Nous allons rester dans le Grand Nord du Nouveau Monde (Canada) et essayer de cerner (pour autant que cela soit possible) un grand et prolixe musicien que nous avons déjà croisé, en collaborateur privilégié et inspiré, du fameux sax alto François Carrier, en musique improvisée ; pilier de la maison de disque “Effendi”, nous avons parlé de sa collaboration avec le maître des lieux : Alain Bédard, avec lequel il est capable de (très bien) jouer “mainstream” ; accompagnateur énergique qui réveille et révèle le travail du guitariste Simon Legault… 
Il est temps à présent de présenter ce polytechnicien de génie qui associe musique, peinture, rencontre, travail préparé et totale impro, alchimie des sons et de l’esprit… dans son jeu qui va de subtile à furieux et ses compositions pleines de feu et de couleurs. Pour cet artiste accompli et atypique, nous avons choisi une présentation de même, sans ordre chronologique précis, mais plutôt, à l’instar de la définition du métaphysicien René Guénon, et en accord avec la théorie de “l’éternel retour” de l’ethnographe Mircea Eliade, nous voulons parler, et suivre un plan, de “temps circulaire” ! Nous n’utiliserons donc pas la vision classique de “temps linéaire (début – fin), mais voyagerons en spirale, en piochant de-ci de-là, au gré des discussions, selon les confidences de Michel, de ce qu’il se passe entre les oreilles… et le cœur (pour entrer dans celui du sujet). 
En suivant Michel à la/sa trace, nous croiserons Jeannette, sa compagne, chanteuse confirmée, les frères Côté : musiciens incontournables de ses projets passés et futurs, le(s) Maîkotron (s) : instruments à vent improbables, et beaucoup d’autres éléments qui le rendent si attachant que nous attendons tous bientôt sa prochaine venue en France (qu’il connaît bien) afin de le féliciter de vive voix de tout le bonheur qu’il nous apporte à travers son œuvre féconde !


Ars Transmutatoria

Nous parlions de temps cyclique, de zig-zag, alors nous commencerons ce dossier… par la fin ! En parlant du tout dernier projet de Michel Lambert : “Ars Transmutatoria”, non seulement on ne trouve pas encore la galette dans les bacs, mais la-dite galette est encore, à cette heure, en cours de finalisation ! Ce qui ne nous empêche nullement d’en parler, et de s’en faire une idée de par les commentaires, puis extraits, variés, déjà réalisés, que nous ont confiés leur auteur : 
Ars Transmutatoria est une œuvre musicale et visuelle nouvelle, dont la création va de 2016  à aujourd’hui. Le manuscrit contient 72 pages qui fonctionnent indépendamment et demandent chacune une lecture particulière. La notation musicale traditionnelle est utilisée seulement en partie car c’est l’assemblage des éléments visuels multiples et variés qui guident la lecture de chaque page : collages, dessins ou composantes de matière organique. Le résultat s’adresse à un ensemble d’improvisateurs variables et le produit musical de sa lecture est multiple. La construction de l’œuvre fait appel à une pluralité géographique condensée dans un même lieu et à l’utilisation d’un espace-temps non linéaire. Ces deux concepts retrouvés dans la construction de la partition sont aussi présents dans les performances et autres activités reliées à l’œuvre.
Pluralité géographique et espace-temps : sur une période de plusieurs mois, je cumulais, lors de mes voyages et tournées à l’extérieur du pays (Canada), des éléments musicaux, des idées et créations mélodiques ou harmoniques ou autres que je développais sur le champ, ou après. Je ramassais en même temps, d’abord des images, coupures de magazines, brochures, journaux puis graduellement des feuilles, des fleurs, du sable, des restants de matière organique, nourriture, des feuilles vivantes et mortes. En développant la partition, je mélangeais ces éléments avec leur origine et temps de collecte variés, selon un code de création visuel et une iconographie personnelle en perpétuelle évolution. Souvent, une page engendrait un thème, un centre, une fondation sur laquelle je pouvais construire et développer. Avec le temps, la partition prenait la tournure que j’avais désiré dès le début de ce travail, sans savoir comment l’atteindre : un choc des couleurs et des éléments émergeant. Leur proximité nouvelle, leur provenance, le temps de création et de cueillette rassemblés dans un espace/temps serré, engendrent la formation de vibrations intenses et mystérieuses.

