André Manoukian – Mercredi 10 avril 2024 – Rocher de Palmer

André Manoukian au Rocher de Palmer… j’y cours !
Ce fin connaisseur de la musique et des artistes, grand pianiste de jazz, d’habitude prisonnier de notre petit écran, nous fait l’immense joie d’être là présent ce soir pour présenter un projet essentiel dans son histoire, ANOUSH, du prénom de sa grand-mère arménienne.
Je vais enfin découvrir, pour de vrai, cet homme cultivé, profond, charmant, charmeur, facétieux, et qui pendant deux heures va nous enchanter de ses compositions rondes, colorées et envoûtantes.
Doté d’un exceptionnel talent musical, il semblerait aussi que rien ne puisse échapper à son appétit insatiable de connaissances, André est un musicologue, un grand historien des sons et des harmonies qui ont parcouru la terre avec les marchands, les guerriers et les caravanes et André est un passeur, il bavarde la musique, communique sans cesse avec le public, l’instruit en l’amusant.
Ce soir il va faire se rencontrer et se comprendre en musique, l’Orient et l’Occident.
L’Occident doté pour exprimer les sentiments de deux gammes, majeure et mineure, et l’Orient qui en possède cinquante !!
Preuves à l’appui et dégustation en prime, nous allons avec lui parcourir des chemins inhabituels où les gammes classiques, jazz et les complexes rythmes et harmonies orientales vont se mêler.
Pour ce voyage, André s’est accompagné de trois importants musiciens, talents, épaisseur et une puissance fusionnelle inimaginables :
GUILLAUME LATIL au violoncelle, d’une virtuosité intense et brûlante ;
MOSIN KAWA, le grand maître des tablas venu du Rajasthan… éblouissant ;
ROSTOM KHACHIKIAN, virtuose du duduk et du shvi, la petite flûte des bergers ;
Plus tard, l’extraordinaire voix de la sublime chanteuse grecque DAFNE KRITHARAS les rejoindra.
Des morceaux extraordinaires vont se succéder, des mouvements tempétueux, ornementés, qui croisent les routes du jazz, « Schubert in Duende », la musique monte dans un roulement de tambour, se cabre, redescend et repart, « Anaïde » déesse arménienne de l’amour, piano en mode joie, rapide enveloppé par la voix du violoncelle et les pulsations des tablas . Un morceaux oriental qui s’empare du jazz, superbes crescendos, retombées moelleuses, le piano se parle et se répond en écho.
Nous allons pénétrer plus profondément cet univers sonore quand MOSIN KAWA commencera une longue série de Râgas, petites phrases en courtes lignes mélodiques, discours nourri, scandé, roulé, nasal, accéléré, des sons très rapides suivi du retour aux tablas, caisse claire, sourde ou brillante où deux mains, dix doigts, deux peaux, une basse continue vont aller à une vitesse vertigineuse, incroyable…le piano va s’accrocher à ce rythme d’enfer pour nous redonner la mélodie …
Ce sera bientôt le tour de ROSTOM KHACHIKIAN de nous éblouir de l’instrument emblématique d’Arménie, le duduk, hautbois à anche double, au son clair, puissant et féminin. Il commencera d’abord par le chvi, la petite flûte du berger qui appelle les chèvres de ses trilles hautes et vibrantes.
Ce soir le quintet est venu rendre un hommage à « ANOUCH » la grand-mère d’André Manoukian qui a su transmettre à son petit-fils la curiosité de revenir sur son histoire tragique par la musique. Une ritournelle lancinante jouée au piano accompagnera cette quête, tout du long, comme un lei motiv’…
La « Marche d’Anouch », 1000 km entre la Mer Noire et la Syrie qui ont fait d’elle… la première randonneuse de la famille ! La musique, c’est du sacré, c’est du sucré comme Anouch qui a su se défendre pour survivre dans cette épreuve incommensurable et protéger ses 7 sœurs.
La Marche rythmée rejoint la marche turque de Mozart, on ressent les rocailles sous les pieds meurtris, les cris des soldats qui pressent la pauvre colonne, s’achève sur La Bohème de l’autre grand arménien, murmurée en cœur par la salle… nous frissonnons d’émotion, la musique est brillante, la musique est amour.
L’histoire d’Anouch et son mari se posera enfin en Grèce et André de nous expliquer les particularités de la mélodie, la scansion, la rythmique de cette langue appréciée des poètes, cette langue douce, pont entre l’orient et l’occident.
Et c’est ainsi que nous arrive la profonde voix de velours de DAFNE KRITHARAS, modulée à l’infini et qui monte en pleurs déchirés, il est dit d’elle, qu’elle fait pleurer les pierres.
Sublime déesse, pieds nus dans une longue silhouette noire, elle chante un très beau poème en grec et en français et l’élève vers le ciel. La salle est saisie.
Revient au piano la ritournelle dansante et tournante à l’infini rejointe par le lancinant et vibrant duduk appuyé par les percussions… reprend la longue marche hérissée de souffrances, le piano part en improvisation, la voix murmure et dérive le long des notes, toujours cette scansion envoûtante, cette montée en puissance, ces harmonies délirantes… Ce chant est sacré et élève la souffrance vers l’infini du ciel.
Bientôt la fin de ce merveilleux concert – Alain Manoukian veut encore que le public s’imprègne de cette petite mélodie, la,la,la…tralalala,lala…, c’est facile, chantez avec moi cette ritournelle qui monte, qui gonfle comme un torrent, et s’envole en aventure ;
Public, deviens avec nous cette voix aérienne qui vibre vers le soleil, laisse toi bercer masser pétrir par ces vibrations profondes…fais-toi plaisir, fais-toi du bien, suis-nous , rêve, pleure si tu as besoin, exprime ta tristesse et transcende ton histoire.
L’histoire de la musique s’est construite sur des torrents de larmes de pertes et de souffrances… ce soir plonge et nettoie-toi, la musique est amour et reconstruit !
Pour finir « Cœurs brisés » s’ouvre sur le pathétique duduk aux couleurs si tristes et profondes et la belle voix chaude de Dafné. Non ce n’est pas gai, le voyage est interminable, la terre continuera de tourner dans ses vallées de sang, de larmes et de sublimation musicale, André Manoukian nous en a donné ce soir une clé de compréhension nécessaire.
Rarement j’ai entendu un piano dont le timbre émet autant de couleurs (long Steinway Grand Concert), un violoncelle qui devient le clone de la voix humaine, des instruments puissants qui parlent et racontent l’histoire.
Vous l’aurez compris, je suis repartie de cette soirée émotionnellement secouée et enrichie.
André Manoukian avec gentillesse et bienveillance, dédicacera en suivant son disque « Anouch » (PIAS le Label) ainsi que son livre « Sur les Routes du Jazz », édité chez Harper Collins au logo de France Inter.
Par Sylvie Delanne, photos Solange Lemoine

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Ce concert, à Jazz sous les pommiers, est visible sur Arte Concert