Polis Matak, Big band du collège Eléonore de Provence, Kolinga

Jeudi 5 juin 2025 Cambes

Les Portes de l’Entre-deux-Mers bénéficient depuis longtemps d’un accueillant climat, propice à l’union et à la réunion, en particulier pour découvrir et déguster un jazz aux multiples parfums, allant de douces saveurs en inclinations plus aventureuses. Grâce en soit rendue à l’Association Jazz360, devenue célèbre pour son festival annuel à l’ouverture grand angle, dont la 16ème édition s’est déroulée du 05 au 07 juin et du 13 au 15 juin 2025, dans les localités de Cambes, Camblanes-et-Meynac, Cénac, Langoiran, Latresne et Quinsac.

L’édition 2025 a débuté à la Salle Bellevue à Cambes. Une présentation du festival nous fut tout d’abord proposée par Laurent Vanhée, actuel président de Jazz360, suivie d’un exquis et chaleureux vin d’honneur, puis vint le concert.

Polis Matak

C’est Polis Matak qui a ouvert le bal, l’occasion de saluer une fois de plus l’indéfectible soutien de Jazz360 à la jeune génération. Ce quartet s’était révélé au 11° Tremplin Action Jazz en 2024, en remportant le Prix de la Découverte. Il est formé de Mathis Polack (saxophone ténor et alto, compositions), Arthur Guyard (claviers), Idris Félix Bari (basse) et Curtis Efoua Ela (batterie). Ils se sont rencontrés à la fin du confinement. Comme il nous l’a confié, Mathis quitta Bordeaux, quelques partitions dans son sac, pour rejoindre à Toulouse ses amis Idris et Curtis, qui montèrent avec lui ce groupe en travaillant sur ses compositions.

Leur premier album « Capotage » est sorti plus tard, et ce sont ses huit titres qui ont été joué ce soir, mais en version plus débridée que sur le disque, improvisations obligent ! La signification des titres des morceaux est évocatrice et pique à vif l’imagination, ce qui est immédiatement confirmé par le style de la musique, dont l’inspiration et la modernité sont portées par d’épatants solistes, au langage vif, subtil et résolument actuel, et par une rythmique époustouflante par sa force et son inventivité instantanée.

Preuve en est « Accointances » qui démarre idéalement le set, carte d’identité de l’amicale complicité qui lie les quatre complices. Le saxophone ténor introduit joliment le thème à l’humeur décidée et empli de spiritualité. Le groupe le rejoint alors, l’enveloppant d’une étoffe généreuse. Un élégant solo de piano surviendra, avant qu’un final très percussif achève de nous convaincre que nous avons bien fait de venir ! Conviction qui ne nous abandonnera pas à l’écoute de « L’endroit », avec son sax alto, sa basse grondante alimentant un jazz groove poignant, musclé par la précision tranchante du drumming de Curtis. Les chorus s’enchaînent. Mais qu’on aime cet « endroit » !

Place à un intermède beauté avec « Exfoliant », un thème démarré au ténor qui met l’âme à nu grâce à une écriture enlevée, aux saccades stimulantes. Le saxophone plutôt endiablé chante sur un mood nerveux, en escalade sur le dos tendu de la basse et le pouls décisif des cymbales et tambours, des nappes éthérées de rhodes enluminant l’atmosphère. Ça s’envole dans le ciel capricieux de ce frais juin, et ça réchauffe l’espoir. Ce chemin lumineux se poursuit dans un style voisin avec le remarquable « Capotage » et son introduction rêveuse et lunaire, on dirait presque Boards of Canada (Everything you do is a balloon). Ambiance semblant plus soft, propice à la réflexion, mais, méfiance, le pacte basse/batterie veille au feu. Enfin, retour plus guilleret du clavier, en alternance avec le sax qui flamboie de lyrisme, avant un final speed énervé, il ne faudrait pas s’endormir !

Aucun risque de bâillement grâce aux « Éclaboussure » les bien nommées. Solo de batterie incroyable d’entrée, de vivifiants embruns, puis démarrage du thème, d’un feeling latino, vitaminé et joyeux. Toujours ce fascinant jeu de passe-passe entre sax et piano, échangeant leurs phrases enflammées, et les grondements singuliers de basse, comme une mouvante charpente. Bonne humeur de mise.

