Jacky Terrasson Trio and friends au Rocher – 21 02 /2025

Jacky Terrasson, piano
Sylvain Romano, contrebasse
Luckmil Perez, batterie

  • guests
    Kareen Guioch-Thuram, voix
    Camille Bertault, voix
    Julien Alour, trompette

Le tempo est placé immédiatement par Jacky Terrasson, oui ça swingue d’emblée, petites touches pour le trio efficace, délicat, oublions la dextérité bien évidente du pianiste puisqu’elle est au service du ténu, de l’essentiel, des sonorités, de la délicatesse triste du mode mineur. Les triples croches défilent doucement avec une légèreté excellemment pensée. Alors, choisissez une pluie si fine que vous la désirez encore sur votre peau. Les deux autres comparses accompagnent avec le même esprit.

Les doigts de Jacky chantent, des mélodies -on entend Chopin- affleurent. Le pianiste chatouille les touches pour qu’elles dansent, des montées chromatiques envoient des éclats de couleur, les accords frappés eux sont là pour faire bondir le swing, excitation et douceur alternent, se mêlent, la joie en somme, en écho à Ahmad Jamal. Dans la foulée, Besame mucho prend des airs de tendresse en mémoire, célébration du morceau et de ses paroles, Jacky égrène les notes comme on prêterait l’oreille à un air commun pour l’apprécier à nouveau. Interpréter, ce n’est ni additionner, ni soustraire, c’est créer sur la création, en dégager les colorations et de nouvelles perspectives – rendre hommage, c’est dérouter- c’est pourquoi ça tangue sévère, quels baisers langoureux, savants !…

La batterie de Lukmil Perez roule et percussionne, discrète, pas dans la puissance, pour cadencer les accords de Jacky Terrasson. L’habilité de Jackie sert le rythme cubain, c’est presque un chant, un gospel pianistique, peut-être bien en fait une incantation, au moins un hymne à la vie, à la sève, au fourmillement pulsionnel. La contrebasse de Sylvain Romano ne défaille jamais, virevoltante elle aussi. La musique jaillit comme une fontaine de jouvence. Jacky finit en laissant la pédale pour que l’écho du bonheur retentisse encore ou qu’un AF006 laisse son sillon.

La voix de Camille Bertault et les accords de Jacky Terrasson s’enlacent, voyagent en poésie, chemins magiques, fragiles, hasardeux où l’âme ne cherche plus son identité, où tout est sensations, perceptions diaphanes. Il faut s’y perdre. Est-ce que tu me suis ?…

Batterie, piano préparé (un chiffon suffit) et contrebasse pulsent, un pouls rapide, des bribes de Non, jamais je ne pourrai vivre sans toi, amorce de la mélodie, et sa narration immédiate, une traduction sensible, démultipliée, à mille facettes du morceau. Frénésie free du sentiment, découpage des mesures, hybridations, et l’origine explose dans sa beauté renouvelée. Des déclarations comme celle-là, on en veut bien ! Et si une sorte de mambo s’en dégage sur le côté, ça rend la complainte plus fun, juste pour revenir aux sanglots longs des aveux romantiques que le pianiste capte pour l’entraîner dans la sphère jazzy.

Fasciné par le chant d’un oiseau lors d’une randonnée dans l’île de Bornéo, Jacky le prolonge dans Edit Piaf. Le trio restitue la beauté de la nature, son mystère, sa simplicité, par un rythme doux, maintenu par les balais précautionneux du batteur, la contrebasse plantant le décor de cette jungle luxuriante.

Affronter le My baby just cares for me de Nina Simone n’est pas une mince affaire, pourtant Kareen Guioch-Thuram sert un jeu puissant, paroles et musique surfant à proprement parler sur le nouveau, sans se priver de sauts et de swing pleins les mots avec un tempo tout en finesse pour que tout danse, ricoche, rebondisse. Magnifique !

Jacky Terrasson avec ses acolytes prépare la chanson à venir de Camille Bertault, nostalgie dynamique, sa pâte ; à nouveau notes et mots se tiennent coude à coude, même si les débordements bienheureux de Jacky reflètent un lyrisme tonique, toujours Interrompu par des vagues qui se meuvent discrètement sur la rive de l’invention, imagination ininterrompue. Tout cela sied bien à la voix de Camille. Jacky Terrasson sait magnifiquement s’entourer…

Un démarrage en évocation d’un espace où tout serait musicalité, les mélodies apparaissent, sont soulevées et repartent dans des boucles de swing, de rondes farandoles infatigables, enroulées et déroulées par Jacky Terrasson, de folie, d’exubérance bien maîtrisée au fond du ressort de la générosité. La belle contrebasse de Sylvain Romano temporise. Les sons, quelques accords répétés et l’infini font l’infini ! Le tout. La batterie rugit de plaisir, nous aussi ! Nous sommes enlacés à la musique du trio depuis le début, dansant avec eux, tant leur liberté agit sur la nôtre… Les voix sublimes de Kareen Guioch-Thuram et Camille Bertault, dans leur diversité, comprises.
Les frétillements des accords juxtaposés et des montées chromatiques aisées entourent le son de la trompette de Julien Alour, autre invité. Trompette et piano se copient, se doublent, se complètent dans un duo joliment complice.

Happy time !

Par Anne Maurellet, photos Philippe Marzat

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