Christian Laurella – Détours sur les routes d’Europe

Souvenirs d’un ’Tour Manager’. C’est lui qui enregistrer une tonne de bagages dans un aéroport bondé, qui fait rentrer 15 musiciens dans un train qui ne s’arrête qu’une minute, qui assure les clauses du contrat signé, gére les caractères de ces gens pas toujours aussi souples et à l’écoute que lorsqu’ils jouent leur instrument, faire le lien avec le promoteur de la tournée, l’artiste et l’organisateur du concert, distribuer les salaires, et surtout, trouver des plans B lors de galères sur la route ou en scène…
Résultat, un bouquin bourré d’anecdotes,qui cassent parfois ou valorisent l’image que l’on se fait de nos héros.
Par exemple, et en vrac :
– Fin de concert à 1h, le gentil et joyeux Tito Puente et sa bande de 15 trublions partent 3 heures plus tard pour prendre l’avion, faut pas que l’un d’eux ne s’attarde trop aux toilettes… et que l’on oublie.
– Ne jamais demander à Archie Shepp de se lever tôt, ni à John Stubblefield (Big Band de McCoy Tyner).
-Chercher où Lucky Peterson fait le bœuf pendant que le bus attend.
– Plus paisibles : respecter le footing matinal de Pat Metheny, le tai chi de Woody Shaw, admirer le professionnalisme de Howard Johnson ou de Don Moye…
-Des tonnes d’histoires sur les tournées de Ahmad Jamal, que l’auteur semble avoir beaucoup fréquenté, ne supportant que les suites au moins 3 étoiles, mais d’une exactitude, une patience et un calme remarquables.
-Chet Baker « simple citoyen du monde » et ses problèmes de colle pour dentier, sa passion pour la conduite… et pour les films de Bruce Lee. Et une valise perdue, une… récupérée. Un concert duo avec Stan Getz que le ténor refuse fermement… on ne saura jamais pour quelle raison !
-Les sautes d’humeur de Carmen McRae
On croise encore Tony Williams qui pousse une voiture au démarrage récalcitrant pendant qu’un flic le reconnaît et lui demande un autographe, Max Roach, Elvin Jones, des cymbales qui disparaissent, le temps qui empêche les avions de décoller, choper un train à l’arrache…
– Dizzy, amoureux des animaux, joue au backgammon, Albert Collins au poker.
-Graig Taborn est diplômé d’anthropologie, Joe Henderson parle neuf langues, Dave Holland a étudié la géologie
– Sale caractère réputé de James Carter qui se révèle tendre et cordial, et grand fan de fruits de mer.
– Des noms islamisés qui gomment définitivement l’ancien à ne plus évoquer sous peine de crise furieuse.
-Art Blakey afflué d’une emmerderesse redoutable.
-L’évènement Jaco Pastorius, phobies, blagues en tout genre (pas toujours de bon goût), l’alcool, un génie qui s’est brûlé les ailes trop vite, trop tôt.
Quelques mots sur Benny Golson, Art Farmer, Tom Harrel. Gonzalo Rubalcaba aussi intransigeant que Keith Jarret sur la qualité du piano…
Et tant d’images, d’icônes, surprenants, marrants, ou pas.
30 ans de métier, des milliards de km, des figures qui vont, viennent, se croisent, disparaissent, gravés dans les mémoires. Rentrer dans le quotidien, l’intimité de ces légendes qui n’en sont pas moins des êtres humains, avec défauts et magie, coups de gueule et générosité…
Un monde très attachant dont Christian Laurella soulève un coin du voile avec lucidité, bonne humeur, et humour.
Pour voyager entre les notes…
Par : Alain Fleche
Chez : Lenka Lente