Dimanche 30 juin 2024 – Abbaye de Puypéroux – Montmoreau
Nakama
Nakama – veut dire en japonais « compagnons de route qui s’entraident, se serrent les coudes avec bienveillance »
dixit le quintet
César Forques, saxophone
Jules Charbonnier, piano
Mehdi Hamidou, contrebasse
Matthieu Chauvet, guitare
Pierre Bouchard, batterie
Le piano de Jules Charbonnier libère des volutes bleues qui s’envole lentement avec le sax soyeux de César Forques, la batterie de Pierre Bouchard, tout aussi précautionneuse, les accompagne mais les vents contraires nettement plus furieux s’agitent, changement de temps magnifié par le tempo, un retour au calme sert d’oeil de cyclone laissant présager de sacrés tourbillons : batterie en tête, à la maîtrise, contrebasse et guitare à la solidité. Le souffle délicat et nuancé du sax en final, d’un amateur de cinéma, passionné par les turbulences de la pellicule.
Encore un avis de tempête où tout vole en éclats avant de retrouver ses marques soft. Les méandres du jazz ne s’en plaindront pas For Those Who Where Here.
Groove, cadence, good vibes, laissent place à une ballade, la contrebasse de Mehdi Hamidou est charnue, la guitare de Matthieu Chauvet, chantante pour que s’immisce le tendre sax de César Forques.
Roulements d’affection sur la caisse claire de Pierre, douceur des sentiments pour la petite sœur, Rose, ce morceau traduit la délicatesse, l’attention mais l’espoir aussi de l’épanouissement de la personnalité à venir. Rien de sirupeux, mais plutôt la revendication d’une liberté en marche à l’écoute de la contrebasse volontaire qui adjure ses acolytes de déployer ce manifeste fraternel. Ça ne peut pas faire de mal… Ne rien lâcher !
Une autre ballade descriptive cette fois, un instant de nature dans sa beauté apaisante à laquelle ils rendent tous cinq hommage, laissant le compositeur nous la faire partager avec sa batterie qui inclut des silences contemplatifs.
Our memories est un morceau nostalgique au tempo volontairement empesé comme pour retenir le souvenir ?…La contrebasse de Mehdi Hamidou active la mémoire, chacun s’en empare et accompagne le sax de César Forques, véhicule fidèle à une histoire.
Le piano psalmodie, la présence du père disparu, un homme bon, à jamais protecteur dans les baguettes de Pierre Bouchard, dans ses cymbales, dans la gestuelle délicate de ses balais qui célèbrent l’éducation précieuse, l’affection et la bienveillance. Eh bien, je vous assure on aperçoit Rama, the man who gives hope… Chaque musicien donne ici le plus tendre de son toucher. L’importance du compagnonnage, l’entraide, c’est Nakama.
Avec une jeunesse pareille, je crois bien que c’est pas foutu !
Tant d’espoir dans cette jeune génération du Centre des Musiques Didier Lockwood (CMDL), nous ne serons pas déçus…
A suivre !
Anne Maurellet
Gueorgui Kornazov Brass Spirit Quintet « Réminiscence »
Gueorgui Kornazov, trombone
Quentin Ghomari, trompette
Didier Ithurssary, accordéon
Lucas Dessaint, soubassophone
Stan Delannoy, batterie
Didier Ithurssary laisse-t-il le son s’emparer de son accordéon, inaugurant le titre du concert Réminiscence. On pourrait céder à la nostalgie, laisser venir les souvenirs, redonner vie au passé en l’appelant lentement, doucement, comme une berceuse somptueuse dont le balancement éveille curieusement , anime, nourrit la note lymphatique. Sentez-vous vos artères se gonfler de cette musique, trois cuivres, trompette, trombone courbé, soubassophone, pour intensifier l’effet.
Ne pas s’y méprendre, y’a d’la joie, mais à la Kaurismäki… Le passé comme brûlure du présent, et le désir d’en réactiver la puissance potentielle et donner à l’instant son épaisseur et sa dynamique. Ainsi le trombone de Gueorgui Kornazov est profond et tonique, la trompette de Quentin Ghomari, tonitruante, ce qui ne l’empêche pas de chuchoter.
