Frank Gratkowski – Hamid DrakeLive in New Orleans

Frank Gratkowski : Sax Alto, Clarinette, Clarinette Basse
Hamid Drake : Batterie, Percussions

6ème production de Benjamin Lyons pour son label ‘ValidRecords’. Enregistré par Mark Bingham le 19 mars 2009 au studio de Piety Street en Nouvel-Orleans, en ‘live’ avec une centaine d’auditeurs.

Rappel des conditions de l’évènement :

2 sommités de la musique libre sont présentes en ville, ils se connaissent depuis un bon moment et avaient déjà évoqué d’enregistrer ensemble, leur ami commun, Benjamin, arrange le coup… et voilà, en boite !

Si le travail de Hamid est bien connu en France, celui de Frank est plus confidentiel.

Né à Hambourg en 1963, après des études musicales et de danse à Cologne, il se frotte à tous les instruments en bois, flûtes comprises. Il travaille spécialement sur les modifications tonales, trouve des concepts microtonals et développe des techniques de jeux personnels. Chef-d’orchestre et compositeur, il s’immerge dans la musique improvisée contemporaine où la distinction entre compo. et impro. est imperceptible. Il se produit dans de grands ensembles contemporains mais aussi dans de petites formations de jazz, solo, duo, trio… Il mène de front ces 2 voies en jouant sur des festivals réputés d’Europe (Donaueschingen, Bois-le -Duc…). 50 albums sont parus sous son mon et d’autres nombreuses collaborations diverses sont à son actif. Il a enseigné dans plusieurs universités et conservatoires allemands, actuellement à Cologne en tant que prof. et animateur d’ateliers.

En 2009 l’effet ‘Katrina’ s’estompe et le sourire revient. Le visuel de la pochette du disque nous le montre hilare … à la batterie, alors qu’Amid a embouché la clarinette basse.

La ‘Promenade de Frère G.’ commence sur quelques notes mystérieuses de clarinette basse, égrenées. De rares battements sur les fûts, distants, interrogent. Harmoniques, doubles notes, trilles serrés sortent du bois qui frémit, s’agite avant de prendre son envol, toujours suivi de la batterie observatrice, jusqu’à arriver à un échange de déconstruction de phrases en devenir. Le ton enfle, la batterie occupe l’espace partagé par le vent qui s’engouffre dans tous les interstices, produisant parfois des effets de bouche où l’humour n’est pas absent. Moments ‘funky’ instables et fulgurances ‘free’ interrogent la batterie qui répond du tac au tac, puis installe une espèce de marche a-synchronique pendant que le souffle s’intensifie, mêlant obsinento et plaintes dans une expression paroxysmique. Final sur des notes isolées, rejoignant celles du début du titre et annonçant le suivant :

‘Racine carrée de la distraction’. Presque du Anthony Braxton par l’énoncé du titre et le démarrage un peu abscons. Les doigts courent sur les clés, la batterie vrombit sans oublier de laisser de l’air à son camarade qu’il propulse dans les extrémités de son ‘biniou’. Note répétée, tenue pendant que les peaux sont frappées à la main, d’autresnotes arrivent, jeu de clés, cris d’oiseaux effrayés, suraigus, ça joue, s’amuse, dans tous les sens et moments qui se succèdent rapidement, sans souci de continuité. Ça sent bon l’impro totale et sans limite !

Nous voici prévenus : ‘Hé bien, c’est compliqué’. Un titre à évoquer Monk en allant bien plus loin… Un ‘drive’ d’enfer pour emballer l’alto qui ne se perd pas pour autant sur le chemin sans balise. Ça claque méchant sur la scène surchauffée de cette énergie pure qu’envoient le duo en furie. Des idées qui se bousculent et s’entremêlent, se frottent, projetant des myriades d’étincelles multicolores éclairant la salle d’auditeurs subjugués de la puissance de cette corne d’abondance intarrissable. Épuisant et jouissif !

‘Varm, quelque part’. Oui, mais où ? La clarinette basse cherche, explore… tous les angles de ses possibilités. La batterie le suit dans cette nouvelle démarche, en parallèle. Encore des trilles, qui s’égayent en vol d’oiseaux éparse, toujours de faux rythmes qui défient tous repères, sorte de collage qui inclut l’inconnu de la prochaine note qu’émettra Frank, pourtant impossible à deviner. Musique quantique !? Communication intuitive ! Un passage qui chante sur la furie des tambours ponctuée de vrombissements de cymbales. Puis déchante. Rien n’est figé, tout est en mouvement permanent, l’avenir immédiat est un mystère. Un oiseau blessé hurle, un gros mammifère se manifeste, plus agile qu’il ne le paraît, et disparaît, dans des éclats de rire des 2 musiciens, heureux d’avoir partagé la scène, le moment, un morceau de vie, extrait holistique d’un tout cohérent où chacun a mis en lumière la réalité de l’autre, autre soi-même. Frères siamois, frères d’âme, d’esprit, de jeu, en fascinant accord indéfectible et permanent.

Un fabuleux exemple de communication vraie et profonde. Joie d’une liberté totalement assurée, assumée, et transmissible. C’est bon, et beau.

Par Alain Fleche

VALID RECORDS

https://frankhamid.bandcamp.com/album/live-in-new-orleans