Espèces d’Espaces

Christiane Bopp : Trombone, voix, gourde métallique
Didier Fréboeuf : Piano, e-bow, pinceau, balle, Kayambe, feutre, cale-porte, chambre à air, boulets, épingles à linge, gomme timbale grelots et Clavieta
Didier Lasserre : Batterie, cymbales, timbale, cloches, triangle, crotale, tambour, fagot, mailloches, balais et baguettes
3 amis qui se croisent depuis un bon moment, se re-connaissent, s’estiment… Arrive, naturellement, le désir de poursuivre une discussion, confirmer des points de convergence, prendre le temps de s’ancrer dans un espace libre… dont acte !
Les habitués du festival de Bruno Tocanne à « Trois-Palis », se souviennent de la présence de Christiane et de son jeu (en solo, duo… ), de son humour, et surtout de son talent ! Premiers prix de trombone et musique de chambre du CNSM de Paris, elle s’est tournée vers les musiques anciennes et contemporaines, le temps de creuser l’improvisation dans son répertoire classique et contemporain, de rencontrer d’autres musiques et musiciens qui vont l’entraîner vers un univers plus personnel, plus libre. A partir de 2000 elle enregistre avec D.Pifarely, M.Ducret, J.Léandre… et depuis 2005 participe aux concerts de musique improvisée avec Jean-Luc Cappozzo, Mat Maneri, François Corneloup, Sylvain Kassap, Jean-Luc Petit… Elle travaille actuellement avec Denis Charolles et Sophia Domancich, avec l’ONJ et est (entre autres ) professeur de trombone au crr de Grand Poitiers !
Didier le pianiste est aussi un habitué de « Trois-Palis », et on se souvient de l’un de ses derniers projets avec Bruno Tocanne : « ça n’empêche pas le vacarme ». Il a cumulé les prix (de formation musicale, d’analyse, d’écriture, de piano et de jazz.) et possède une maîtrise de musicologie. Impossible de cerner ici le parcours et les activités de ce paisible hyper-actif en participation, projets perso, compos pour théâtre, danse, film, orchestres contemporains, pour enfants… Concerts, projets divers qui s’ajoutent à des rôles d’enseignant, souvent pour enfants ! Didier est un cherchant, il capture le silence entre les notes qu’il distille avec justesse et bonheur en phrases généreuses de sens … sans jamais en faire trop !
Les mêmes qualités peuvent être appliquées à l’autre Didier : mis en avant du/des silence(s), attaché à la qualité et à la profondeur du son, à la mémoire, à l’attente, à l’oubli, et questionnant le mystère de l’écoulement du temps. Pour le reste, nos amis bordelais connaissent bien le personnage qui se produit fréquemment dans la cité girondine. Il est rentré de plein fouet dans le Free et la musique improvisée, ce qui ne l’empêche, paradoxalement, de travailler sur les dynamiques douces, utilisées comme des médecines pour recentrer le corps, l’énergie et l’âme des auditeurs par un effet de transe où le sérieux et l’humour font bon ménage.
Ces 3 là étaient destinés à se rencontrer, dans leur quête spirituelle commune, pour notre plus grande édification… musicale ! Après plusieurs discutions sur le temps, le silence, l’écoute et l’espace, rendez-vous est pris pour plusieurs jours au studio Juillaguet (16), presque tout sera en boite le 1er soir, à la fin d’une journée d’entente, de lâcher prise, de spontanéité, de complicité , tout ceci en forte concentration. Chacun prend sa place, sans précipitation, tout découle d’évidence dans l’écoute et le respect mutuel d’où jaillissent les idées chevauchant des sons, des notes, qui se rencontrent, se complètent, pièces d’un puzzle qui occupe tout l’espace, le temps d’un disque.
Concept de départ : un bouquin éponyme de G.Pérec. Il dit : « l’espace est un doute : il me faut sans cesse le marquer, le désigner ; il n’est jamais à moi, il faut que j’en fasse la conquête. » On sait, depuis le début du XXème siècle, que le temps et l’espace sont des valeurs indissociables, 2 notions qui se résolvent toujours par leur conjugaison. Le temps de découvrir/parcourir un espace, le temps sectionné/calculé en portions d’espace équivalentes. Tout est résumé dans le visuel du disque : un parc public, des gens qui marchent, ou immobiles, des arbres, en hivers, rythment l’espace qu’offre cette photo, créant du temps pour que l’œil détaille l’image avant de s’arrêter sur la statue du singe cosmonaute, occupant statique du parc, renvoyant à nos origines darwiniennes et notre futur de nomade…3 instruments/tistes mettent en commun leur histoire intérieure, leur mesure du temps, leur vision de l’espace, générant 3 espace/temps distincts dont la superposition n’est qu’une option possible, probable, ici : inévitable ! Méditation sur le temps décomposée en 11 pièces, 11 espaces qualifiés après coup, après enregistrement (multiple, élargi, irisé, fragmenté, pressurisé immersif, lointain, euclidien, intersidéral, suspendu, horizontal), c’est que, sur l’instant, l’essentiel était de jouer, on verra bien ce qu’on en fera ! Une cartographie de l’espace qui est née d’une méditation sur le temps. Temps passé à découvrir des espaces sonores à occuper, à remplir ou à sauvegarder, sans urgence, le temps : on le prend, afin de conquérir l’espace ! Du moins habiter l’espace que l’on occupe, l’espace d’un instant…
Un reflet coloré sur la combinaison du plantigrade arrête l’œil, sensibilise l’oreille, attise la mémoire … Une sorte de bleu pour la cause d’un espèce d’espace …!
Chez : IMR / Le Maxiphone
Par : Alain Fleche