Daniel Humair – Prismes à l’Eau

DANIEL HUMAIR : Batterie

VINCENT LÊ QUANG : Saxophones

STÉPHANE KERECKI : Contrebasse

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SAMUEL BLASER : Trombone

Il y a le trio régulier de Humair avec Lê Quang et Kerecki, qui tourne depuis quelques années, avec plusieurs albums à son actif, et puis un trio suisse , surnommé : ‘Helveticus’, avec Humair, Känzig et Blaser qui se produit lui aussi régulièrement et a enregistré 2 disques.

Mélange de sons, le trio hexagonal emprunte le tromboniste (qui joue sur tous les titres) pour s’enrichir, et ça devient un vrai quartet plutôt qu’un trio augmenté.

Mélange de couleurs, comme d’ajouter un nouveau ton sur une palette, le tableau en est totalement transformé. Ce sont des couleurs à l’eau qui se fondent entre elles, juste quelques gouttes pour ne pas trop diluer les valeurs fondamentales mais seulement les réunir par une zone commune, sans qu’elles se confondent, créant de nouvelles couleurs résultantes des 2, des 3, des 4 originales, selon la géométrie adoptée (le son voulu) et l’idée du moment (magie de l’instant).

Prismalo est une gamme de la marque ‘Caran d’Ache’, sorte de gouache réagissant de façon aléatoire à l’eau, selon la quantité et l’angle abordé. C’est bien une histoire de peintre qui teste de nouvelles techniques, des musiciens qu’il connaît bien, prêts à réagir à toutes situations, qu’il mène aux baguettes en guise de pinceaux, sans jamais empiéter sur l’essence même des éléments convoqués, mais les emmenant dans des perspectives audacieuses qu’ils n’auraient peut-être pas abordées sans cet élan, l’esprit holistique du peintre-batteur qui sait si bien diriger son monde, les poussant chacun aux confins des possibilités de leur talent. Il en résulte une musique fluide, instinctive, libre, comme des filets d’eau colorée indépendants qui se rejoignent, se mêlent, se séparent naturellement, suivant la pente sur laquelle s’engage l’ensemble.

De quelques dizaines de secondes à plus de 6 minutes, 14 titres s’enchaînent joyeusement, une rivière scintillante avec des éclats de lumière, des coins sombres, fluctuation du débit, débordement sur les rives jamais trop précises, ni définies. Certains titres sonneront familièrement aux oreilles des habitués de la discographie du batteur, 4 thèmes proviennent du disque ‘Liberté Surveillée’ de 2001, les intervenants étaient Marc Ducret et Ellery Eskelin, avec Bruno Chevillon, mais ce ne sont que des trames, des esquisses que le temps a dilué, placé dans un contexte général différent, l’eau du fleuve n’est jamais la même, et puis voilà : d’autres musiciens, avec d’autres histoires à raconter, malgré certains schémas que le batteur reproduit, il ne saurait jouer à l’identique (ouf!) et profite, lui aussi, de ce nouveau contexte à explorer, une nouvelle toile avec de nouveaux crayons, et toujours la même joie communicative de découvrir d’autres formes, horizons encore inconnus, réactions inattendues à des propositions surgis de l’instant…

Baguettes-pinceaux aux frappes-touches précises, aussi judicieuses que imprévues, des métriques évolutives, une présence constante sans ostentation, pas besoin de chorus ni de démonstration, tout au plus une courte introduction. Pas besoin de trop en faire pour être là au bon moment. Un titre où les toms sonnent comme des tambours amérindiens, fête, cérémonie, la transe n’est pas loin (souvenir d’un disque avec l’ami Texier?)

C’est peu dire que les soufflants s’entendent bien ! Malgré une lecture à vue immédiate, les tutti sont impeccables, suivis de contre-points acrobatiques où les 2 ne font rien qu’à jouer : à chat, aux 4 coins, à la balle et au prisonnier… De la haute voltige, à chacun d’attraper la queue du Mickey, questions-réponses incessants, les rôles se distribuent au fur à mesure, à l’envie, en fait ils semblent tout simplement inséparables… tout en gardant leur propres personnalités, comme ces fameuses couleurs qui se diluent, se mélanges en restant entières et uniques.

Jeu de contrebasse exemplaire pour l’ancien élève de Daniel. Attaque irréprochable, le son chargé de l’ampleur de la généreuse ‘grand-mère’, clair et direct, sans effet superflu. Chaque phrase chargée du génie de compositions dont Stéphane n’est pas avare, ça chante ! Sa délicatesse allant jusqu’à s’effacer sur 2 chansons total improvisées du trio qui prend tout l’espace offert, et on se demande d’où peut bien sortir ce thème soudainement… Mélange intime d’idées, de sensations ? Une belle émotion !

Une eau qui nous entraîne dans son cours, tantôt rapide, puis plus doux, on flotte, on s’immerge, s’ébat, se débat, se cogne, boit la tasse, un grand bol d’air tout neuf avant de replonger dans le torrent coloré et chahuteur où il fait bon perdre pied.

Parfait pour démarrer la nouvelle année, ou une nouvelle journée ! Il suffit de se laisser porter… tout va bien se passer ! Que c’est bon !

chez : Le Triton

Par : Alain Fleche

https://letriton.bandcamp.com/album/prismes-leau