MOHAN BROTHERS – COCHIN (Kerala, Inde) – 23/01/2025

Lacshay Mohan : Sitar
Aayush Mohan : Sarod
A. Balakrishna Kamath : Mridangam (dolak)
Deen Mohan : Tabla

Qui oserait prétendre que la musique indienne ne swingue pas ? Certainement pas John Coltrane (India) ni Don Cherry (Codona), encore moins John McLaughlin (Shakti), pas plus tous ceux qui se sont approchés sincèrement, auditeurs avertis compris, et sont tombés sous le charme de ces codes particuliers, pas si éloignés de ceux qui nous sont familiers.

Le Sitar, instrument (avec frêts) emblématique du genre utilise fréquemment le ‘pull on’ (étirement vertical des cordes)

Le sarod  (sans frêts) obtient cet effet horizontalement, comme sur un slide guitare.

Deux instruments solistes rarement réunis ensemble, une chance ce soir de les entendre dans cette salle bondée (indiens et occidentaux), maniés par des artistes mondialement reconnus, même s’il n’y a pas d’enregistrement formel (cd), justes quelques vidéos, notamment au Gammy Museum de Los Angeles où ils furent les premiers musiciens indiens à se produire.

Deux percussionnistes le accompagnent : le tabla (peaux horizontales) et le dolak (peaux verticales). Depuis longtemps la vina ( une seule corde) qui produit une note unique tout au long du morceau est remplacée par une boite électronique, dommage pour les puristes…

Sans rentrer dans les nombreux détails qui régissent cette musique, le schéma général se développe ainsi : chaque instrument (percus comprises) présentent les notes qui vont être utilisées sur le raga (chant) choisi. Puis le thème est d’abord suggéré, précisé avant d’être pleinement exposé. Les 2 solistes ont joué séparément avant de se réunir en tutti pour aborder le thème, déjà teinté de variations. Lorsque tout ça est bien posé, entrent en jeu les percussions. La précision de frappe leur permet se sonner mélodiquement faisant entendre distinctement toutes les notes de la gamme choisie.

Progressivement, les variations s’éloignent du chant original tout en gardant les mêmes notes imposées, jusqu’à faire apparaître de francs chorus faisant appel au même imaginaire que toute musique improvisée, avec progressions harmonique, d’intensité, break, silences, tensions… et humour ! Chouette : ce soir ils ont tous une banane d’enfer qu’ils partagent en se souriant généreusement, sans effort ni calcul, juste heureux d’être là, ensemble… et nous donc !

La tension, l’assurance, la vitesse d’exécution monte le long du morceau jusqu’à l’explosion finale de figures acrobatiques étourdissantes.

Sur le dernier titre, le développement tourne au 4/4 auquel les 4 musiciens participent. Des phrases proposées par le sarod (leader du quartet) sont reprisent par les 3 autres, puis ornementées, personnalisées, ça passe en questions-réponses que ne renieraient pas les maîtres du ‘chase’ de jazz. Là aussi, tout s’accélère, les 4 mesures se réduisent à 2, puis une, puis à 2 temps chacun… on a presque du mal à les suivre malgré notre attention soutenue, une présence partagées par tous, sur scène et dans la salle, les notes volent, s’échappent bientôt des temps qu’imposent les percus s’envolant aussi dans de folles libertés, un feu d’artifice qui n’a rien d’artificiel, c’est du feu ! La cohérence de l’ensemble tient du miracle. Contrôle totale de la situation. Explosions de notes, de frappes, de joie !

Pouf, c’est fini, les musiciens ravis et épuisés ont transmis tout leur savoir, leur magie en partage d’amour pour tous. Nous sommes quasiment en lévitation par le bonheur de ce moment unique. Du mal à se lever, à se quitter, (d’)autant que les musiciens (qui) traînent dans la salle, répondent à des questions, papotent, morts de rire et de joie…

Un grand moment de bonheur !

Par Alain Flèche