Voici quelques liens :

Bientôt sur le marché… (en fabrication physique) 

https://michellambert.bandcamp.com/releases

ici, des vidéos
https://www.youtube.com/watch?v=2CCXYJZ4xOA&ab_channel=rantdrums

ici en studio à Pernes
https://www.youtube.com/watch?v=woYC15jgrT4&ab_channel=rantdrums

ici avec des membres du London Improvisers Orchestra
https://www.youtube.com/watch?v=O3C9PS9O1E0&ab_channel=rantdrums

ici version orgue
https://www.youtube.com/watch?v=UGbx1UvHWlw&ab_channel=rantdrums

ici version maïkotron géant
https://www.youtube.com/watch?v=eQKw5ijs3c0&ab_channel=rantdrums “

Merci Michel ! 
Vous aussi avez hâte de tenir dans vos mains fébriles le résultat concret de ce projet et de le passer, et re-passer dans les oreilles… ?  En attendant, nous ferons un petit tour en arrière sur l’œuvre de ce multi-artiste, dans la suite de ce dossier…

Présentation de l’Artiste 

Nous venons de parler du travail de Michel, en cours (Ars Transmutatoria), voici peut-être le moment de survoler le parcours, très riche, de cet artiste éclectique, qui l’a amené à cet endroit, aujourd’hui. Plutôt qu’une interview conventionnelle en questions-réponses, nous laisserons parler Michel, puisqu’il a bien voulu spontanément faire lui-même le point sur sa très riche et fluctuante carrière. Nous développerons ensuite, dans les chapitres suivants, les étapes qui nous paraissent importantes cardinales, charnières dans son œuvre artistique surprenante, passionnante qui nous réserve encore, nous le souhaitons, de nombreux joyaux. 


