Possible (s) Quartet – Gymnostrophy

Rémi Gaudillat : Trompette, Arrangement
Fred Roudet : Trompette, Enregistrement, Mixage
Loïc Bachevillier : Trombone, Arrangement
Laurent Vichard : Clarinette Basse, Composition, Arrangement

6ème disque du quartet lyonnais (cousin de l’Arfi que nous avons la chance de rencontrer souvent au beau festival que propose l’ami Bruno Tocanne chez lui à Trois-Palis, en septembre) arrangé en forme de ‘quatuor à cordes mais à vents’ ou mini fanfare de chambre qui ne manque pas d’air ! Formation dont la section rythmique est assurée par la clarinette basse et/ou le trombone, ce qui peut rappeler les travaux de Jimmy Giuffre, qui utilisait cependant souvent une guitare, instrument harmonique remplacé fréquemment ici par les tutti des 4 soufflants.

Plus de 10 ans que cet ensemble taille la route et défriche des sentiers inconnus. Après avoir revisité le répertoire de David Bowie, ils s’en prennent à deux poètes inclassables, tous deux jamais vraiment reconnus à leur époque, trop fous, trop forts, ça rentre pas dans les cases. Satie, précurseur des mouvements surréaliste et minimaliste était trop en avance, Monk, pionnier du be-bop, s’est rapidement écarté de la doxa en vogue, les purs et durs n’ont pas bien compris… Ce sont devenu 2 figures majeures de la musique contemporaine incontournables ! Le quartet réunit ces 2 personnages à la douce folie singulière par l’excentricité, le sens de l’humour, une conception du silence et de l’espace qu’ils avaient en commun.

On ne peut pas ne pas penser au magnifique album du tinissima quartet de Francesco Bearzati, ‘Monk’n Roll’, qui avait judicieusement et malicieusement mélangé des thèmes du jazzman avec diverses chansons Rock.

Ici, les 4 musiciens explorent tous les possibles de leur instruments et ouvrent tous les tiroirs qui se camouflent dans les thèmes faussement simples des génies rêveurs. Thèmes qui se rencontrent, se mélangent, se suivent, se rassemblent, augmentés de 5 compositions originales qui prolongent l’esprit libertaire des 2 fantaisistes iconoclastes, familiers voyageurs de mondes intérieurs dont les histoires continuent d’enchanter et d’inspirer tous les curieux qui n’ont de cesse de décortiquer ces mines de trésors sans fond.

Ça démarre avec une version primesautière de ‘I mean you’ (I’m in you traduisait F. Zappa). Un air de chauffe ? Tout est là ! Jubilation de fanfare dans un arrangement au cordeau que chacun à tôt fait de faire sortir du cadre. Clarinette à la basse, trombone ponctuateur, tutti de trompettes qu n’en font vite qu’à leur tête, soli ébouriffants de chacun à travers une partition ciselée façon dentelle.

Puis le morceau clé du disque : la réunion choc de 2 standards si particulièrement intimes : ‘Gnossienne de Minuit’. 2 balades bien distinctes navigant à travers les étoiles qui finissent par se rencontrer, se mêler, s’éloigner et se rejoindre dans une trame commune sans perdre de leur originalité. Un arrangement qui laisse apparaître d’autres airs de chacun des géniaux compositeurs… oui, tout est possible !

Suivent deux compositions du clarinettiste : ‘Spherik’ : Sphere était le surnom de Monk, avec le ‘K’ de Erik, danse à cloche pied d’un Thelonious qui tourne en spirale sur des temps élastiques évoquant l’univers d’Erik. Suit  ‘Gnomienne’, sorte de Gnossienne accaparée. Trombone sur une note rapide répétée, renforcée par la clarinette, les trompettes amorcent des thèmes qui s’effilochent dans l’azur de notes bleues.

‘Danse de travers’, air moins connu mais bien emblématique du compositeur français, un air de chanson française avec un poil de blues…

‘Teo’, dont on garde le fond pour y glisser du Satie, et d’autres chants de Monk, sorte de grand sac d’où émergent les inventions des 4 trublions proposant encore tant de possibles !

Encore 2 compos de Laurent Vichard, des originaux teintés de notes déjà entendues, mais pas dans le même sens ‘Le Présent du passé’, le présent (pro)vient du passé, le passé qui ne trépasse pas mais revit dans le présent qui lui doit d’exister. Une autre ‘Gnomienne’, encore plus aérienne, les notes naissent d’intuition improbable, se perdent dans des rêveries colorées, diluées de silences feutrés…

Un ‘Misterioso’ mystérieux à souhait. Trompette et trombone jouent à saute-mouton, à cache-cache, à chat perché, maintenant aux 4 coins, pas de perdants ! Un pur moment de swing décalé.

‘Douce Folie’ de Rémi, sorte de brouet de sorciers qui touillent une soupe de rythmes que distant des notes s’en échappant comme des bulles jaillissant d’un athanor en surchauffe.

Enfin ‘Ugly Beauty’, beauté de diablotins faisant le grand pas entre l’Amérique et le vieux continent, entre le début et le milieu d’un siècle. Une histoire du jazz mâtinée de chanson française. Diable de musique, que c’est beau !

Personne n’en voulait ? C’est une musique pour tous ! Chefs-d’œuvre réactualisés, de tous les présents !

Par : Alain Fleche

℗ Les Improfreesateurs

https://www.possibles-quartet.com/