« Estampille », c’est l’instant émotion. Un solo de basse nous accueille et offre de subtiles phrases à effets légèrement électronisés. L’alto part dans une belle histoire imagée, bien vite rattrapée par un speed palpitant. Les notes cuivrées virevoltent comme des oiseaux de passion. Place au train fou de la rythmique, en appui d’un piano no limits. Quelle énergie ! Puis c’est le calme après la tempête, et une fin apaisée. Un bijou de lyrisme sensible, laisser sa marque, le destin de beaucoup d’artistes, le leur, c’est évident.

Avant dernier morceau du set, voici le rafraichissant « Ablution », quel titre bien porté par ce thème ! Entrelacs de jolies phrases de sax, remarquable chorus de piano, en contraste avec une rythmique au groove musclé d’electro-chocs ! Là c’est de la turbo bossa dirions-nous. Mais qu’attend-on pour danser ? Le batteur a lu dans nos pensées, et bing, solo, mortel ! En rappel c’est « Ostrille ». Plus calme et serein, le piano et le sax sont des enchanteurs, mais méfions-nous ! La basse et la batterie arrivent, attentives et sur le qui-vive, toutes en retenue, ça ne durera pas… Le temps d’un dernier chorus d’Idris, décidemment très expressif en funambule à cinq cordes et ses étonnants effets electro, que c’est déjà fini. En quelques années, le haut niveau atteint par Polis Matak force au respect et nous a scotchés. Il est devenu l’un des groupes les plus pointus de la scène actuelle. Nous l’en félicitons et sommes vraiment impatients de découvrir la suite !

Au final, ce fut un magnifique concert d’ouverture (en tous sens) par ces musiciens d’altitude. La « hauteur », une notion qui tombait à pic car la Salle Bellevue porte bien son nom, en témoigne la superbe vue depuis sa terrasse, sur la Garonne en contrebas, parée de ses lueurs nocturnes. Soirée lumineuse.

https://www.facebook.com/PolisMatak

https://polismatak.bandcamp.com/album/polis-matak-capotage


vendredi 6 juin 2025 Camblanes-et-Meynac

Big band du collège Eléonore de Provence

Pour la deuxième soirée de l’édition 2025, c’est à Camblanes-et Meynac que nous atterrissons. Une accueillante localité en bord de Garonne, partenaire fidèle du festival.

Comme nous le rappelions plus haut, Jazz360 est très attachée au soutien de la jeune (voire très jeune) génération, et c’est un vrai plaisir que de découvrir chaque fois les nouvelles « pousses », promises nous l’espérons à un avenir fertile.

Il est 19h est c’est le Big Band des 4èmes du Collège Éléonore de Provence de Monségur qui va ouvrir le bal, sur le parvis de la Salle Polyvalente. Signalons qu’à la même heure à Cénac, se déroule le fameux (et gouteux) 1° SoupéJazz de l’édition au Restaurant les Acacias avec le duo Soul Jazz Black Bird (Maitso, chant, Ridz, guitare). Drame cornélien de l’absence de don d’ubiquité, nous n’y serons que demain ! Gageons que ce fut délice pour le public.

La présente formation, formée de 14 musicien.ne.s, est dirigée par Rémi Poymiro, un enseignant « pas comme les autres » (cf lien en pied d’article) qui a su les capter et leur a concocté une set liste de rêve pas si évidente à honorer, à laquelle ce frais collectif s’est attaché avec ardeur, sérieux et motivation, le résultat en est plus que probant ! A notre demande, Rémi Poymiro a bien voulu nous préciser que « Les élèves répètent 4 heures par semaine, ils pratiquent depuis 3 ans et une grande partie a débuté au collège en 6ème ». Nous en avons vu le résultat, chapeau !

Les dés sont jetés avec « Cantaloupe Island », un thème planétaire tiré du célèbre « Empyrean Isles » de Herbie Hancock (paru en 1964). Il s’offre à notre dégustation, tel un gouteux melon d’été, servi par une belle harmonie et des chorus très appliqués. Un régal ! Suit « Salsa Nueva » de Jeff Taylor, une ambiance cubaine ensoleillée qui donne bien envie de bouger, la fête quoi !

Voici que survient alors « Nardis », une légendaire composition que Miles Davis avait jadis signée pour Cannonball Adderley. Un thème souvent repris, et qui ce soir l’est de manière très originale, étant rappé par le sax baryton Matteï Tastet-Rousseau, que nous retrouvons chanteur de blues sur l’inoubliable « The Thrill is gone » de BB King. Une interprétation groovy à souhait grâce à la rythmique et les cuivres omniprésents, et un piano, certes timide mais plein de feeling.

