Duo Reflets – Esquisses

Vincent Tosca : guitare – Jean-Pierre Lacroix : contrebasse

Les voyages forment la Genèse, c’est bien connu.

1-   Après-Propos – Postlogue – Postface : une certaine idée du Duo ?

Somme toute, les duos, ces no-we-men’s lands de la publication phonographique, sont assez rares, c’est qu’il en faut de la maturité pour s’y tenir !

Surtout quand un Baudelaire nous assène que le deux est la dégénérescence du un ! Certes, mais le duo est avant tout un un-divisible, une force conjuguée, un espace obligé de confiance mutuelle au sein duquel aucune imposture, aucune surdimension égotique n’est envisageable, et encore moins quelconque présence de médiocrité : ah l’audace de l’escroc signant de sa posture arrogante une fausse compétence à faire passer de vrais si’s pour des la’s ternes.

Lorsque nous étions nous-même en classe de composition chez Claude Ballif (CNSM), le Maître nous demandait en 1ère année une pièce solo, en 2ème un duo (nous composions alors Du Haut Deum Digitorium pour basson et timbales mélodiques), ce challenge des soli et duos se révélait bien difficile à celles et ceux ne disposant que de peu de vocabulaire et surtout d’imaginaires à déployer.

Le solo et le duo, voire le trio même, sont 1- taillés pour les idéalistes – surtout ne rien attendre, se laisser simplement porter tels les en-jeux de ces Esquisses-ci -, 2- taillés pour la rédemption : le concert unplugged en solo, en duo, après des années de tsunamis bruités (vite tous aux a-bruits!).

À force de nous pousser au relationnel avec le grand nombre (quartette, quintette, combo, band, bigbang, symphonique), les musiciens s’oublient dans une sorte « d’hétéroconditionnalité » à jouer en nombre, il s’ensuit un auto-oubli par le poids de ce nombre (permettant par ailleurs de s’y cacher derrière), celui-ci finissant par davantage compter…oui nous aimons cette idée :

plus on est plus on compte !!

Dans les jam sessions – expériences moult fois vécues -, les musiciens se polissent sans cesse au plus petit dénominateur commun recherchant plutôt à équilibrer les déséquilibres tandis qu’en duo, l’équilibre multifactorriel s’impose comme loi.

Alors osons, comme dans ces Esquisses-ci, le duo solidaire, celui des allers-retours nourriciers garantissant un équilibre à ce Un double. Le solo développe le soi aigu (clin d’oeil à Joëlle Léandre, contrebassiste), le duo convoque le soin aigu d’une créativité d’empathies conjuguées. Il y a donc, selon nous, une condition salvatrice aux soli, aux duos.

2-   Propos – Logue – Face : une certaine idée de l’essai, de l’esquisse ?

En litres et ratures que veux dire l’essai ? Qu’est-ce qu’on y raconte, qu’est-ce qu’on se raconte, pourquoi on le raconte ? Au pays de ces Exquis(s)es, que démontrent ces musiciens, qu’ont-ils vécu dans leur vécu musical et que vivront les auditeurs les découvrant ?

L’audace de l’esquisse, de l’essai, est un un acte fort : ses imaginaires réinventent les possibles ceux du super-pouvoir de l’imperfection (ce n’est point du tout ici péjoratif mais qualitatif, nous le précisons).

Le grand marché de la musique industrielle nous impose des productions réalisées au cordeau dont le risque est – cela n’engage que les chroniqueurs ici oeuvrants – de fabriquer des monstres certes sacrés (hummm avons-nous encore vraiment besoin d’idole(s) au risque de passer nous-même pour les idioles du village …) bigre, la perfusion de la supposée perfection !

Dans leurs Esquisses-ci, les deux musiciens invoquent le droit d’expression mais aussi le droit d’impressions tels que l’ont signifiés les impressionnistes du dernier quart du XIXème siècle.

Ainsi ces étonnantes Esquisses – projet d’essais confidentiels, de ces chants de visions, de ces champs de l’écoute – ne sont qu’une étape, une transition, il se peut même que certaines d’entre elles soient dès leurs départs avortées, en devenir ou bien encore conclues. Exquisses dans lesquelles l’auditeur naviguera sans complexité, pouvant même jouer-chanter de celles-ci à haute voix.

