Robin & The Woods + guests, avec Jérôme Masco 4tet en 1ère partie – Rocher de Palmer

Jérôme Masco 4tet

C’est une soirée chargée d’émotion que nous avons passée au Rocher de Palmer le jeudi 30 janvier dernier, grâce aux deux magnifiques groupes que sont le Jérôme Masco Quartet et Robin & The Woods. Venues chacune présenter un nouvel album, ces formations ont des personnalités humainement proches, et alliées, mais leurs univers expressifs diffèrent, ce qui nous a réservé de saisissantes surprises, et nous a donné grande envie de militer en faveur de l’instauration de la « semaine des quatre jeudis » …musicaux !

Jérôme Masco nous avait déjà proposé divers projets, riches en diversité de tons et de couleurs, où rock, pop, cinéma et engagement politique étaient très présents. Citons par exemple Ostende, Elio, The Jazz Proletarians, Mouvements Infinis, sans oublier ses fameux Ciné-Concerts et Robin & The Woods auquel il participe depuis l’origine, et dont nous reparlerons plus loin. Il mène ici le Jérôme Masco Quartet, qui avait déjà tourné en Nouvelle-Aquitaine à l’automne 2021, période à laquelle fut enregistré l’album « Seeking Directions » paru fin 2024 et officiellement présenté ce soir. Il est entouré de Nolwenn Leizour à la contrebasse, de Nicolas Girardi à la batterie et d’Alban Darche au saxophone ténor en invité prestigieux, par ailleurs conseiller artistique de l’album, Jérôme Masco étant à la composition et aux saxophone ténor et baryton, ce dernier était joué sur l’album par Kira Linn, une saxophoniste allemande connue lors d’échanges franco-allemands, vécus en ligne lors du confinement de 2020, puis poursuivis ensuite en présentiel en 2021. Une formation de tout premier plan sur la région et même bien au-delà.

La couleur est annoncée avec « Lone riot – 1ère partie » qui débute le set, exprimant (déjà) un premier message en un clin d’œil à la musique répétitive, soutien à la plainte insistante d’une « émeute solitaire », subtilement déposée par Jérôme Masco et Alban Darche. Nous en retrouverons un peu plus loin la 2ème partie, saisis par la poésie éthérée de ces lancinants instants mélancoliques, soulignant peut-être de vaines luttes et le vœux pieux de les voir se poursuivre.

Puis voici l’arrivée de Nolwenn Leizour et Nicolas Girardi pour soutenir « Changes unchanged » qui n’est pas dans l’album. Une belle découverte. L’énoncé du titre nous parle, ce thème étant en rapport avec la situation actuelle, mais plus optimiste. Jérôme Masco est au saxophone baryton. L’occasion de très beaux soli, de ténor d’abord, suivi du baryton, sur une puissante rythmique qui porte haut l’engagement des quatre.

Impressions sur quelques autres pépites marquantes.

« Bring us back the train », un morceau qui en impose en live, par l’irrésistible détermination qui nourrit son pouls, grâce au groove profond, low tempo d’abord, qu’anime le pacte épatant contrebasse/ batterie, et qu’éclaire le lyrisme des étoiles poétiques que projettent les soufflants, jusqu’à l’accélération finale effrénée.

Autre beau morceau que « Waiting for the big night », une balade « très connotée » nous dit Jérôme d’un sourire entendu, message bien reçu ! Duo ténor expressif et complice, sur l’inquiétant tapis tissé par la contrebasse et la batterie.

Enfin, d’une manière fine et spirituelle, façon pince sans rire british, Jérôme Masco introduit alors le 2eme volet de la Trilogie de la douleur avec « Oh mon entorse », qui fait suite à « Oh mon œdème », premier volet joué par son trio « Mouvements Infinis ». Jérôme a repris le baryton d’un verbe douloureux, Alban s’intercale en petit cris salvateurs, les deux s’enroulent en une spirale charnelle presque free, alors que nous sommes saisis par l’énergie collective qui s’échappe en crescendo, un magnifique solo de Nicolas ayant raison de la douleur, comme des traits vifs et décisifs lancés dans la gorge du dragon.

