Micah Thomas – Mountains

Micah Thomas : Piano, Compositions / Adam O’Farrill : Trompette / Immanuel Wilkins : Sax Alto / Nicole Glover : Sax Ténor / Caleb Smith : Trombone / Kanoa Mendenhall : Contrebasse / Kweku Sumbry : Batterie

Micah Thomas, naît en 1997 en Ohio, à peine tient-il debout (à 2 ans) qu’il s’assoit devant un piano.

Pendant ses années de collège (2015-2018) il joue avec tout ce qui bouge chez lui, à Colombus. Il participe aux concerts de John Clayton et Joshua Redman (2017), puis écume l’Ohio avec des pointures locales. On ne s’endort pas : en 2020 il obtient sa maîtrise à la fameuse Juilliard School, tourne avec son propre trio, sideman chez Ambrose Akinmusire, Lage Lund, Billy Drummond, Walter Smith III et d’autres, enregistre son premier disque, aussitôt plébiscité unanimement par les critiques de New-York et USA, il est demandé pour jouer et enregistrer aux 4 coins du pays. Ouf.

2022, un disque en piano solo, il en profite pour décrocher le Grand Prix du Disque de l’Académie Charles Cros.

2023, un disque en trio, et une commande de la Jazz Gallery de New York à laquelle il présente son 1er travail pour grand ensemble : « Mountains » au mois de juin. Composé spontanément, la musique évolue organiquement : « …écrit dans l’instant… chaque section me conduit naturellement à la suivante », dadaïsme contrôlé ? Cela n’empêche pas cette œuvre d’être le résultat d’une profonde réflexion, tant à propos des sujets choisis, leur pertinence, et la richesse de l’écriture, variée et cohérente, tantôt riche ou dépouillée, support où les musiciens trouvent des directions et l’espace pour s’exprimer pleinement, sans se priver.

Savant mélange de la folie affleurant les œuvres de Mahler ou Stravinsky et celle, déclarée, du jazz contemporain, évoquant les performances d’Itzhak Perlman et la puissante construction émotive et savante de « The black saint and the sinner lady » de Charles Mingus.

Force est de reconnaître les qualités artistiques du pianiste. Des compositions de grand intérêt qu’il conduit intelligemment, avec un jeu original qui ne ressemble à nul autre, sans cacher pour autant ses influences majeures (Monk, Bley, Mehldau…), qui parle juste sans (trop) de virtuosité tape à l’œil, à l’aise dans tous les registres qu’il utilise, mélangeant plusieurs styles simultanément (jazz, classique, contemporain), chaque note et phrases sont justes et belles, s’autorisant toutes les audaces sans jamais sombrer dans un quelconque maniérisme. Il mêle de cette façon les émotions, du jeu au tragique, de l’introspection intime à la rencontre et l’échange avec ceux qui l’entourent, public compris, avec une pointe d’humour qui allège la complexité du travail proposé. Et il sait s’entourer :

Tous les musiciens sont des leaders avec leur formation régulière, et ont tous quelque chose d’intéressant, d’important à dire, avec leur son, leurs idées, leur âme.

On se réjouit de retrouver le trompettiste, incapable de cacher son amour de la liberté, lançant des notes puisées au cœur de la terre vers des hauteurs inaccessibles, toujours prêt à enchanter le monde et les oreilles par une vitalité qui semble inépuisable, et un cœur à faire chavirer les plus blasés.

On remarquera aussi la saxophoniste ténor, bien dans son temps (la liste de ses participations au jazz actuel en atteste), un joli son bien rond, chatoyant et attachant, mais capable de folles fulgurances étonnantes dans des soli impatients qui ébouriffent l’idée de sagesse et de charme qu’elle présente en premier chef.

L’altiste n’est pas de reste. Joli son clair, bien personnel, curieux de tout, il ré-invente l’instrument qui flamboie et s’étale dans toutes les directions qu’il ne cesse d’explorer sans faiblir, avec une grande curiosité spirituelle

Le trombone est plus discret, mais bien présent, juste une couleur, indispensable, qui étoffe les contre-points, tutti, et rayonne lors d’interventions lumineuses avec chaleur et volupté. Adepte d’absurde, d’aléatoire, de l’immobilisme dans le changement, un sérieux farceur !

La section rythmique est réunie pour la 1ère fois, et la magie opère entre la jeune bassiste américaine née au Japon, qui tourne dans le monde entier dans de multiples formations et le multi-percussionniste de Washington qui a réinventé le jembé, promenant ses découvertes rythmiques aux 4 coins de la planète, on entend une vraie fusion formant une colonne organique stable d’où gravite l’ensemble.

« Mountains » se veut proposer 4 thèmes centraux :

‘Life’ : voyage dans un espace inventé, exploration de structures à découvrir sans se perdre, architecture actuelle qui dépassera les ages.

‘Processing’ : récit dramatique sur les épisodes du deuil, du refus à l’acceptation, de la souffrance au détachement. La vie poursuit son cours…

‘The Mountain’ : voyage métaphorique à travers les paysages naturels et sauvages, renvoyant aux émotions personnelles intenses modelant les pensées.

Et l’approche du divin dans le processus créatif… vaste programme auquel est confronté tout artiste sincère et lucide, et son éternel questionnement : ‘Quid du libre-arbitre ? ‘

On remarquera aussi le morceau ‘Collapse’, encore un constat, état des lieux où nous battons, débattons, luttons et revendiquons nos droits contre l’hégémonie démoniaque de la finance. Proche de l’improvisation collective… trop court !

Un disque qui répond et comble l’intérêt qu’il suscite. Un challenge ambitieux gagné ! Tous les éléments étaient réunis pour une belle réussite, dont acte !

Chez : Artwork Records

Par : Alain Fleche

https://www.facebook.com/moses.tejus