Françoise Toullec + La Banquise – Le bateleur, parades & variations

[Coup de cœur] À chaque sortie d’album, c’est un délice de retrouver dans ses œuvres la compositrice, pianiste et improvisatrice Françoise Toullec, qui a maintes fois prouvé qu’elle occupe une place privilégiée dans la communauté de la libre pensée sonore, pour savoir offrir matière à évasion vers d’inattendues clairières d’écoute.
Un peu d’histoire récente afin de rappeler que ses propositions musicales sont toujours d’une grande originalité et multiformes, comme par exemple « Un hibou sur la corde – pièces pour l’Opus 102 » (2019) disque solo avec un piano « augmenté », ou encore les duos notamment « Apocalyptic Garden » (2021) avec Louis-Michel Marion et deux albums où elle est associée à sa complice de fuite en avant, la vocaliste Dominique Fonfrède, « Dramaticules » (2017) et « Ça qui est merveilleux » (2022).
En ce qui concerne le quintet La Banquise, il faut en revanche remonter à 1994, année de sortie de « Histoire D’Onk », suivi de « La Banquise en Été » (2000) et le précédent « El(le) » (2009), ce dernier voyant sa formation reconduite pour « Le bateleur, parades & variations », et une architecture conceptuelle à l’audace densifiée, propice à une imagination effrénée. Nous retrouvons donc avec ravissement Françoise Toullec (Composition, piano, piano préparé, objets), Claudia Solal (Voix), Louis-Michel Marion (Contrebasse), Michel Deltruc (Batterie, objets) et Antoine Arlot (Saxophones alto et baryton, électroniques, objets).
C’est une attirante pochette qui nous invite à plonger dans le tumulte festif que nous a concocté La Banquise et son bateleur. Ce sont d’étonnantes comptines, partagées en quatre chambres « cycles » d’écoute mitoyennes, aux cloisons, (voulues) perméables aux sons voisins, favorisant de mini courants d’air, dont le méli-mélo morcelé, imprévisible et dissipé, est enivrant de dépaysement.
Même si tout paraît un peu foutraque à première écoute, et l’improvisation maitresse, semble-t-il, du climat ambiant, on détecte en sous-couches une écriture singulière, une mise en scène dont la précision permet l’envoi de micro-impacts furtifs, des surprises qui font mouche en atteignant à chaque fois leurs cibles, c’est-à-dire nous ! En effet nous sommes tels des enfants ébahis à la découverte d’une joyeuse féerie de chuchotements, hurlements et onomatopées mystérieux, de sifflets et de petits bruits qui s’échappent de partout comme dans un jeu électronique. Ailleurs, des croassements et des chants d’oiseaux fusent d’une île imaginaire non encore découverte, des conciliabules d’animaux se tiennent sous cape, on pense à des suricates, et puis tant de détails instrumentaux clairsemés de-ci de- là, de breaks et de tumulte, un monde rêveur parallèle, où tout est permis. Un jardin merveilleux où les titres des allées figurant dans chacun de ses quatre « cycles » indiquent le fléchage d’un labyrinthe qui nous désoriente et dont nous ne voulons surtout plus sortir, c’est malin !
Au menu, une vingtaine de pièces en forme de marqueterie sonore à l’humeur vive et changeante, bien souvent des miniatures, dont la malice minimaliste se voit rejointe par celle de six poèmes au verbe surréaliste de Fabrice Villard tirés de « Bégaiements », qui achèvent de nous désarçonner du cheval triste de la normalité. Françoise Toullec parle d’eux comme d’« un fil tendu vers les sotties des siècles médiévaux et les joyeuses confréries des Enfants sans soucis », ce qui situe au mieux Le Bateleur qui rend ici leur actualité à la satire et à la farce, qui jadis s’exprimaient sur les places des villes et villages. Elle ajoute aussi que l’inspiration musicale qui a nourri la reprise de ces poèmes, a été puisée dans les « Counting languages » de Tom Johnson, deux d’entre eux étant chantés selon ses « Rational melodies ». Des pièces marquantes, à l’étrangeté verbale addictive, en forme de coraux musicaux, à la croissance instantanée dans l’eau limpide de la liberté.
Par tout ce qu’il nous apprend « Le bateleur, parades & variations » est un album essentiel mêlant humour, poésie, savoir pointu, légèreté, science du son et fulgurances souriantes, grâce à ces artistes visionnaires. De géniaux « saltimb(r)anques », dont l’immense talent pétille tout au long du disque. Ils nous invitent à oser vivre un peu de cette folie, lors de nos écoutes et de nos vies et, surtout, à retomber dans l’insouciance de nos jeunes années de découvertes. Invitation acceptée, c’est irrésistible ! Ne jamais remettre à demain ce que….Bref !
Par Dom Imonk
Musea Gazul Records
https://www.facebook.com/profile.php?id=100008971156365
https://labanquise.bandcamp.com/album/le-bateleur-parades-variations