Yvan Robilliard Trio – Lifetimes
Justin Faulkner – Yvan Robilliard – Laurent David

[COUP DE COEUR] Parmi les formations qui firent basculer le jazz dans le bouillonnement électrique fin des sixties, début des seventies, nul n’oubliera le légendaire Tony Williams Lifetime, groupe du célèbre batteur, qui vit notamment défiler en ses rangs des musiciens tout aussi visionnaires que lui. Citons par exemple les guitaristes John McLaughlin et Allan Holdsworth, les bassistes Jack Bruce et Ron Carter et, surtout, les claviéristes Larry Young et Alan Pasqua dont Yvan Robilliard est l’un des dignes héritiers.
Celui-ci est un claviériste très précoce, aux goûts et aptitudes multidirectionnels, il a maintes fois été primé tant au plan de ses brillantes études que lors de concours prestigieux. Il a de plus côtoyé des figures du jazz parmi les plus aventureuses et hardies. Pour le trio « Lifetimes », il a donc su s’entourer de personnalités fortes des musiques évolutives, en invitant des musiciens à l’imagination débordante, forts de projets à la portée planétaire : Justin Faulkner, natif de Philadelphie terre de groove, un batteur de haut vol, dont les prestigieuses participations laissent pantois, ce qui est aussi le cas de Laurent David, bassiste explorateur, compositeur avisé et producteur pointu, qui se partage entre Paris et New-York, ce qui d’évidence a tissé des liens avec ses complices, dans la gestation de ce disque à l’âme sans frontière ! Quand nous découvrons enfin que le directeur artistique de « Lifetimes » n’est autre que Daniel Yvinec, éminent musicien et auteur des remarquables notes de pochette, aucun doute n’est possible pour nous, cet enfant est bien né !
Principalement composés par Yvan Robilliard, les dix thèmes de « Lifetimes » se veulent un vif hommage au trio de Tony Williams, non par la réécriture d’une musique déjà connue et réactualisée, mais par l’envie d’évasion vers des espaces ouverts à des formules toujours plus libres. Oser inventer, dans un esprit proche de celui du Maestro historique, mais avec un langage au vocabulaire très actuel, celui d’un 21° siècle déjà bien fourni !
Enregistré au Triton par le sorcier Philippe Teissier Du Cros, énergie et punch habitent d’irrésistibles échappées multiformes. Après le très engageant « Triceratops », comment résister au plutôt head-huntersien « Elegant funk », qui, sur un imparable tempo, met d’entrée en valeur les époustouflants claviers du leader, et une rythmique des plus athlétique ? Même réjouissance interloquée avec « Kaleidoscope », sorte de brûlot inattendu, punchy en diable au départ, qui se fend alors d’un break electro des plus mystérieusement cosmique, comme si des intelligences artificielles martiennes avaient tenté de prendre un temps le contrôle du défilé, mais un final jazzy bien envoyé a eu raison de ces influx venus d’ailleurs !
Ces changements soudains d’attitudes sont l’une des forces de cette musique, semblables à des électro-chocs ! Les voici encore avec l’étonnant « Elsewhere » qui démarre plutôt soft, puis explose en une accélération tonitruante où énergie rythmique tendance groove rock et piano plutôt fusion jazz associent leurs pas en une course effrénée. Festival Justin Faulkner sur « Tighrope walker » (intro signée par lui et morceau) qui porte bien son nom, quel drumming ! Carte blanche en suivant à Yvan Robilliard sur le trépidant « The train that never stops » (intro et morceau) où la synergie créative des trois nous ensorcelle de son funk inarrêtable, en partie grâce à la basse de Laurent David qui signe à la suite la bizarre miniature enslappée « The frenzied Paradise – introduction », qui ouvre la porte au superbe final et son fantôme !
Vous l’aurez compris, « Lifetimes » est une réussite ! Un album risque-tout captivant, ivre de liberté et foisonnant d’idées, un « paradis frénétique » que n’aurait certes pas renié Monsieur Tony Williams !
Par Dom Imonk
Le Triton/L’Autre Distribution
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