Ignorer ses racines, c’est se condamner à les subir. Entendre les voix d’hier dans sa chair, du pays d’origine, de l’enfance, des émotions enfouies, ça donne du sens à la vie, ça permet de la ressentir pleinement. L’accordéon de Didier Ithurssary prend le temps de ce déroulé lent, aux guirlandes colorées dans la campagne, quelques pas virevoltent dans les doigts de Didier pendant que les cuivres enroulent leurs notes dans l’instant suspendu. La batterie délicate de Stan Delannoy maintient l’ensemble. et quand Gueorgui dédouble les sons de son trombone comme une voix éraillée, ce dernier semble sortir de la terre ; la trompette vocifère, tous envoient une énergie décapante et tourbillonnante. On pourrait facilement se lever et danser bras ouverts, libérés dont on ne sait quoi… Vive la musique exorcisante !
La beauté triste de l’accordéon étend ses atermoiements, ses lassitudes, ses espoirs. Et l’on se prête à rêver d’un ici meilleur, ça paraît si facile dans ce festival.
Place à un trombone moqueur qui attire vite le soubassophone de Lucas Dessaint dans ses éclats de rire, rumba endiablée et les trois autres complices participent rapidement à la déconnade, les instruments s’amusent… Impressionnant.
Le trombone bouché fait office de cor… L’accordéon a repris ses esprits pour d’autres tours de piste, la batterie cliquette de plaisir, tous finissent dans une ronde folle.
Du rire aux larmes, les musiciens reviennent pour un boléro déjanté, nous amenant à nous balancer. La batterie ferme brillamment la marche, caisse claire de Stan Delannoy aux multiples lasers. Waouh !
Didier Ithurssary scrute les cavités de sa trompette, sa résonance, ses rebonds pendant qu’accordéon, batterie et soubassophone battent la chamade. Résurrection de la joie en fait.
Et puis, tous cinq peuvent fatiguer les instruments, défaire la fête… pour s’en souvenir ! Dégustez le goût de la réminiscence.
Anne Maurellet, photos Alain Pelletier
Daïda
Nathan Mollet, claviers
Arno de Casanove, trompette
Samuel F’Hima, contrebasse
Antonin Fresson, guitare
Vincent Tortillier, batterie
Les cinq à fond pour mettre la transe en branle, groove énorme !
La contrebasse de Samuel F’Hima pulse et n’en dérogera pas. La guitare d’Antonin Fresson surfe sur de gigantesques arabesques, la trompette d’Arno de Casanove amplifiée ouvre des horizons inattendus, un espace futuriste aux couleurs orangées. Aube ? Crépuscule ? On pense aux images de Blade Runner, actualisées. La batterie de Vincent Tortillier distribue le tempo. Le clavier amène le psychédélique, flash sonore à longue portée, lueurs d’électronique traversent la scène et pourtant ce sont bien des instruments ! Intéressant, non ? Libération cérébrale, fantasy organique.
La trompette gémit parfois longuement, allongeant le temps et l’espace. Y surgit un chant sensible, peut-être désespéré, une faille ou un espoir ?
Le clavier respire en suffocations sourdes, cataclysmes souterrains, ondes de choc. Une fréquence radio instable, dijonctée sort de la guitare d’Antonin, la batterie demeure guerrière. Des nuées d’oiseaux métalliques traversent la scène. Des gouttes de pluie argentées tombent des cordes d’Antonin Fresson, de plus en plus denses. Il faut partir dans cette quatrième dimension, y rêver autrement, vous roulez dans des cascades généreuses aux eaux pourtant agitées, abandonnés. C’est La traversée.
Paraît que nous passons sur la banquise, Inuit ?!... transportés. Des heures bleutées transpirent de la glace qui semble fondre patiemment avec la contrebasse de Samuel, l’eau goutte à goutte… une trompette lointaine appelle les orques du clavier de Nathan. La guitare lance des aurores boréales et le clavier annonce la nuit enveloppante et inquiétante à la fois. Une nature en forme d’infini.
Après un bref retour festif, on semble s’éloigner de la brèche ouverte à moins que nous soyons tombés dans l’onirique, définitivement…Transe, dance ! Respire.
Respire Jazz, nous en avons tant besoin , alors, nous serons là en 2025 !…
Anne Maurellet, photos Solange Lemoine
Galerie photos
Anne. Maurellet, Alain Pelletier, Solange Lemoine