Avec « Seeking directions », Jérôme Masco a dit avoir voulu rendre hommage à Gerry Mulligan et Stan Getz, deux maestros du jazz « west coast » et ainsi proposer son quartet sans instrument harmonique, ce qui est un gage de légèreté et de fluidité des sons. Des compositions « gantées de velours », qui tentent ici de dissimuler le poing levé de la lutte, jusqu’à ce qu’il s’en libère, enfin ! C’est l’impression que nous avons eue de ce captivant concert, une musique engagée pour plus d’humanité et de justice, moderne et inspirante, et surtout singulièrement éloquente.

Souhaitons longue vie à cet étonnant quartet, le live lui sied à merveille !

Robin & The Woods

Quel beau parcours que celui des Robin and the Woods que nous avions découverts en 2018 couronnés au Tremplin Action Jazz. L’album « Moonfall » paru en 2021 fut bien plus qu’une simple carte de visite, mais un acte d’amour pour la Planète, ainsi que pour certaines musiques progressives des seventies et quelques autres plus actuelles, qui éclosent à New-York et en d’autres lieux branchés. Ce fut également la révélation d’une écriture riche et imagée, sachant faire alterner orages et éclaircies, envols spatiaux et galops terrestres. Ce soir c’est la « release party » de « A lack of insight », leur nouvel album qui tient les promesses du premier, avec une ambition musicale plus large et profonde, vu que le groupe a invité un quatuor à cordes et une tromboniste ! Les messages humanistes sont toujours très présents dans les compositions, qui y puisent une force supplémentaire, la parole des artistes étant encore grandement nécessaire par les temps qui courent.

Pour soutenir cette musique, voici le line-up XXL réuni pour cette soirée, avec tout d’abord le quintet de base que nous sommes ravis de retrouver : Robin Jolivet (guitares, compositions), Jérôme Masco (saxophones, compositions additionnelles), Alexandre Aguilera (flûte traversière), Alexis Cadeillan (basse) et Nicolas Girardi (batterie). Il y a aussi un précieux quatuor à cordes : Amandine Calige et Adèle Docherty (violons), Muriel Soulié (alto) et Léonore Védie (violoncelle). Et deux magnifiques invité.e.s : Rozann Bézier (trombone) et Alban Darche (saxophone). Notons aussi la présence sur l’album de l’omniscient éclairé Christophe Maroye (guitares additionnelles, enregistrement, mix, mastering).

Saluons enfin le soutien du Contrat de filière Musique et Variétés en Nouvelle-Aquitaine, et du Rocher de Palmer.

Même si cet album bien né sait faire émerger de nouvelles idées, le baptême du live est un accélérateur émotionnel sans pareil pour leur ouvrir encore plus la voie, et mettre au rebut le canapé salon trop mou. Surtout devant une salle pleine comme ce soir ! Nous le savons, Robin & The Woods s’adapte autant aux clubs et petites salles qu’aux larges scènes de festivals, ils l’ont déjà prouvé. Ce soir, ça brule de partout, ça pétille comme le champagne des retrouvailles, le « j’ose tout » dans l’intimité de « la famille », ça libère un boost magique d’une force assez époustouflante.

Revenons morceau par morceau sur ce concert qui fera date.

C’est « Disorder » qui ouvre magistralement ce bal électrique, hachuré par des riffs de guitare carrément hard style, et s’emballe avec la puissance rock prog tourbillonnante qu’on leur connaît, ses breaks, et l’irrésistible pulsion d’un groupe en grande forme. Le tout est coloré par la « Jethro » flûte enchantée d’Alexandre Aguilera, caressé par la chaleur généreuse du saxophone, et quelle rythmique ! Le vaisseau spatial a décollé !

Suit le calme (supposé) après la tempête avec « Helltrain » et sa féerie omniprésente de cordes, attention cependant aux électrochocs intercalés, qui réveillent son monde ! Mais de beaux chorus, de basse et de saxophone, viennent adoucir le climat, et la flûte tournoie. C’est un mini opéra qui se joue là, dont le chœur des voix électriques entremêlées trace la voie d’une urgence palpitante.

Un voile de mystère nous enveloppe dès les premières notes de « A lack of insight », le morceau titre du nouvel album. Le thème de la peur. Comment y faire face ? En s’entourant nous dit Robin Jolivet, il ne croit pas si bien dire ce soir ! L’occasion de très beaux arpèges de guitare, accompagnés de cordes magiques, qui s’envolent vers un ciel propice à l’apaisement. Mais la guitare s’enflamme alors, suivie par la batterie irradiée, et toute l’équipe se trouve alors entraînée en une fête sonore renversante !

