Harald Lassen – Rik

Harald Lassen: saxophone, piano, flute, melodica, voix, claviers, glockenspiel et percussion
Solveig Wang: claviers, clarinette
Sander Eriksen Nordahl: guitares
Stian Andersen: basse électrique, guitare acoustique
Tore Flatjord: batterie, percussion
Musique écrite et produite par Harald Lassen

[DÉCOUVERTE] Né en 1987 à Kristiansand (Norvège), Harald Lassen, est un musicien multi-instrumentiste, principalement saxophoniste, compositeur et meneur de projets à la vision grand angle. Issue de la bouillonnante scène d’Oslo, il est devenu un acteur vif du mouvement jazz scandinave actuel. Outre sa carrière personnelle sous son nom et ses diverses collaborations, il dirige le groupe Lassen, et a aussi joué dans diverses autres formations parmi lesquelles Duplex, Mopti, Pixel ou encore No. 4.

Ses albums ont chacun une singulière personnalité, qui attire par l’originalité des couleurs qui dansent librement et dessinent de vastes espaces nordiques au climat qu’on imagine intact, modelant son jazz en vue d’envols poétiques sans limite.

« Rik » fait suite au remarquable « Balans » sorti il y a deux ans, qui avait décroché le Grammy norvégien « Spellemannprisen », séduisant les amateurs d’étrangeté musicale et de rêve. Il en reprend les avancées, tout en continuant à creuser sa matière fertile, en proposant lui aussi sept titres, dont la diversité des formats dévoile en chacun un univers bien particulier.

L’une des deux pièces les plus imposantes de l’album c’est tout d’abord « Ambisiøs Luft (D.S.) » (Air ambitieux), qui ouvre en un souffle de beauté collective l’album, en dédiant sa flamme à Dmitri Chostakovitch (le « D.S. » du titre), ce qui n’est pas rien ! Grâce à l’étonnante synergie qui lie le groupe, une indicible force se dégage de ce thème, développant des nappes fluides, puis s’abandonnant par moment à des vents plus déterminés, ce qui fonde son rythme alternatif. Parfois, les parties électroniques entremêlés, leur tempo, le flow, l’atmosphère, rappellent un peu ce que nous avions jadis ressenti et aimé dans la musique du Zawinul Syndicate. Le morceau se termine par un délicieux papotage electro-bruitiste qui lui sied à merveille.

La deuxième de ces pièces est « No Aent » (Autre chose). Un moment de pure magie, répétitif au début, totalement improvisé en studio nous dit le leader, où saxophone, piano et synthétiseur se sont liés dans une sorte d’ode osée, apprivoisant le risque, nourrie d’une myriade d’idées voletant au-dessus des imaginaires paysages enneigés infinis que suscite alors la musique, ceux qu’avaient jadis pu dépeindre les Jan Garbarek et autres artistes visionnaires de ces terres de pureté. L’ensemble de l’équipe se réunit alors sur le final, en une magnifique communion étoilée, scandée par de saisissants vocaux au ton enjoué et volontaire.

« Rik » signifie « riche », par exemple la richesse de la vie personnelle. Il est donc impossible de ne pas être sensible à deux autres pièces émotionnellement jumelles. « Risset i meg » (Gravé en moi) et son message intimiste très touchant et « Trist Arpeggio » (Arpège triste) dont le rythme coloré et tant soit peu festif ne peut cacher une certaine mélancolie, par exemple celle de belles histoires d’amour, et parfois de leurs peines, vécues par des amants séparés peut-être. Comme dans des films sentimentaux, dont les bandes originales auraient pu accueillir à ravir ces deux superbes morceaux.

Trois courtes compositions chargées de sens animent aussi cet album, et confirment la richesse de son inspiration. Tout d’abord « Venner i N » (Amis en N), qui est un hommage au philosophe écologiste norvégien Arne Næss, à la nature donc, et à l’amitié. Une écriture subtile, sensible et mélodique. Tout semble coloré et aérien dans cette quasi miniature, pourtant il s’y dit tant de choses, rayons de soleil, buissons et feuillages qui bruissent et des chants d’oiseaux et gais sifflements qui jaillissent d’on ne sait où. « Lite Sted » (Petit endroit) est de la même veine en plus rêveur. Imaginons un charmant petit village, loin de tout, au moment de sa fête, danses folkloriques et chants sur la place principale, lampions qui clignotent, enfants fous de liberté qui jouent et s’échappent en cris de joie, comme ces notes de jazz, qui montent aux murs comme des glycines en fleur. C’est en douceur que se clôt cet attachant album avec un « Romantikk & Rytme » (Romance et Rythme) qui porte bien son nom. Tout le monde est à l’unisson, piano en tête, pour introduire, puis mener, cette bien jolie histoire, qui berce par ses accords tranquilles et sa délicatesse, et dont le cœur sera vite transpercé d’un vif solo de guitare. Très beau, mais c’est déjà fini !

Porté par un groupe de tout premier plan, « Rik » ne peut laisser indifférent, en particulier par sa poésie éthérée et son esthétique scandinave, servies par la richesse de l’écriture et un son magnifique. Il se déguste comme un vrai film, dont les images musicales, souvent inattendues, défilent naturellement, évoquant l’intimité de l’être, la nature, l’amitié, les lieux qui comptent dans une vie et, surtout, l’ivresse de l’inconnu. Petit conseil, les notes de pochette d’Ivan Ave, rappeur et parolier norvégien, sont à lire avant l’écoute !

Album à la mémoire du batteur norvégien Axel Skalstad (1992-2025).

Par Dom Imonk

Jazzland/Integral

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