Emerson enigma

On ne présente plus le natif d’Arcachon, Thierry Eliez. Allez ! Pour ceux qui ne l’auraient pas reconnu, vous l’avez certainement croisé aux côtés de Didier Lockwood, d’André Ceccarelli, d’Éric Serra, de Terry Lynn Carrington, de Dee Dee Bridgewater, de Sylvain Luc,… ou au cœur du Paris Jazz Big Band ou encore de Magma.
Du jazz à la World music en passant par la variété (Charles Aznavour, Catherine Lara, Alain Chamfort, Patrick Bruel, Johnny Hallyday), il sait tout faire… interpréter, improviser, revisiter.
Avec « Emerson Enigma », il s’embarque dans une aventure ambitieuse, à la fois hommage et relecture. Plus jeune, l’explorateur Thierry Eliez, s’est certainement nourri des œuvres et de l’audace de Keith Emerson. Ce pianiste et compositeur anglais fondateur du groupe Emerson Lake & Palmer et de The Nice, connu dans le 70’s pour être un des premiers à intégrer des sons synthétiques et d’orgue Hammond dans des reprises classiques provocatrices, aura marqué Eliez l’artiste. L’arcachonnais avait rencontré Keith Emerson à Los Angeles avant sa disparition en 2016. Il nous propose un florilège de plusieurs pièces piochées dans différents albums de son mentor. Pour cette galette 100% acoustique, Thiery Eliez s’est entouré de musiciens à la hauteur du défi : le quatuor à cordes Manticore (Guillaume Latil au violoncelle, Johan Renard et Khoa Nam Nguyen au violon, Vladimir Percevic à l’alto), ainsi que de Ceilin Poggi au chant.
A la première écoute, on peut être dérouté de ne pas retrouver un format plus habituel, avec basse, rythmique, etc. comme s’il y avait une convention, même dans le jazz. Et c’est peut-être cela l’énigme ? Cette chose difficile à comprendre se laisse finalement apprivoiser au fil des notes avec le phrasé toujours facétieux de Thierry, avec la citation habile d’Eliez qui donne aussi de la voix, seul ou à l’unisson avec Ceilin Poggi, une collaboratrice de longue date.
Vous reconnaitrez sans doute quelques notes de West Side Story et des tableaux d’une exposition de Moussorgski au détour d’une envolée de notes ou d’une mélodie fredonnée.
C’est élégant, un brin décalé, d’une esthétique assez british en fait, et ce n’est peut-être pas un hasard.
Je profite de tenir la plume pour vous recommander le combo Improse et Improse Extended trio parus respectivement en 2017 et 2019 et restés sous le coude endolori de votre humble chroniqueur.
Ce second opus met en lumière Ivan Gélugne à la contrebasse et André Ceccarelli à la batterie ; trois générations de jazzmen conversent autour des compositions, improvisations et autres interprétations orchestrées par Eliez. Mon coup de cœur pour « Satie », un des titres communs aux deux projets solo et trio dont certains titres sont communs. Dans ce titre qui résume bien l’ambiance du projet, on se laisse emporter et on s’évade entre balade nonchalante dans un jardin impressionniste et rêverie éveillée au crépuscule d’une soirée d’été. Douceur et onirisme jalonnent certains titres (Nymphe des eaux, Absinthe, Frida) ; les notes suspendent le temps. D’autres plages plus nerveuses comme « Circum », « Forango » ou « Monk a gagné » ne sont pas pour autant des morceaux de bravoure techniques.
Thierry Eliez n’a plus rien à prouver, si ce n’est qu’il est un artiste d’exception, trop discret pour avoir osé plus souvent se lancer dans des aventures davantage personnelles. On mesure ici, tout ce qu’il a pu apporter de talent et de créativité au service de plus « grands » noms que le sien.
Pour eux et pour nous, merci Monsieur Eliez.
Label : L’autre distribution
Signé Vince