AUTOBIOGRAPHIE 
Michel Lambert : batteur/compositeur/improvisateur/artiste


Michel Lambert est le descendant d’une lignée légendaire de musiciens classiques de Québec. Fasciné à la fois par la batterie et la composition, après des études au Conservatoire, il polit son langage musical à la fameuse Berklee School de Boston. Herb Pomeroy, John La Porta et Greg Hopkins figurent parmi ses professeurs importants. Il poursuit ensuite ses études à Los Angeles en “83, à Paris, en “84 et puis New York “85 et Amsterdam‘ 87. 
Depuis “82, différents projets l’ont emmené à travers l’Europe, le Canada, les Etats-Unis et l’Asie, aux festivals internationaux comme ceux du Jazztreff Berlin et l’International New Jazz Moers en Allemagne, Jazz Wien en Autriche, Long Arms à Moscou et ESG à St-Petersburg en Russie, Toraja Jazz Festival, Sulawesi, Jakjazz Jakarta, Java et Intermusic Festival à Bali en Indonésie, Jarassum Jazz en Corée, Xi’an Jazz meeting and Shanghai Arts Festival en Chine, Tampere Jazz Happening, Pori Jazz en Finlande, Sardegna Jazz Festival, Civitavecchia et Caltanissetta en Italie, North Sea Jazz aux Pays-Bas, Bermingham et Marlborough en Angleterre, Cerkno Jazz Festival en Slovénie, Jazzmandu au Népal, JVC et Jazzy Colors Paris, Eclats d’Email Limoges, Jazz in Circulo Madrid, Espagne, Rochestrer Jazz Festival USA, Querétaro Jazz Festival Mexique, Nancy Jazz Pulsations, Jazz Festival du Mans en France, Jazz Warsaw en Pologne, Yokohama Jazz au Japon et bien d’autres. Il a travaillé dans les clubs et lieux les plus prestigieux du jazz comme au Lincoln Center à New York ou le Vortex à Londres. 
Il a tourné et enregistré dans plusieurs pays et collaboré avec des géants tels Gary Burton, Dewey Redman, Barre Phillips, Paul Bley, Uri Caine, Bobo Stenson, Gary Peacock, Charlie Haden, Dave Liebman, Pat LaBarbera, John Tchicai, Mat Maneri, Mark Feldman, Donny McCaslin, Tomasz Stanko, Marcus Belgrave, Stephen Haynes, Misha Mengelberg, Steve Beresford, Milcho Leviev, Alexey Lapin, Bobby Few, Greg Burk, Alexander Hawkins, Kalman Olah, Jan Jarczyk, Steve Potts, Nicola Stilo, Raoul Björkenheim, Jean-Jacques Avenel, Peter Herbert, John Edwards, Rafal Mazur, Phil Minton, Steve Noble, David Baker, James Campbell, Alain Trudel, Hugo Antunes, Guillermo Gregorio, John Zorn, Mike Nock, Bob Mover, Sonny Greenwich, Don Thompson, Dave Young, Wray Downes, Ed Bickert, Herbie Spanier et d’autres. Il collabore avec Jeannette Lambert, Reg Schwager, François Carrier, le Maïkotron Unit, le Quartet Auguste d’Alain Bédard, Jean Michel Pilc, Dan Faulk, le Improv Music Project et plusieurs jeunes artistes de la relève. Michel Lambert est aussi chargé de cours à l’Université McGill depuis presque 20 ans. 
Compositeur en constante évolution, il écrivait en “88, le “Journal des Episodes”, 366 épisodes pour orchestre symphonique que l’Orchestre de Winnipeg donnait en première en “92. Vingt ans plus tard, il présentait une réduction pour trio, sur deux disques, avec Guillaume Bouchard et Alexandre Grogg. Artiste peintre, il reçu en “96, une commande du Conseil des Arts du Canada pour illustrer un coffret : une compilation de musique canadienne, offert aux Nations Unies, pour célébrer le 50e anniversaire de l’organisation. Avec l’appui du Conseil des arts et des lettres du Québec, il poursuivait son travail en musique et en arts à New York en “98 et à Paris en 2007, ou bien, il occupait les studios du Québec. Avec l’aide d’Affaires Etrangères Canada, il créait en 2004 le projet “Out Twice”, une tournée européenne de six pays suivis de “Rencontres 2007, une tournée européenne de trois pays. Il a mis sur pied les 5 « Doubles Duos », une série de duos en art et percussion avec Daniel Humair, Han Bennink, Sven Åke Johansson, John Heward et Rakalam Bob Moses avec qui il produisait “Meditation on Grace” en 2008. Son disque “Le Passant” est une œuvre remarquable pour orchestre de chambre et improvisateurs, avec Dominic Duval, Ellery Eskelin et Malcolm Goldstein, parue en 2004. En 2009, il présentait à Paris, ses Musiques Dessinées avec François Théberge et Jon Handelsman. Plusieurs compositions orchestrales et scores visuels ont suivi. “Mille Huit Fenètres” 1008 structures harmoniques et 1008 dessins figurent sur la partition, en 2011, “Alom molA, en 2013, “Caravaggio, Ténèbres et Lumières” en 2014, puis, “Les Cahiers de Barcelone” en 2015. Ces dernières œuvres font partie du disque “Alom Mola” paru en 2016. Depuis quelques années, Michel Lambert travaille sur “Ars Transmutatoria”, une œuvre qui défie la composition musicale avec l’intégration d’éléments d’écriture inhabituels, de dessins, collages et matière organique. Il a séjourné en plusieurs résidences artistiques avec Jeannette Lambert, pour développer le dessin et la composition en Italie, en Espagne, en France, en Indonésie et en Malaisie. En 2019, il occupait la partie soliste aux côtés de Kent Nagano et L’OSM pour la création de l’œuvre de Zosha Di Castri, “Hunger”, à la maison symphonique pour la série « le 7e Art et Brahms ».

LE MAÏKOTRON Dans l’épisode précédent, nous avons aperçu notre héros jouer d’un drôle d’instrument, dans une église, nommé d’une façon non moins bizarre : le MAÏKOTRON. Cela fait un petit moment que Michel l’utilise dans ses enregistrements et nous donne maintenant quelques renseignements à propos de cet engin farfelu…, mais fascinant ! Laissons à nouveau la parole à Michel :