Encore quelques rayons de soleil avec « Sunny » de Bobby Hebb, gracieusement chanté par une jeune fille, et enfin l’historique « St Thomas » de Sonny Rollins, repris par une équipe super motivée, souriante, attentive et fort respectueuse de ces Maestros du jazz. En rappel « Cantaloupe Island » joué au début, le public est enthousiaste, et réellement conquis par ce concert.

Bravo à ce Big Band et à son directeur et tous nos vœux de réussite à ces jeunes espoirs, sous le signe de la Note Bleue, dont les lumières ne risquent pas de s’éteindre, c’est entendu !

Merci à Rémi Poymiro pour la composition du Big Band :

Yzaline Amaral – Sax soprano, chant
Timothée Belauvre-Suarez – Basse
Pierre Bezanilla – trompette
Priam Bineau – clarinette
Nour Blaise – flûte tr
Mila Boudier – sax alto
Samuel Da Carvalhinha Casimiro – batterie
Alice de Montbron – clarinette
Linévio Houdayer – violon
Elza Lescurat-Mennetret – clavier chant
Aya Loihbi – clavier
Léonor Ovide-Durand – trombone
Luisa Saraiva – sax alto
Matteï Tastet-Rousseau – sax bariton chant

https://www.facebook.com/eleonore.deprovence.5

https://collegemonsegur.fr/

https://re2m.org/leducation-par-le-jazz-remi-poymiro-un-enseignant-pas-comme-les-autres/


Kolinga

L’une des nombreuses qualités de Jazz360 est sa passion de la découverte, et du partage de surprises, comme cet étonnant groupe Kolinga basé à Bayonne et créé en 2014 par Rébecca M’Boungou. Elle nous a indiqué que ce nom signifie « aimer » en lingala (langue bantoue des Républiques du Congo), impression ressentie tout au long de leur concert où l’émotion vive libérée par le chant d’un message pacifique fort a envoûté l’assistance.

Kolinga ce sont Rébecca M’Boungo, chant guitare, claviers, percussions, kalimba, chœurs, compositions, Vianney Desplantes, flugabone, euphonium, chœurs, Jérémie Poirier-Quinot, clavier flûte traversière, chœurs, Joël Riffard, guitares électrique et acoustique, Johary Rakotondramasy, basse et Jêrome Martineau-Ricotti, batterie, chœurs. Une formation de tout premier plan qui a porté les compositions sur l’autel d’un groove multidirectionnel palpitant, alliant subtilité d’harmonieux arrangements et puissance effrénée. Les influences revendiquées par Kolinga, et clairement perçues, sont nombreuses, soul, jazz, pop, rock, hip-hop, chanson, sans oublier la rumba congolaise, à laquelle nous osons associer quelques accents maliens, éthiopiens et même de l’afrobeat ! Autant le dire, quel voyage en perspective !

Les morceaux proposés sont principalement tirés de « Legacy » et quelques autres de « Earthquake ». Ils ont enthousiasmé le public par la diversité des climats, la force des textes d’engagement et celle irrésistible de la musique. Une véritable tornade émotive !

C’est une très belle introduction vocale qui a ouvert « Nguya na ngai » (mon pouvoir), suivie d’un solo déchirant de guitare. Il est question du courage des femmes qui souffrent tout autour de la planète, les guerres, leur statut, et tant d’autres blessures qui ne se refermerons peut-être jamais, si l’on persiste à les taire, sans jamais les soigner. Pour préciser le ton de cette supplique et réveiller les consciences, il y beaucoup de breaks, sur lesquels survole une flûte légère, presque orientale, sur un saisissant fond répétitif, genre celui du Kashmir de Led Zeppelin. Un même esprit anime l’emblématique « Mama (don’t let me) », brûlante dédicace de Rébecca à sa maman, pour saluer sa force d’âme, et celle de toutes les mères de la Terre. Un engageant tempo ska/reggae soutient ces vocaux de lutte, sur fond de guitare plutôt santanienne

Au fur et à mesure que les thèmes se succèdent, une ambiance de spiritualité s’instaure et nous en sommes de plus en plus fascinés. Exemple, le groove lourd et la gestuelle à la chorégraphie mystérieuse de « Les fantômes », et ses très beaux chœurs collectifs. « Les fantômes du passé me rongent les os » …spoken words répétés hypnotiques. Double voix grâce aux samples… « et ça me dérange, et ça me démange, je suis démon… ». Le flugabone retentit alors, puis c’est le retour du thème répétitif suivi d’un furtif piano en conclusion. Nous en restons baba !

