Gazette Bleue Week-End # 19

Bonjour ! Voici la 19ème Gazette Bleue week-end ! 5 nouvelles chroniques de disques, pour ce premier chaud week-end de juillet, l’occasion de vous désaltérer avec un joli cocktail de découvertes musicales à la clé…de sol, comme soleil ! Hugo Corbin – Room to Dream, Boris Schmidt – Here, Philippe Massé – Le Vent, Fabien Enger – Off the seabed et The Bad Plus – Complex Emotions .
Bonnes vacances !
La rédaction
Hugo Corbin – Room to Dream

Avec Room to Dream, album éponyme du livre de mémoires de David Lynch, le guitariste Hugo Corbin, fin cinéphile, nous ouvre les portes d’un espace intérieur riche et feutré, un lieu où l’imaginaire s’accorde avec la finesse de l’écriture. Fidèle à son esthétique très personnelle, Corbin poursuit ici son exploration d’un jazz onirique, léché, au service d’une musique de chambre aux confins du rêve éveillé.
Né en France et ayant grandi en Martinique, Hugo Corbin a été bercé par la culture musicale locale et les disques de rock de sa mère chanteuse. Il a commencé la guitare en autodidacte, influencé par des groupes comme Led Zeppelin, Queen et Jeff Buckley. De retour en métropole, une rencontre avec un clarinettiste de la Nouvelle-Orléans l’a initié au jazz. Il a ensuite étudié à l’American School of Modern Music à Paris, puis au Conservatoire de Noisiel, et a obtenu une bourse pour étudier à la New School for Jazz and Contemporary Music à New York, où il a été formé par des musiciens tels que Vic Juris, Jonathan Kreisberg et Steve Cardenas.
Le casting de l’album, qui porte est remarquable : Monika Kabasele, voix cristalline aux inflexions bouleversantes, y déploie un chant d’une rare pureté. Sa présence illumine littéralement l’album, conférant aux compositions une dimension vocale presque incantatoire. À ses côtés, Yoann Loustalot fait résonner trompette et bugle avec une douceur magistrale ; ses chorus aériens, pleins de respiration, tissent des fils d’or entre les différentes atmosphères de l’album.
La section rythmique, solide et subtile, réunit Srdjan Ivanovic à la batterie et Marc Buronfosse à la basse et contrebasse, complices aguerris du quartet originel. On y retrouve également la pianiste Sandrine Marchetti, dont les touches délicates et narratives apportent un contrepoint très cinématographique à l’ensemble. Robbie Marshall, enfin, vient ajouter quelques échappées au saxophone ténor, tout en retenue, tout en suggestion.
Ce nouvel opus ne se contente pas de séduire l’oreille : il propose un véritable univers sonore, cohérent et minutieux, qui navigue aux frontières du jazz contemporain, et parfois même d’un certain free poétique, jamais abrasif mais toujours en éveil.
Une musique de l’écoute et de la précision, qui ravira les amateurs de textures, de climats et de compositions ciselées. Room to Dream est un disque qui porte bien son nom : un espace intérieur, finement architecturé, où chaque instrument semble parler à voix basse… pour mieux toucher ceux qui tendent l’oreille.
Par Pops White
https://www.facebook.com/hugolinho
Boris Schmidt – Here

Originaire du Luxembourg, Boris Schmidt a commencé tout jeune l’apprentissage de la musique, en se formant notamment au saxophone et au piano, pour plus tard aborder la basse électrique. Suite assez logique, il s’intéressa alors à la contrebasse, qu’il adopta finalement à l’âge de 19 ans. Il partit ensuite l’étudier au Conservatoire Royal de La Haye (Pays-Bas), avec Hein Van de Geyn, personnalité légendaire du jazz.
Boris Schmidt s’est ensuite établi en Belgique, dont il est assez vite devenu l’une des figures incontournables, contribuant à de nombreux concerts et tournées, devenu ainsi un contrebassiste très sollicité, du fait de son style personnel, alliant élégance et profondeur. Il a en outre participé à nombre d’albums, ce qui confirme la qualité de son jeu, également en studio. Citons par exemple le superbe « Treehouse Days » d’Emily Allison & Boris Schmidt paru récemment (chroniqué dans nos colonnes par Martine Omiécinski).