“Petit mot sur le maïkotron…
Il m’arrive de faire de la sculpture avec :  plasticine, pâte à modeler ou métal et vis, boulons, écrous…
J’ai fait une structure musicale avec une centaine de boîtes à conserves, montées sur des tiges en métal. Toutes ramassées au marché Albert Cuyp à Amsterdam et envoyées à Toronto par bateau (faut vouloir) !
Ceci étant dit, je ne sais pas comment faire des soudures… Un jour au début des années 80, mon ami Michel Côté me dit : voici un instrument que seul toi peux jouer. Il te va à merveille. Nous l’avons appelé maïkotron. Par la suite, en travaillant dans la réparation d’instruments à vent à Québec, Michel a perfectionné ses techniques de soudure et avec la demande de notre musique, il en a fabriqué cinq ou six.
Avec le maïkotron est né le Maïkotron Unit, trio de musique nouvelle, improvisée avec Michel Côté, clarinette basse, son frère Pierre au violoncelle et moi au maïkotron. J’ai appris à maîtriser la bête, l’ornithorynque musical, avec ses six valves de trompettes, son corps de cornet déroulé et sa tête en embouchure de ténor. J’ai par la suite expérimenté avec de multiples sourdines et embouchures de trombone et anches de basson (je l’ai même branché avec un aspirateur dans un duo avec Jeannette, les débuts de “Black Fungus”, j’ai aussi doublé une ligne de basse de Mick Karn, ex-membre de Japan, enregistrée à l’envers). Grâce à plusieurs éléments propices et concordants avec le Maïkotron Unit nous avons été les véhicules de création d’une musique qui n’existait pas, libre et parfaitement balancée, je pense.
 “quelquechose d’alchimique ?” ….ben oui, c’est vrai…
J’aime beaucoup les œuvres de Hieronymus Bosch… très intéressant ! Créer une nouvelle matière à partir d’éléments rares combinés, un peu comme dans Ars Transmutatoria où le choc des couleurs et des sons et leur proximité et déséquilibre engendrent la formation de vibrations nouvelles, intenses et mystérieuses. 
Le mot Maïkotron vient de Mike (deux Michel) et tron comme neutrons… me souviens plus exactement ? J’ai joué énormément avec Pierre et Michel Côté, tous deux autodidactes et dévoués. “Généreux commentaires de Michel, nous restent cependant quelques zones floues à éclaircir .. :
– Michel, merci pour ces précieux renseignements, voudrais-tu maintenant nous raconter comment tu as découvert la flûte (que tu utilises de temps à autre), est-ce cette pratique qui t’a poussé à jouer du Maîkotron, et dans quel sens (motivation) l’utilises-tu ? Enfin, cet instrument induit une ambiance particulière, mais offre-t-il suffisamment de notes précises (étalonnées) et jouables pour le qualifier d’harmonique ? : 

“La flûte
Lors d’une de nos visites en Indonésie, nous avions rencontré un artiste fabuleux et avions joué avec lui (Jeannette, Reg et moi) dans son village à Bali. Gung Alit est multi artiste et multi instrumentaliste (un peu comme était l’artiste Néerlandais-Indonésien, symboliste Jan Toorop) et il invente et fabrique toute sorte d’instruments. Il m’a offert une flûte : un suling.
Depuis toujours, je touche à plein d’instruments de musique, sans vraiment les maîtriser. Pour l’ouverture d’un concert, la suite “Dum Praeliarétur” du Maïkotron Unit à l’Université Laval en 1993, j’étais caché dans l’obscurité, sous le piano avec mon trombone. J’avais remplacé l’embouchure habituelle par mon embouchure de maïkotron (Brilhart, #5 pour les fans). Plus tard on m’a rappelé que le recteur de l’époque avait été surpris par ces glissandi monstrueux.
Le maïkotron possède un caractère unique avec des forces et des faiblesses. Il est possible de produire une gamme chromatique complète en ré bémol dans le registre le plus bas. Le doigté est très difficile donc c’est lent. Le tuyau d’air est petit, mais très long, ce qui amène un son naturellement bas. Avec certaines clés, on peut opérerdes sauts d’octaves prodigieux, “Dolphyesques”. Le maïkotron donne un ton très précis, mais large. Comme une très bonne cymbale, il est difficile à contrôler et réagit vif ! Harmoniquement, il est très souple, surtout en ce qui concerne tout dépassement des limites d’intervalles normales pour l’oreille tonale dans le grave. Il peut s’utiliser sur toute tonique. Dans Caravaggio, Ténèbres et Lumière, et sur Alom Mola, il y avait une note, que même la clarinette contrebasse de Michel ne pouvait pas jouer, donc on l’a prise sur le maïkotron géant que j’utilise dans Ars Transmutatoria.
La microtonalité, volontaire ou non, le jeu des coulisses et la flexibilité de l’instrument permettent plusieurs expressions nouvelles. Je t’avais mentionné auparavant la ligne de basse fretless enregistrée à l’envers et doublée par le maïkotron. En 1988, j’avais été invité pour une session d’enregistrement à Zerkall en Allemagne pour la compagnie CMP. Trois semaines à créer de la musique en studio avec David Torn, Michael White et Mick Karn. C’était l’époque des premières consoles digitales, avec aux commandes, Walter Quintus, un grand ingénieur (Le disque Lonely Universe CMP 41). Mick avait enregistré une superbe ligne de basse puis avait repassé la bobine à l’envers pour un effet extra terrestre. Avec le maïkotron, j’ai pu la doubler, avec un peu d’oreille et une recherche de doigtés rapide.
Je t’avais aussi mentionné le coup de l’aspirateur. Mon frère avait été brièvement vendeur de balayeuses (aspirateurs) pour gagner des sous. Ma mère en avait acheté une, très puissante avec une technologie soi disante  » utilisée en aviation »… Je l’ai emmenée (l’aspirateur) en studio, vers 1985. Pour aspirer, je me disais, il faut que l’air sorte ensuite quelque part. J’avais imaginé qu’au lieu de souffler…  j’avais donc bidouillé un raccordement direct, sortie d’air de la balayeuse, branchée à l’embouchure du horn. L’enfer… après un moment, la fumée arrive, le studio enboucane. J’avais fait sauter le moteur… mais quelle belle musique !
J’ai aussi enregistré des suites harmoniques, tout maïkotron à cinq ou six voix. C’est très riche. (dans « Ice on Highway »,  « Lonely Universe », “à la plage”, sur Rant). J’ai beaucoup travaillé avec différentes sourdines et embouchures de trombone, saxo et anches de hautbois, rallonges de tuyau, etc… Avec le Maïkotron Unit, nous avons souvent recherché le son dans les églises pour l’acoustique idéale. Les premiers enregistrements en font preuve comme, No Bound, Requiem, Naufragés et Dum Praeliarétur. Too-Gather a été capté dans les prés, on l’entend dans Maïkotron Unit avec Dave Liebman en concert.  

