John Scofield Trio – Rocher de Palmer hors les murs – Salle du Vigean à Eysines – 10 avril 2025

La file était longue ce jeudi, prête à pénétrer dans la mythique Salle du Vigean, qui offrit tant de mémorables concerts à des milliers d’aficionados de tous les jazz, la ville d’Eysines et Musique de Nuit n’y furent pas pour rien ! Une fois à l’intérieur, les quelques noms inscrits sur l’immense fresque qui orne le hall d’entrée réactivent les souvenirs ! Une grande partie du gotha international est passée par là, de Sonny Rollins à Wayne Shorter, en passant par Ahmad Jamal, Herbie Hancock, Stan Getz, Chick Corea, Marcus Miller et tant d’autres pointures, sans oublier le funk torride de Chaka Khan et George Clinton P-Funk. Et l’on nous dit que la fresque n’a pas suffi à y loger tous les noms ! Ce soir, c’est au tour du légendaire John Scofield de venir faire chauffer sa guitare en trio, accompagné des incroyables Vicente Archer à la contrebasse et de Bill Stewart à la batterie, lequel nous avions déjà eu la chance de voir, en mars 1992 au Fémina à Bordeaux, au sein du quartet du guitariste, qui comptait aussi l’illustre Joe Lovano dans ses rangs.

John Scofield a débuté sa carrière au cours de la deuxième moitié des seventies, l’occasion de sortir quelques albums sous son nom et de vivre diverses collaborations, notamment avec le gang jazz-funk « The Billy Cobham-George Duke band ». C’est en avril 1983 que sa « Bordeaux Love Affair » a débuté au Palais des Sports, où nous avions pu le découvrir aux côtés de Miles Davis, et de Mike Stern, jusqu’alors guitariste du fameux trompettiste. Un concert brûlant et inoubliable de la tournée « Star People » du Maestro. Les albums « Decoy » et « You’re under arrest » qui suivirent consacrèrent vraiment l’envolée fulgurante de John Scofield, qui entrepris par la suite une vraie carrière solo, riche et variée, fortement teinté de jazz-funk par moment, avec de nombreux albums « pépites » à la clé, parus sur de prestigieux labels parmi lesquels Gramavision, Blue Note, Verve, et les derniers en date chez ECM.

Nous retrouvons donc ce jeune homme de 73 printemps, escale girondine dans une tournée de près de 30 dates, débutée le 8 février à Miami et qui devrait se terminer le 1° mai à Tokyo. Inutile de préciser que la salle se remplit très vite et la densité en guitaristes de tous âges est très élevée, des aînés aux plus jeunes, dont certains sont encore au conservatoire. C’est réjouissant !

Une formule à trois, propice à une énergie débridée, à l’intimité et aux racines, comme en témoigneront quelques standards repris avec ferveur et une originalité certaine.

La fête commence par « Blue Monk », un morceau si souvent repris de qui vous savez. Traitement vitaminé avec un départ de Scofield juste phénoménal, suivi d’un chorus de contrebasse tout aussi étonnant et soutenu par une batterie époustouflante d’espace et de puissance colorée. Le Monk revisité !

Voici un « New Song » nous dit John Scofield. Plus tranquille, nervuré des tourbillons caractéristiques de son jeu chaud et profond, et des accélérations foudroyantes, sa marque ! Sonorités tranchées, cris du blues à fleur de peau. Chant d’amour en précieuses flèches, puis le calme après la tempête.

Suit un autre clin d’œil à la grande histoire du jazz, grâce à « Little Willie Leaps » du jeune Miles Davis de la fin des années 40. Précision cool, agilité et audace early be-bop, la musique swingue et nous balance au 7ème ciel. Un nouveau solo de contrebasse surgit, chante et danse du fond du bois, alors que lui succède un irrésistible solo de batterie. Éclair, énergie, il y a de l’électricité dans l’air. Le « early » Miles réactivé !

« Yawn » de « Shinola » (Enja), réactive l’heureux temps du trio que Sco formait avec Adam Nussbaum et Steve Swallow au début des eighties. Une balade mélancolique gorgée d’émotion, peut-être dédiée à Evan, son fils regretté, auquel il ne manquera pas de souhaiter fidèlement son anniversaire le 13 mai prochain… Il étire ses notes, comme pour prolonger son message. Suivent quelques barrés caractéristiques, aurifères, d’une élégance de gentleman, qu’il est jusqu’au bout des doigts, ceux d’un Giacometti du jazz et du blues. Après une belle intervention de la contrebasse, nous voici revenus à la douleur du thème, gorgée d’une beauté d’espérance.

Histoire de nous ressaisir, démarre alors une pièce assez groove, surement issue de son passé de jazz funk addict. Avec Miles Davis ou au cours de la carrière solo qu’il poursuivit après. Chorus endiablé, le batteur entretien le feu, et le contrebassiste pompe le rythme. Sco s’envole dans des arcs de cercle lumineux, le Blues en interstices. Accalmie et batterie bondissante, puis le thème. Un classique ?

Dans la reprise du céleste « Naima » de John Coltrane, il y a chez John Scofield beaucoup de spiritualité, message que son visage animé accompagne la guitare à prononcer.
Le solo est aspiré par les étoiles, la passion s’accentue, comme puisée au plus profond de son cœur. La contrebasse s’exprime alors, sur les scintillements des cymbales. Final tout en douceur et intériorité, presque chuchotées.

Retour au rythme, avec « Airegin » de Sonny Rollins. Un standard présenté en mode assez speed, complètement explosé, décarcassé et reconstitué grâce au fluide unique du patron et ses fameux accords obliques coupés de fulgurantes échappées, la potion magique de la marque Sco ©. Le temps d’un beau chorus de batterie, quelques notes encore et c’est fini. Nous voici calmés !

Autre standard, qui ressemble au « Freddie Freeloader » de Miles Davis. Ambiance très bluesy nourrie de notes tordues, à la limite du faux, qui nous fascinent, tout est limpide et s’insinue en nous. Survient un chorus monstrueux de Sco, la quintessence du blues ! Changement de son, humeur beaucoup plus flashy, quelle leçon ! Revenons au soft, par des caresses, et des effleurements biaisés, Miles aurait adoré !

C’est presque la fin du set et ce morceau très Scofieldien, sur un speed allumé. Tous à la fête, autour du Maestro, en un interplay d’altitude. Le grand saut dans l’espace immense et merveilleux. Quels sons Mr John Scofield, quels sons !! Changement de timbre, autre évasion vers l’electric-cité. Distors cosmique, finish presque rock, sur sample electro ! What else ?!

En rappel, un tribute à Carla Bley avec l’émouvant « Ida Lupino », repris en low tempo, un peu à la manière et au rythme de « Jean-Pierre », si souvent joué chez Miles Davis. Magnifique conclusion !

Au final, ce fut un concert époustouflant d’énergie de groove et de tendresse, par de formidables musiciens que nous n’oublierons pas ! La classe absolue ! Les discussions allaient bon train au sortir de la salle, entre retours enthousiastes et avis plus réservés, mais c’est aussi ça la vie du jazz, sans débat contradictoire, pas de musique qui vaille !

Par Dom Imonk, photos Alain Pelletier

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