Quelle sensibilité aussi dans « Ça va aller (mbo buba) » où Rébecca est au chant et à la guitare, une chanteuse du Congo, soutenue par la poésie des cuivres, trompette et flûte, et le retour du groove, en syncopes congolaises, maliennes, l’Afrique dans toute sa splendeur ! Exclamations, déclamations verbales des soufflants « ça va aller » ! Percussions, cloche, le rythme s’accélère, les chœurs s’emballent, le batteur s’en mêle, bref, une musique de fête, ça pourrait danser, mais que fait-on à rester assis ??

Le temps d’un morceau « mystère » au démarrage assez puissant genre presque rock prog en anglais, et de gros accords de guitare bien épais, que nous voilà de retour à plus d’intimité grâce à « Je suis née sous la lune » que Rébecca dédie à son fils, lui souhaitant un monde ou le patriarcat n’existe plus. Voix douce et arpèges cristallins. Montée en puissance du groove, trombone, riff de basse. Les six cordes s’envolent dans un chorus étoilé, porté par une batterie déchaînée.

Et ça ne se calmera pas avec les deux morceaux suivants, d’une variété ébouriffante de climats, Pour l’un se sont voix et kalimba en impression africaine, des jets de trompette bouchée, des flammes d’âmes qui s’en échappent. Speed de transe, follement entraînant. Pour l’autre, chant et clavier démarrent en mode presque soul en anglais, cela rappelle la divine Randy Crawford. Le groove est saccadé, jolis chœurs, spoken words à la clé. Le bassiste et le guitariste dansent comme à une revue Tamla Motown, c’est fou !

Après « Earthquake » et « Kongo », deux superbes thèmes tirés du 1° album, nous voici rendus à « Je ne suis pas de ce monde », l’un des thèmes les plus poignants du concert. « Demander pardon à tous les enfants qui tombent sous les bombes, Gaza, Yémen, Soudan, Ukraine aussi… », poignante supplique de Rébecca. Raga basse en matelas méditatif, innervé de voix de gorge, esprit indien. « Je ne suis pas de ce monde, je suis un oiseau bleu qui ose… ». De belles phrases engagées suivent. Les notes de son piano vintage délicieusement obsédantes rappellent un peu celles de « Enso » du « Goran Kajfes Tropiques ». Tapis rythmique puissant, breaks de piano, euphonium en corne de brume et la flûte en oiseau de nuit. Solo de batterie contenu, comme intérieur vu la gestuelle incantatoire au début, puis tout s’enflamme ! Étourdissement fou, propice à la méditation !

Kolinga nous offrira deux rappels. Le premier chanté en anglais, gorgé d’une spiritualité sincère, l’euphonium apportant une touche généreuse sur des vaguelettes cristallines de guitare, aux accords à la Ry Cooder, alors que la basse ondule apaisante. Le second est une reprise de Samba Mapangala du Congo. Joie et nostalgie sont ressenties, au souvenir des parents de Rébecca au Congo, quand elle y était enfant. Typique et chaleureuse musique de fête et de paix ! La soucoupe du bonheur s’envole, suivons-les !!

Kolinga est un groupe sensationnel qui a dû faire des émules ce soir. Remarquable musicienne et conteuse, Rébecca M’Boungou s’est entourée de musiciens de grand talent, pour nous embarquer dans un voyage, à la fois sensible, généreux et mouvementé, avec un carnet de route où les racines et les souvenirs intimes sont des jalons indispensables pour mieux comprendre puis combattre avec les mots et la musique, la souffrance terrible qui règne en ce triste monde, et frappe tant de victimes innocentes, en particulier les femmes et les enfants. Une œuvre humaniste, dont nous espérons que l’engagement vital et la force toucheront le plus possible de personnes. Suivons les dans leurs expériences futures, que nous leur souhaitons les meilleures qui soient ! Merci Kolinga !

https://www.facebook.com/kolingamusic

https://kolinga.bandcamp.com/album/legacy


https://www.facebook.com/FestivalJazz360

Par Dom Imonk, photos Alain Pelletier alias tamkka


Galerie photos Polis Matak


Galerie photos Big band du collège Eléonore de Provence


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