Quand on a longtemps été « sideman », l’envie vient de sortir son propre projet, ce qui advint un beau jour de 2018, avec la parution de « Now », son premier album sous son nom, qui reçut un bel accueil. Avec Thomas Mayade aux trompette et bugle et Osama Abdulrasol au qanun, en invités sur quelques titres, c’était à la base un quartet, Boris Schmidt à la contrebasse et aux compositions, étant entouré de Bruno Van Der Haegen aux saxophone et clarinette basse, de Lorenzo Di Maio à la guitare et de Lionel Beuvens à la batterie. Ajoutez-y Ana Rocha au chant et Martin Salemi au piano, et vous obtenez l’excellent sextet qui porte ce nouveau disque « Here ».
L’album s’ouvre par une pochette épurée, à la cartographie mystérieuse (signée Elisa Pirondeau), qui enveloppe un riche livret, fourni de notes et de paroles, et l’élégant origami qui contient le CD. Une invitation à la réflexion ressort de sa lecture, avant même d’avoir écouté le moindre son des neuf pièces que nous découvrons alors. « Now » était paru avant la crise sanitaire, « Here » en porte quelques stigmates, même si l’esprit de son prédécesseur subsiste.
« Sharp Nails » débute l’album et le refermera (part two). Il figurait déjà sur « Treehouse Days » évoqué plus haut. Ambiance où bleus à l’âme et nostalgie prédominent, sur un flow de musique lunaire à l’inspiration intime et des paroles de Boris Schmidt, portée par la voix pure d’Ana Rocha. Le premier se voit traversé d’un beau chorus de guitare, entre clarinette basse et contrebasse au coude-à-coude, alors que c’est Martin Salemi qui prend la main de l’écriture et du chorus sur le deuxième, hypnotique coda.
Le même feeling triste se poursuit sur le touchant « Melancholia » de Lorenzo Di Maio, impression que nous retrouverons plus loin sur « Broken Branch »(paroles d’Ana Rocha), ainsi que sur « Open Up » écrit par Bruno Van Der Haegen dans les années confinement, et enfin sur « Mourning ». Des moments d’intense émotion, remarquablement transmise par le groupe.
Mais fort heureusement la fête veillait et elle allume ses lampions avec la samba de « Mad Becca » qui nous entraîne, Ana Rocha chante ses propres paroles en portugais. Suit l’attachant « Puchi y el Sol » rythmé par la buleria, en hommage au chien du contrebassiste, en « manque de sa ville natale Séville ». C’est la poésie des instants intimes, entre joie et espoir de jours heureux, lesquels sont figurés par un saisissant plongeon dans le bouillonnant « Whitewater », un irrésistible courant de vie qui entraine le groupe, et nous avec, vers un futur optimiste !
Ce « Here » est bien ici ! Et c’est un pur miracle car il a dû être quasiment intégralement réenregistré, suite à la destruction accidentelle des pistes initiales. Chapeau bas aux musicien.ne.s, pour ce bel album inspiré, à la fois tendre, subtil et d’âme profonde, ainsi qu’à Vincent De Bast (enregistrement, mixage et mastering), et à Olivier Charlet et Roger Vantilt (photos).
Par Dom Imonk
https://www.facebook.com/BorisSchmidtMusic
https://borisschmidtmusic.bandcamp.com/album/here
Philippe Massé – Le Vent

4 étoiles sup
Trio :
Philippe Massé : Contrebasse, compositions
Sacha Desjardins : Piano
Alexandre Massé : Batterie
Invité :
Mohamed Masmoudi : Oud (1,3)
Philippe Massé est un contrebassiste et compositeur faisant partie de le nouvelle génération canadienne de musiciens de jazz. Il revendique comme modèles Avishaï Cohen (le contrebassiste), Dhafer Youssef, Larry Grenadier ou encore Brad Meldhau. Il mêle agréablement jazz et musiques orientales avec un « mood » empreint de lyrisme, voire de mysticisme mais aussi propose des plages plus solaires où tout d’un coup quelques accords de piano nous plongent dans des contrées plus afro-cubaines.
Les morceaux partagés avec l’émouvant oudiste Mohamed Masmoudi nous transportent dans un Orient rêvé, son jeu à la contrebasse sur ces morceaux teintés d’Orient peut faire penser à Renaud Garcia-Fons qui lui aussi a souvent partagé la scène avec des artistes d’Afrique du Nord ou du Moyen-Orient.
Mes morceaux préférés :
« Fall » : L’apaisement nous gagne dès les premières mesures, Philippe joue des sonorités les plus graves de son instrument sur lesquelles Mohamed Masmoudi (tunisien d’origine vivant au canada) brode au oud avec une richesse mélodique indéniable : très beau !
« Wav » : Révèle la maturité naissante de Sacha Desjardins ce jeune pianiste possédant déjà technique et créativité, la rythmique s’emballe avec un groove de plus en plus intense, le solo de contrebasse de Philippe bien orientalisant joue avec le jeu qui se libère du batteur Alexandre Massé.