Après toutes ces précisions offertes par Michel, voyons de plus près les possibilités, et surtout le son de cet instrument (et ses variantes), en survolant les enregistrements faits avec cet outil phénoménal dans le cadre du : 

 MAÏKOTRON UNIT 

Un trio qui va sur ses 40 ans d’existence, autant vous dire l’amitié, la complicité, l’intimité qui lient les 3 hommes (sans compter les hautes capacités de virtuosité dont ils font chacun preuve évidente) depuis tout ce temps mis à profit pour exploiter les possibilités de cette formation, avec personnalités, caractères, idées, sens et parfois instruments, mis en commun, dans un aboutissement qui laisse songeur… Ce sont :
Michel Côté : Clarinette Basse, Saxophones, Maîkotron / Pierre Côté (son frère) : Contrebasse, Violoncelle / Michel Lambert: Batterie, Maîkotron

EX-VOTO

C’est (déjà) le 7e enregistrement du “Unit” (Chez Rant), mais le 1er paru sur cd. Les liner notes (de Michel L) sont riches de renseignements sur le groupe, son histoire et son fonctionnement, ainsi que sur le projet lui-même. “Maïkotron Unit, unité de recherche en nouvelle musique. Le Maïkotron est la pierre angulaire des constructions acoustiques du trio “, et à la fin du texte : “Le Latin, les églises, les Maïkotrons, ornithorynques en laiton, tous appartiennent à un monde réel, celui du Maïkotron Unit. Ils respirent à l’intérieur, au cœur, au centre de cette musique incroyable.

