairie de Toulouse, de l’Adami et de la Spedidam.
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Etienne Manchon et Pierre Lapprand – Congé Spatial

Congé Spatial est un duo créé en 2020 par Pierre Lapprand (saxophone, effets, composition) et Étienne Manchon (piano, clavier, effets, composition). Tous deux originaires de l’Est de la France, ils se sont un jour connus au Conservatoire Supérieur de Paris, et ne se sont dès lors plus quittés, s’étant trouvé des goûts communs pour le jazz, l’improvisation, le rock prog, l’électronique, sans oublier la musique classique voire contemporaine. Ils sont par ailleurs très occupés et impliqués dans de nombreuses formations aux élans tout aussi intrépides, parmi lesquels Chrones et Pierre & The Stompers pour Pierre, et le Étienne Manchon Trio ou encore La Pieuvre Irréfutable pour Étienne. Pierre est surtout présent à Paris et Étienne à Toulouse, ce qui le rapproche d’une certaine communauté d’esprit musicale à laquelle appartient d’ailleurs Ferdinand Doumerc, membre du (d)étonnant) Trio Parade vu cet après-midi sous des tilleuls ébahis, auquel le duo fait suite logique, dans un style cependant différent.
Congé Spatial, ce n’est pas un congé spécieux, mais plutôt un congé spacieux, comme une soucoupe volante insatiable, déjà pleine de trouvailles sonores, et en mission de récolte permanente d’autres raretés célestes, en vue de les transformer. Le matériel de bord est impressionnant, les instruments de base étant connectés à des boîtiers electro, pour multiplier le son du saxophone ténor et des claviers, en créant des couches de sons entremêlées. Avec deux bricoleurs de génie aux commandes, nous ne risquons pas de nous ennuyer, toujours grisés par le mystère de la destination.
Le concert reprend principalement les titres de leur album éponyme sorti en 2023, et c’est « Solarium » (Pierre Lapprand) qui d’entrée nous embarque dans un doux rêve, où il fait bon se laisser porter par ce tapis volant de sons, des impressions nordiques se mêlant à l’onirisme floydien dont les deux sont friands. Pour ce thème, Pierre nous parle de « Coltrane electro », c’est adopté ! « Le faucon et le tonnerre » (PL) suivra, nouveau morceau inspiré d’un manga.
Suivent ensuite quatre morceaux en un seul, qui saisissent ou désoriente. Ils interpellent voire impressionnent par leur puissance et la variété des envols, ainsi que l’originalité de l’inspiration. « Rossignol » (Étienne Manchon) ouvre cet étonnant medley. Un rossignol tranquille au début, qui s’est bien vite énervé. Complicité totale, gémellité même de ces deux inventeurs. Puis dérapage lunaire, piano romantique, les sons du saxophone se multiplient. Qu’est ce qui nous arrive ?
Ça redémarre ensuite dans d’autres altitudes, un monde parallèle se dessine, où l’on perçoit beaucoup de douceur et de mystère. De mini sons s’échappent des doigts de ces enfants de l’art, partis dans un infini des sens possibles. Une féérie sonore inouïe. Neuve.
Le Rhodes rode et érode toute velléité d’ennui, car grâce à eux, cette nuit électro nuit à l’ennui. Se jouent alors les notes éparses d’un piano suggestif, le ténor solaire colle à la lune de ce Pierrot. Des breaks bruitistes incroyables surviennent, le piano préparé est excité par le saxophone murmureur, mais où va-t-on ? Vous n’en saurez rien monsieur, rêvez, évadez-vous !
Pierre Lapprand et Étienne Manchon sont des créateurs d’une nouvelle intensité émotionnelle, d’autres empruntent le même chemin, et c’est heureux. Oh ! Le saxophone est soudain devenu plus troubadour, soufflant une petite ritournelle d’un moyen âge futuriste. Retour vers leur futur, oui, c’est maintenant ! Nous les suivons. Les échappées d’Étienne sont incroyables, mais Pierre ne se laisse pas intimider et lui colle au train qui sifflera mille fois !
Outre « Rossignol », étaient incluses dans cette imposante pièce multiforme insécable, « Chaussettes on the floor » (EM) et « Il fait mi-beau » (EM), toutes tirées de l’album et transfigurées par le live, et « Génépi » (PL) que nous découvrions. Impression de les avoir vues/écoutées à travers une immense glace déformante ! Une recréation récréative. Messieurs s’il vous plait, un album live sinon rien !
Avant dernier morceau, surement une nouveauté dont nous ne sommes même pas sûrs du titre, tout va si vite avec eux. « Tiennou in insider in the space » (EM) serait une allusion à une marque du même nom avec des chats. On lance le quizz ! C’est très étonnant, on dirait un concerto du futur, ou un opéra pour l’an 3000. L’écoute mutuelle est incroyable. Des soupirs cuivrés s’entremêlent à des accords de piano microscopiques, le saxophone pousse des cris répétitifs hallucinants, puis s’envole, on ne sait où. Des échanges indescriptibles de riffs fusent entre nos deux jeunes sorciers, qui ne sont certes pas des apprentis. Ils bougent de partout, une vraie chorégraphie instantanée, surtout Étienne, ils sont possédés par cette transe spatiale, et nous, nous sommes sous l’électro choc.
Adorable rappel que « La boiteuse » (PL), avec laquelle on valserait bien jusqu’au bout de la nuit !
Ce concert fut l’escale à Cénac d’une sorte de caravane d’un Concours Lépine electro- jazz itinérant, bourré d’astuces sonores et de magie souriante, boosté par une technique de jeu hallucinante de savoir et de modernité, par un humour débordant, et par l’énergie d’une jonglerie spatiale dont l’ultime souhait est de se poser des questions sur l’avenir des possibles, de faire rire, de donner du bonheur et de l’amour quoi ! La Terre en manque tant ! Merci Congé Spatial !
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Alfio Origlio – Human Flow Memories