« Le Vent » : Léger, aérien, subtil, le oud de Mohamed et la contrebasse de Philippe nous transportent vers des images de caravanes traversant le désert, le zéphir souffle doucement, peuplant notre imaginaire : c’est émouvant et beau !
« Memories » : Après la longue et tendre entame avec un dialogue tout en finesse du piano (espaçant les notes) et de la contrebasse, quelques changements de tempo font jaillir des sonorités plus toniques et joyeuses tendance afro-cubain : séduisant !
« From The Moon » : Le jeu du trio charnel et poétique à la fois bascule dans une pulsation très communicative.
Bref, ces musiciens sont à l’aise dans l’émotion comme dans l’énergie, cet album fait du bien !
Chronique de Martine Omiécinski
Label Indépendant sorti le 25/04/2025
https://www.facebook.com/Pmtriomusic
Fabien Enger – Off the seabed

Lors de flâneries musicales addictives sur la toile, il n’est pas rare de dénicher des œuvres inattendues, qui nous poussent à en découvrir les auteurs. C’est le cas de « Off the seabed », premier album du trompettiste compositeur Fabien Enger, sorti en fin d’année dernière sur le label italien Inner Urge Records.
Voici quelques informations puisées dans sa bio. Fabien Enger est né en France, et a d’abord été formé à la musique classique et au jazz aux conservatoires de Paris, Metz et Strasbourg. Par la suite, il s’est envolé aux États-Unis pour y poursuivre ses études, bénéficiant d’une bourse franco-américaine Fulbright (2022) et du prix Arnaud Roujou de Boubée (2023). Il a ainsi obtenu un « Master of Music in Jazz Studies » à l’Université Temple de Philadelphie en 2024, et reçu les précieux enseignements de sommités internationales du jazz.
Ses études et les échanges transatlantiques ont favorisé des rencontres enrichissantes avec nombre de musiciens, cela lui permettant de jouer sur des scènes européennes, américaines, locales à Philadelphie, mais aussi à La Nouvelle-Orléans, New York, Washington D.C. et Chicago. Par ces résidences et projets divers, il a ainsi pu collaborer avec des artistes très connus, incluant les pointures montantes de sa génération, et forger peu à peu son style, à la fois intime, actuel et multi-racines. C’est en partie grâce à tout cela qu’il a reçu de nombreuses distinctions en Europe et aux États-Unis.
Pour « Off the Seabed », Fabien Enger a choisi la formule du duo, avec à ses côtés son complice Justin Griggs, un jeune pianiste surdoué de Philadelphie, qui excelle aussi au Fender Rhodes, à l’orgue Hammond et aux autres claviers. Ajoutons que le disque a été financé par une bourse étudiante de l’Université Temple de Philadelphie.
Huit pièces originales de la plume du trompettiste vont ainsi se succéder pour déployer avec subtilité l’écran radieux de son inspiration prodigue, et dévoiler un univers surprenant, où des surprises inventives nous saisissent par leur modernité, mêlant intimité nostalgique des choses vécues, émotions instantanées propices à réflexion et tendre regard sur de petits êtres vifs, fragiles et expressifs, nos compagnons terrestres. Fabien et Justin ne sont que deux, mais leurs voix se marient à ravir, et tout ce qu’ils construisent est riche de lyrisme et de profondeur. Leurs sons généreux et parfois enflammés ont les coudées franches à habiter les espaces silencieux, en les entourant de notes choisies, comme le disait Miles Davis.
Le disque s’ouvre avec le magnifique « Un an après », un thème où trompette et piano s’enroulent, comme lianes de beauté entremêlées autour de l’arbre jazz vital, sur une mélodie à la mélancolie saisissante. Nous plongeons ensuite au plus profond de l’eau avec « Off the seabed », monde mystérieux, bulles bizarres des sons, presque free par moment, interrogation cuivrée, claviers introspectifs aux aguets. L’inquiétude écologique, pour ce qui se dépose sur les fonds marins peut-être ? L’ambitieux et complexe « Auf den ersten blick » nous met lui aussi en alerte et nous ouvre les yeux. Superbes claviers encore, omniprésente horloge temporelle et sa féérie de sons, qui accueille une trompette d’altitude volubile et enivrante, un sage finish du Rhodes clôturant cette pièce. C’est beau, dynamique et limpide comme la Vérité, ce qui éveille les consciences !