« C’est Michel qui le dit, et nous sommes largement enclin à acquiescer après quelques minutes d’écoute de l’œuvre. Enregistrée en 2010 dans une église de Québec. Choix délibéré ou recherche de cohérence : les titres sont libellés en latin ! Passion pour J. Bosch ? Réminiscence de 5 ans de petit séminaire ?
L’écrin en carton de la galette présente 12 petits tableaux (de Michel L.), auxquels correspondent 12 commentaires musicaux composés de 1, 2 ou 3 titres chacun (20 morceaux en tout). Mais d’abord : pourquoi ce titre “Ex-Voto” ? note de l’auteur : “Comme un Ex-voto, la musique du Maïkotron Unit, est une offrande célébrant son émergence et sa propre survie “. (et toc !). 12 vignettes (comme un chemin de croix ?) représentant sur certaines une barque avec 7 occupants… et 1 chat, et un pavillon de Maïkotron ; blocs de glace, banquise, tempête, mer verte, grise et sombre sont les décors pour ces naufragés célestes (ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, à l’horizon : la matière et l’esprit se rejoignent). Sur le visuel du disque lui-même, les membres du trio ‘en photo) ont revêtu les capes des navigateurs… interprètes qui illustrent les 12 cases de la Bande Dessinée, traduction sonore d’un voyage désorganisé et improbable en 20 saynètes courtes, mais élaborées, chacune avec leur identité, dans une suite cohérente et sans heurt.
Musique d’un trio soudé, où les instruments avancent de front, mêlant leurs sons étranges : les basses du Maikotron prolongent celles des clarinettes, doucement bercées par l’archet sur le violoncelle, voyage ponctué judicieusement par une batterie coloriste, presque mélodique, qui force le trait des images qu’évoque l’ensemble… Compositions courtes, pleines d’émotions et de sentiments, proches parfois de la musique contemporaine, souvent sombres, mais aussi chaleureuses, ténèbres où la lumière n’est jamais totalement absente (La lumière brillait dans les ténèbres, mais les ténèbres ne l’ont pas reconnu — St-Jean —). Et puis, oui, le swing affleure bien souvent : beat des fûts, motifs répétés et “walking’s” de ce qui sert de basse… Peu d’élans paroxystiques, dans cette concentration de sons, d’idées, d’individualité perso mise au service des autres. Recherche constante d’unité, de communication, de communion auxquels sont conviés les auditeurs qui se remplissent les oreilles de joie, et le cœur de bonheur d’être admis dans cette effusion de (bonnes) vibrations partagées. 
2e tableau de l’œuvre, qui sera traduit par un thème très jazzy : “Tabula…” : 
https://mail.google.com/mail/u/0?ui=2&ik=b889ba5794&attid=0.1&permmsgid=msg-f:1681362200195676330&th=17556603496eb8aa&view=att&disp=safe&realattid=f_kgmhqjnf0

EFFUGIT


M. Côté 
: Clarinettes, Piccolo, Maikotron  / P. Côté : Violoncelle, Contrebasse / M. Lambert : Batterie, Maikotron, Flûte
chez : Rant
Enregistré en 2012, toujours en église, Québec. On quitte l’élément aqueux pour le Feu ! Michel nous présente ce projet (tiré des liner-notes) : “Avec Effugit, ce sont le cœur et l’âme du Maîkotron Unit qui sont évadés. Libre, sorti de l’ombre, le langage unique du trio éblouit “. Nous retrouvons les mêmes qualités globales du trio et de ses éléments, pour une musique plus matérielle, tellurique, ignée ! Caverne de Vulcain où le forgeron bat le métal. Ça rougeoie, ça fume, ça ombre et lumière. Le ronflement de la forge dispute aux battements des outils sur le fer, stridence de plaque rayée, claquement d’une autre qui choit, entre-chocs qui résonnent, l’eau de la trempe rugit. Reflets sur la pierre de la grotte : le Rouge des flammes s’intensifie au Blanc de la fusion, puis Noircit d’oxydation que frottent sans relache les ouvriers à coups de notes projetées en tous sens, puis régulièrement, polissent jusqu’au brillant aveuglant d’évidence. Ce n’est plus un voyage, mais une expérience. Alchimique !
La visite peut sembler effrayante, et puis, non, ce n’est qu’un atelier, inquiétant, certes, mais en repérant les codes du lieu, l’œil s’habitue au clair obscur et feux qui ne sont d’artifice, mais bien concrets, le bruit tonitruant devient musique, pas encore une berceuse, cependant, des rythmes qui rassurent les sens, des souffles qui chatouillent l’oreille sans l’agresser maintenant, des cordes chtoniennes qui font surface en se dépouillant des scories pesantes… Le sujet de ce travail infernal, n’est-ce, en somme, l’histoire de la réalisation physique du Maîkotron exposé sur la pochette. Mi phallique avec un filet de miasme jaillant du bec, mi-ionique dont un personnage se dégageant du pavillon… Un acte d’Amour, un bonheur et une souffrance aussi. 

Laissons Michel Côté conclure : 

“La musique, c’est l’art de faire entendre des sons choisis dans une intention… de communication. Il y a toujours un message codé dans l’émission d’un son, c’est ce qui le distingue d’un bruit. “ 

Bonus :
https://youtu.be/_ZsU_IM68-c