En conclusion de la première période du Festival Jazz360 millésime 2025, forte en rencontres, retrouvailles et découvertes vitaminées, les organisateurs ont pensé intimité et sérénité pour le dernier concert du samedi. Une musique où serait présents un jazz au mood plutôt soft, le feeling moderne de la new-soul et pourquoi pas un peu de pop ambiance mid-eighties par exemple, histoire de pi(g)menter le tout, comme on déguste un bon cocktail surprise de fin de soirée. C’est le groupe Alfio Origlio – Human Flow qui a finalement été choisi, porteur d’un récent projet, l’album « Memories » sorti en fin d’année dernière.
Le groupe est un quartet formé par Alfio Origlio (piano, Rhodes, mini moog, synthétiseur), avec la jeune chanteuse et violoniste franco-éthiopienne Fleur Worku, le virtuose Noé Reine à la guitare et le phénoménal Zaza Desiderio un batteur que nous avions croisé aux côtés d’Éric Séva.
Une bonne partie des titres de l’album « Memories » ont été joués, à commencer par « Yechekla dist », dont le groove jazz fusion 80/90s se déroule avec de belles envolées de guitare, des voicings low et mystérieux de la violoniste, le tout soutenu par les claviers, assurant les basses, et la batterie, ce qui forme une belle rythmique. Dans l’ordre du disque suit « Living so free », dans un style proche, voix soul fragile et bien placée. Beau chorus de claviers en mode vintage, et drumming vraiment génial de Zaza. « Memories » est un morceau assez soft, traversé par la voix diaphane et son violon léger, suivi de la guitare qui convient bien à cette ambiance intime. Un smooth jazz groovy apaisant, et annonciateur de l’été.
Le public sera sensible au superbe « Sing to the Moon », avec le feeling d’une voix presque susurrée et sa petite touche de violon mélancolique. Accompagnement discret aux balais, un peu de mood et solo de piano plutôt classique.
Mais le groove se réveille avec « North boat » et son allure plus funky, batterie et claviers basse forment un pacte gracieux et la guitare peut s’envoler pour soutenir l’humeur soul des mots.
Voici maintenant « L’acrobate », un nouveau morceau hommage à un ami. Un magnifique solo de guitare l’anime alors, et la voix est en français, plus éloquente. Autre thème « Un neuf doigt » (pas sûr du titre), l’évocation d’une douloureuse opération, avec comme remède une ambiance un peu metheniene, la guitare surtout, et en prime un chorus de clavier, preuve que le doigt opéré est surement guéri.
Le temps d’écouter un autre titre assez cool, qui rappelle « Memories », ainsi qu’un thème chaleureux hommage à Ennio Moricone, l’une des deux idoles d’Alfio Origlio, que nous voici déjà rendus au rappel.
Et c’est une belle surprise car il s’agit du célèbre « Maniac », tube planétaire signé par Michael Sembello en 1983 et qui fit les beaux jours des radios FM US et des boîtes jusqu’à pas d’heure. Le tube s’étire et qui est l’invité ? Pierre Lapprand en personne, échappé de Congé Spatial. Il vient nous gratifier d’un superbe solo de saxophone, et il ne sera pas le seul à choruser car Noé Reine va à son tour enflammer l’ambiance, ce qui aurait été validé par l’auteur du titre, lui-même guitariste hors pair. Beau final qui conclut agréablement cette chaude soirée.
Avec cet ultime concert s’est achevée la première partie du festival, suivie d’un after gustatif généreux et amical, où les discussions partaient de tous bords, histoire de débriefer la soirée. Nous avons beaucoup aimé l’esprit de la programmation, elle nous a émus et rendu plus forts, face à l’adversité culturelle française actuelle… Comme beaucoup d’autres associations, le travail de Jazz360 est considérable, magnifique et respectable. Mille merci à eux, aux équipes et partenaires, aux incroyables artistes et au public. La semaine suivante, la deuxième partie du festival s’est déroulée à Latresne et à Quinsac, Langoiran étant annulé à cause de la météo. Le retour en sera publié sur actionjazz.fr dès la semaine prochaine. Que la musique soit toujours une fête, et qu’elle continue à l’être, quoiqu’il advienne !
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venir
Par Dom Imonk, photos Alain Pelletier alias tamkka
Galerie photos Eddie Dhaini quartet






Galerie photos Parade trio






Galerie photos Etienne Manchon et Pierre Lapprand – Congé Spatial




Galerie photos Alfio – Human Flow Memories