Notons de touchants hommages à nos petits amis, comme « Alleycat tribute » (tribut au chat de gouttière ?), Fabien Enger et ses envols dorés, associé de lutte à Justin Griggs époustouflant à l’orgue Hammond, ou plus loin au Fender Rhodes avec l’étonnant et souriant « Kookaburras » (martin-pêcheur australien aux cris rieurs), offrant d’abord une belle partie de ping-pong rythmique aux notes enjouées de son ami oiseau trompettiste volant, puis un remarquable chorus tout en élégance agile. « Centipede » est remarquable par sa vivacité, son humour (supposé) et la complicité gémellaire des duettistes. Du grand art ! Imaginons un mille-pattes équipé d’un turbo, rendant sa course folle !
Enfin, mention spéciale à l’imposant « Nostalgie des rendez-vous manqués », l’une des pièces majeures du disque. C’est la mini bande originale d’un film porté par la beauté poétique d’images sonores couleur sépia qui défilent et tirent les larmes, mais aussi par la force d’une musique d’âme qui fait renaître l’espoir.
Avec « Off the seabed », Fabien Enger signe un premier album qui est une réussite totale. Il associe écriture hardie très actuelle et feeling vintage savant des notes les plus intimes. Un duo de lumineux musiciens, dont l’imagination féconde et les racines les poussent à tout oser. Suivons-les de près, ils n’ont pas fini de nous étonner !
Notez sur vos agendas que pour présenter son nouvel album « Off the seabed », Fabien Enger se produira en trio au Sunset Sunside (Paris) le 10 juillet à 19h30. Fabien Enger (trompette, bugle), Justin Griggs (piano claviers) et Shakoor Hakeem (percussions).
Par Dom Imonk
Inner Urge Records
https://www.facebook.com/fabien.enger
https://innerurgerecords.bandcamp.com/album/off-the-seabed
The Bad Plus – Complex Emotions

5 étoiles
The Bas Plus, groupe américain connu depuis le début des années 2000 pour son énergie et son mélange des genres musicaux (jazz, rock, pop, musiques électroniques…) était à l’origine un trio. La nouvelle version sans piano est maintenant un quartet avec 2 piliers initiaux : le contrebassiste Reid Anderson et le batteur Dave King.
Se sont rajoutés le guitariste Ben Monder et le saxophoniste ténor Chris Speed. Ces deux-là se sont vite adaptés à cette rythmique de feu, à l’esprit libre de tout cloisonnement musical, à l’expression d’envies créatives et au bel élan collectif qui caractérisait la version trio !
Je dirais même mieux, au-delà des fondamentaux, ils apportent un élan nouveau qui fait vibrer les scènes (Notamment à Jazz sous les Pommiers à Coutances fin mai dernier !)
Mes morceaux préférés :
« Grid/Ocean » de Reid Anderson : Dave King peaux et mailloches en belle communion à l’entame, Reid Anderson basse ténébreuse, Chris Speed lyrique au ténor, Ben Monder guitare langoureuse, effets lancinants, motifs musicaux en boucle comme les vagues de l’Océan un premier morceau envoûtant et magnétique !
« French Horns » de Reid Anderson : Energie sauvage et imaginative, la rythmique est à fond avec quelques accents caribéens en boucles ondulatoires rapides font écho les motifs itératifs du saxo puis de la guitare et des synthés, c’est foisonnant !
« Casa Ben » de Dave King : la contrebasse intense et lente ouvre, suivi de riches dialogues saxo/guitare puis synthé/guitare : Emouvant !
« Cupcakes One » de Chris Speed et « Deep Water Sharks » de Reid Anderson nous jettent dans un tempo très très rock où guitare dans le premier et saxo dans le second décollent en mode « free » : Réjouissant !
« Tyrone’s Flamingo » de Dave King : la rythmique combine à merveille ardeur et lyrisme, guitare et saxo rivalisent de brio avec des harmonies recherchées, batterie et basse se font de plus en plus créatifs incitant Ben et Chris vers des envolées savantes : Poétique !
« Li-Po » de Ben Monder clôt l’album dans une ambiance plutôt zen : guitare et synthés vibrants, notes aériennes, éthérées, saxo planant en vrilles éperdues, très grande liberté de tous, batterie et basse ancrant en terre : Superbe !
Signalons une prise de son parfaite soulignant la forte présence de chacun des musiciens comme l’osmose de leurs talents.
Bref « Complex Emotions » signe brillamment la « réinvention » de The Bad Plus : une palpitante aventure !
Chronique de Martine Omiécinski
Label Mack Avenue
https://www.facebook.com/thebadplusofficial
https://thebadplus.bandcamp.com/album/complex-emotions