La publication d’un tel essai est la possibilité pour ces deux musiciens d’établir un lien intime non seulement avec leurs intuitions (un intuitivisme assumé) – là où sont les fleurs en sommeil n’attendant que le Prince charmant – mais aussi avec le perceptuel chal(h)eureusement nécessaire pour les audiophiles actifs.

D’ailleurs cher public-découvreur, dans quelles conditions seront vos interprétations de l’écoute car cet album est différent et se doit d’être écouté dans sa différence !!

3-  Avant-Propos – Prologue – Proface : l’album Esquisses ?

Le   postulat   formel   est   clair   :   une   idée   par   ébauche compositionnelle,     des   formats  courts   qui   interrogent    la temporalité : l’ensemble des titres oscillant entre 1’44’’ et 3’13’’. Les deux musiciens créent ici des espaces-temps où les supposés intérêts de la perfection sont déjoués, point de radicalité ni d’orthopraxie.

La guitare au jeu nous rappelant Philippe Catherine (le Belge) et aux timbres-effets de Bill Frisell (l’Américain), occupe par sa présence un vaste espace… nous avons l’impression d’un gel par l’usage d’une réverbération longue et permanente, un gel qui frise nos ailes de l’écoute concentrée par trop de réverb, nous nous sommes quelque peu noyé.

Sans doute, par rapport à l’hyper-réverb de la guitare, la contrebasse aurait-elle dû jouer beaucoup plus « court voire expressément plus court », travail sur les transitoires d’extinction afin que rien ne traine ni ne se noie davantage.

Sans doute, la guitare pourrait-elle mettre en œuvre un pré- delay permettant aux attaques de notes de rester claires sans altérer celles-ci post-attaque par l’effet d’une réverbération trop abondante,  et  s’interroger  sur  l’espace  que  prend  cette réverbération, autrement dit : que peut-on imaginer artistiquement avec ? Par ailleurs, la réverbération + une pédale de volume, cela marche toujours, nous aimons beaucoup.

La couleur globale de l’album nous a semblé quelque peu mono-tone dans le sens uni-coloris dû principalement à l’usage de l’effet réverbération unique et abondant de la guitare mais a contrario cela rend le projet très cohérent et pertinent architecturalement.

Nous nous sommes interrogé sur la part absente du silence dans toutes ces Esquisses ? Y-aurait-il des voix musicales et sonores (contrastes d’amplitudes) silenciées que nous n’aurions ouïs ?

Ces deux partenaires de cordes, ces si-clistes de cordée, engagent à eux deux 10 cordes tels nos dix doigts mais l’équilibre est de fait instable car il s’agit d’un 6 (guitare) + 4 (contrebasse)… enfin 10 cordes pour 20 doigts, c’est déjà pas mal.

Nous trouvons que le contrebassiste cherche quelque peu sa place, L’un chante l’autre pas aurait dit Agnès Varda, et ses solis sont trop courts (dommage car le musicien est expérimenté et en connait vraiment un rayon) pour qu’il s’engage vraiment improvisationnellement comme dans le morceau n°3 où nous le ressentons à la recherche d’une déstructuration, à 2’10’’ c’était à exploiter pourtant … mais le guitariste lui a-t-il vraiment laissé de la place ?

Deux états d’esprit encore à relier surtout lorsque le contrebassiste prend l’archet et cherche – entre espaces- esquisses-timbres et temps jazz in walk – l’improbable justesse harmonique qui se présente à lui.

4-  Conclusion

Ces deux musiciens-ci parlent-ils la même langue ? Même si leurs vocabulaires et syntaxes sont différents, ces musiciens connaissent très bien leur affaire et nous donnent à découvrir un très bel album audacieux en Duo.

Nous conseillons vivement cet album qui trouvera place dans le paysage des possibles d’une riche cd’thèque car cet album, sans complexité apparente, attend de l’auditeur une écoute intime : à la rencontre d’exquises intuitions compositionnelles prises sur le vif.

Un album qui attend donc ses auditeurs, ses audiophiles actifs, tel le célèbre Six personnages (acteurs) en quête d’auteur de Luiggi Pirandello.

Nous attendons la suite avec impatience.

Bravo pour le projet !!

Patrick-Astrid Defossez