Russ Lossing Mood Trio – Proximity Alert

Russ Lossing : piano
Mark Helias : contrebasse
Eric McPherson : batterie
[COUP DE COEUR] Il y a à peine un an, nous découvrions « Inventions – A Suite of Improvisations », album solo de Russ Lossing, pianiste, compositeur et improvisateur américain, qui ouvrait ainsi une porte d’entrée intimiste dans l’univers fascinant de son œuvre hors norme. Il est basé à New-York depuis presque 40 ans, et a sorti sur divers labels quelques 25 albums sous son nom, et pris part à beaucoup d’autres, ce qui laisse imaginer les rencontres, collaborations et évènements auxquels il a participé, bien souvent aux côtés des plus grandes figures. Cela explique à l’évidence sa notoriété planétaire et permet de comprendre la richesse et l’originalité sans cesse renouvelée de ses propositions.
Pour ce nouveau projet, le pianiste s’est senti d’une « humeur trio », en faisant de nouveau appel à ses précieux complices, qui avaient excellé sur « Mood Suite », paru sur Steeplechase Records en 2020, un disque fort bien reçu à l’époque. Une synergie magique avait alors allié ces trois frères d’échappées, et nous la retrouvons ici, avec une envie d’instantanéité créative qui va innerver chacune des onze pièces de « Proximity alert », et leur donner cette étonnante vivacité changeante, une spontanéité née de l’absence de répétition préalable.
Ainsi, « Incommunicado » ouvre le disque par un démarrage lourd et mystérieux, suivi de petites touches furtives de percussions, de piano et d’archet, des tentatives où le trio se met en place. On se cherche, on se jauge, mais vers quoi s’orienter ? Dans ce jeu-là, très présent dans l’album, personne ne s’attend, tout le monde s’atteint. D’une réflexion plus intense, le thème est trouvé, des éclosions inattendues et énigmatiques surgissant de tous bords. Morceau déjà terminé, l’esprit est lancé !
On ne lâche pas la pulse avec « Boo-Da », un pouls répétitif dès le départ, qui reviendra souvent. L’air s’accidente, tout se déploie, mais le thème revient, balayé par une humeur « free-sée ». Omniprésent entre ces inventeurs, l’interplay hallucine et déconnecte du réel, comme en écriture automatique, nous perdons pied, ça speede à tout va et bouge de partout, le bavardage joueur d’une science de l’instantané. Les trois hommes ne font qu’un, on aime leurs couleurs dansantes qui foisonnent, celles de la pochette : Jaune piano, vert contrebasse et rouge batterie !
Histoire de prendre quelque répit, le temps de la réflexion est venu grâce à « Apostrophe ». Une première pause méditative, quelques autres suivront tout au long du disque, opposant un calme réfléchi à l’ardeur débridée. Ici, des notes éparses et distendues apparaissant comme de petites fleurs sauvages sur le bord du chemin, telles des bornes éphémères intuitives, demain elles ne seront plus là, le hasard les aura remplacées…
Mais pour revenir au speed, voici « Proximity Alert » et son allure précipitée, une irrésistible machinerie que bordent la batterie et un solo haletant de contrebasse percussive. Les spirales de piano reviennent et l’alerte se fond dans la multitude, des sonorités entremêlées s’estompant en brève pompe. La carte de visite de l’album !
Nouvelle escale plutôt soft, « Emphasis My Own » est une ambitieuse pièce. Une visite dans le jardin imaginaire d’une intimité agitée, en sortes d’allers-retours expressifs du piano, qui se confie jusqu’au moindre détail, sur fond d’archet fantomatique et de percussions voilées de mystère. Un cabinet de curieuses réflexions. Le temps d’un « Rhythmique » qui porte bien son nom boosté par son flow up-tempo et cette course assez ja(zz)rrettienne, voici que « Lamento » vient nous charmer. Douceur des notes, sonorités précises et touchantes, profondeur économe de la contrebasse. Le clavier nous saisit en ne jouant que ses impressions, portées par les traits lointains mais suggestifs de la rythmique.
Encore de l’impétuosité avec « Sequenza » et ses saccades, où se mélangent les contorsions des trois. Piano minimal et free parfois, accélérant subtilement par moment, et suggérant une impression de liberté délurée, aux caprices hispanisants. Même ressenti à l’écoute de « Relentless » et ses notes répétitives en entrée, une batterie métronomique et des touches pointillistes de contrebasse, qui mène son propre chemin, laissant s’envoler le piano. Fuites en petits bouillonnements, qui dessinent des arcs de cercles sans relâche.
« Snowy Night », c’est le dernier retour de la douceur, on perçoit du Satie, puis s’organise une balade d’un jazz mélancolique, neige fragile, tapis déroulé par la nuit, à peine marqué de quelques traces de pattes de petits animaux, que la lune surveille…Une poésie délicate dont la beauté vous tire les larmes.
Enfin, « Silent Alarm » qui clôt le disque est une sculpture contemporaine, tout s’interpelle, se provoque, puis s’enlace, avec un désir commun d’unité mouvante et percussive. Une danse des silences et des impacts dorés, des interrogations qui peu à peu gravissent en quête de réponses instantanées des colonnes de sonorités inouïes aux confins du free. Par moment l’archet chambrise » le ton, puis c’est l’envol collectif où la virtuosité associée dans cet irrésistible jeu ne cache jamais cette forêt aux arbres émouvants.
La musique de « Proximity Alert » forme un tout indissociable, un univers certes complexe, mais il ne faut pas hésiter à y pénétrer avec candeur, se laisser séduire, voire hypnotiser, s’abandonner sans réfléchir, en remisant ses éventuelles connaissances et le cérébral de côté. Simplement écouter frémir son intimité, ses frissons, ses tripes et son envie, face à l’immédiat inconnu. Tout cela advient naturellement, grâce à cet album fascinant.
Par Dom Imonk
Songs/Blaser Music/L’Autre Distribution
https://www.facebook.com/rus.lossing
https://russlossing.bandcamp.com/album/proximity-alert-2
Russ Lossing en solo : https://lagazettebleuedactionjazz.fr/russ-lossing/