Survient « Mutation » qui est le 4eme volet de la suite des « Fractales » écrite par Jérôme Masco pour l’album « Moonfall ». Un flow archi speed rock démarre par la basse, dont le groove fou ne cessera plus, fendu par les accords tranchants de guitare, sur une rythmique d’airain. Mais le retour des soufflants va refroidir le réacteur de cet ovni post-prog hallucinant !

Chez Robin & The Woods, chaque thème est une histoire dans l’histoire, comme l’ambitieux « Hypernova » que voilà, qui poursuit la « Trilogie spatiale » de Robin Jolivet démarrée avec « Moonfall ». Morceau héroïque, le groupe est en état d’apesanteur, dans un cosmos débarrassé des scories de la Terre. Les cordes peignent une toile de fond majestueuse, ornée de saisissants drapés moirés. Figurent-ils la voie lactée ? C’est à se demander ! Superbe chorus lyrique de Robin Jolivet. Un voyage trépidant, au cœur d’un tourbillon céleste libérateur.

Invitée à la fête, Rozann Bézier au trombone vient alimenter le feu ardent de « Fire ». Avec ce titre, Robin Jolivet rend hommage à David Lynch, grande source d’inspiration pour eux. Majestueux morceau, la bande originale d’un film d’aventure, aux mouvements infinis. Le temps d’un petit duologue entre le saxophone et la flûte, que nous voici de retour à l’ampleur mouvementée de cette pièce épique, la guitare « howe-ienne » de Robin et le soutien rythmique épatant n’y sont pas pour rien ! Un thème dont la ferveur inouïe délivre un évident sourire d’espoir.

Ambiance éthérée avec « Les mécaniques de l’oubli – Fractale 5 » de Jérôme Masco, autre suite de « Moonfall ». Une pièce plus sereine, dont l’onirisme est porté par les cordes délicates, la grâce de la flûte et le solo de ténor d’Alban Darche de retour aux affaires, un généreux souffle collectif d’optimisme, du baume sur les plaies béantes de la Terre, mission à laquelle se joint alors tout le reste du groupe.

C’est presque le même riff de guitare rock que « Disorder » qui introduit « 999 Pikes ». Énergie, breaks inattendus et remous sonores d’intensités variables sont au rendez-vous. Une autre pièce profonde et sensible, porteuse d’espoir et de courage, et la puissance de l’élan volontariste de cette musique fait front à la terrible adversité. Alban Darche est toujours là et Rozann Bézier revient. Toutes et tous soufflent fort leur engagement, dans un impressionnant final, à l’instar de certains collectifs des seventies qui ne mâchaient pas leurs mots, en musique ou pas, face aux absurdités politicardes de l’époque !

Pour clore ce palpitant voyage, « Lightpart » déroule un mood plus soft, presque champêtre au début, traversé d’un très beau solo de trombone. Puis tout s’envole de nouveau et l’aiguille revient facilement dans le rouge. On dirait du Yes, avec cordes et une densité lyrique époustouflante. Puis éclot une accalmie avec cordes pincées et nappes apaisées des soufflants à l’unisson, une sorte de comédie musicale en plusieurs actes, jouée par des troubadours décalés.

Comme le suggère le titre du nouveau disque, la musique proposée prend la forme d’un pamphlet musical à l’encontre de décideurs puissants, aux choix néfastes à la Planète et à l’humain, mais peut-être aussi adressé à celles et ceux qui refusent ou tardent à en prendre réellement conscience. Ce manque de perspicacité, de clairvoyance, n’affecte en rien les Robin & The Woods et leurs invité.e.s. De formidables musicien.n.e.s qui par ce concert, incroyable d’images, d’énergie et de cohésion, ont propulsé ce message vital encore plus loin, dans le prolongement de l’album. Des influenceurs humanistes dont la force et l’originalité de l’écriture, ici judicieusement augmentée de cordes et de trombone, sa complexité variable, un soupçon cinématographie par moment, et sa singularité, sont magnifiées par le live. Nous les suivrons de près, ils/elles ont encore tant de choses à nous dire !

Par Dom Imonk, photos Philippe Marzat

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