Yves Rousseau – Shabda

Géraldine Laurent : Sax Alto / Jean-Marc Larché : Sax soprano / Jean-Charles Richard : Sax Soprano et Baryton / Clément Janinet : Violon et Mandoline / Christophe Marguet : Batterie / Yves Rousseau : Contrebasse et compositions
Il y a 10 ans, Yves Rousseau enregistrait en quartet (créé en 2000) : ‘Akasha’, terme sanskrit évoquant l’Espace – l’Éther – , voici aujourd’hui ‘Shabda’ qui représente le son, plus précisément la vibration originelle du mot, de la parole, découlant de AUM qui est le son principiel créateur de l’univers manifesté. Les spécialistes de l’Inde ancienne, linguistes, philosophe, yogis planchent toujours sur l’origine et la qualité du son, est-ce de la matière, un mouvement, une résonance ?…
On peut rapprocher ce concept à celui du ‘Verbe’ (parole) cité dans le 1er verset de la Bible qui est devenu (lui aussi) le lien sacré entre les hommes et la divinité. Mais le mot, et sa signification, ne suffit pas à donner sens ; dans la tradition de la transmission orale, c’est la sonorité, la qualité vibratoire , les modulations et articulations du mot qui lui confèrent sa force et sa réalité.
‘Tout est vibration’ affirment les scientifiques, même la matière, alors le son… !
De la musique des mots aux mots de la musique, c’est toujours une histoire de transmission, de perception et d’échange.
Venons-en donc à la musique ! 2 saxophones ont augmentés le quartet original : L’alto bien reconnaissable de Géraldine Laurent (déjà présente sur ‘Fragment’ de Y. Rousseau), encore et toujours très en verve (post-bop?!) et le baryton sur-médaillé Jean-Charles Richard, virtuose et son chaleureux, qui joue souvent dans le registre médium, faisant office de ténor, liant le soprano et l’alto tout en confortant le contrebassiste dans son rôle de colonne modulable, fixe mais souple, autour duquel évolue l’orchestre qu’il mène en chef ! Clément Janinet remplace Régis duby, 1er prix de musique improvisée (tiens, y a une hiérarchie là aussi?) bien assumé ici, il a joué avec pléthore de grands (Ricardo del Fra, Gilles Coronado, Hans Bennink, Ramon Lopez, Mark Turner, Richard Bona, Cheik Tidiane Seik…) et il fait superbement le job, archet allègre, mandoline vivace pour des interventions tendues, voir mystérieuses…On retrouve les bons vieux potes de Yves : Jean-Marc Larché, explorateur de toutes musiques, tous genres, tous territoires, avec un bonheur constant et communicatif ; et le fameux drum de Christophe Marguet, toujours à l’affût, à la bonne place, qui fait merveille encore dans ce format.
Un casting haut en couleurs pour conjuguer des partitions exigeantes et très travaillées laissant cependant une large place aux improvisations, toutes aussi indispensables que passionnantes. Sans pour autant sembler fourre-tout d’exposition de connaissances multiples, les compositions sont variées pour un projet ambitieux mais cohérent, les titres s’enchaînent naturellement, en exploration du thème général du projet, le son virevolte, évolue, revient, s’élargie… La vibration est maintenue, exprime, communique.
À travers un large panel de musiques empruntant à tous genres (classique, contemporain, jazz, rock, monde…), l’ambiance est paisible, claire et lumineuse, avec de vraies mélodies chantantes.
Méditatives, romantiques, même sur des tempi médium plus rapides, les compositions appellent à réflexions intimes et profondes.
Force évocatrice des soufflants, tension permanente des cordes, battements souples et intuitifs, la musique réclame de rentrer en elle, en communion, en recueillement, en recherche de soi-même à travers un discours sage et introspectif, original et intemporel. Les sax’s nous invitent à rentrer dans leurs échanges à 3, le violon mélange souvenirs du classique et expressions aventureuses futuristes, bien dans la logique de l’album, sans heurt, du bonheur.
Des thèmes majestueux, sans esbroufe, qui ne se limitent pas à faire du joli, ni à exprimer des émotions passagères, mais invitent à passer de l’autre côté du visible, de l’audible pour atteindre l’intérieur, le sens, l’origine même de l’inspiration, du son entendu, deviné, pressenti, matérialisé, potentiel et en perpétuel devenir. Chacun trouvera la porte à pousser pour arriver à percer l’énigme du son, et son propre rapport à l’écoute.
Le son, l’espace, le temps, le mouvement, la vie ! De quoi nous conforter dans notre plaisir à entendre de si beaux arguments, d’écouter de si talentueux poètes, maîtres de leur art, et pas seulement des notes, mais surtout la vibration dont elles sont issue et qu’elle induit, entre nos oreilles attentives. Bravo !
Chez : l’Autre distribution
Par : Alain Fleche
https://www.facebook.com/yvesrousseau.fr