Quand on évoque la musique chez les militaires, arrivent de suite les clichés. La fanfare, la musique martiale, le clairon, les défilés… Ce que l’on sait moins c’est que chez ces militaires et en particulier de l’Armée de l’Air, existent des formations de musiciens professionnels, recrutés au plus haut niveau et capable de tout jouer, de la levée des couleurs jusqu’à Count Basie ou encore Bob Mintzer. Ainsi en ce petit matin frais de début du printemps, je me retrouve à la Base 106 de Mérignac découvrir de plus près la Musique des Forces Aériennes de Bordeaux.
S’y déroule ce jour-là une répétition du tentet de jazz et à l’invitation du sergent Julien (les noms ne sont pas publics) que je connais par ailleurs avec d’autres formations musicales, me voilà seul public pour cette séance de travail.
L’Armée n’est pas épargnée par la crise sanitaire elle non plus , ainsi doit-elle s’adapter. Pour ses musiciens c’est tout simplement ne pas pouvoir répéter tous ensemble dans la salle dédiée, l’harmonie et ses près de soixante membres et le big band de jazz. Alors le sergent Julien et le sergent chef Renaud ont eu l’idée de créer ce tentet pour pouvoir poursuivre l’activité jazz.

Des musiciens professionnels polyvalents

Le jazz a une présence maintenant historique depuis plus de 40 ans à Bordeaux, grâce à des musiciens qui l’ont promu au sein de la formation de l’Armée de l’Air. Cette formation est une entité à part entière au sein de la base. Elle est composée actuellement de 65 personnes, dont 57 musiciens et des personnels administratifs. A sa tête, un lieutenant-colonel, lui aussi musicien, joueur de basson, diplômé de l’enseignement supérieur. Le rôle de cet orchestre est double, assurer le cérémonial militaire, défilés, commémorations, etc, et permettre le rayonnement de l’Armée, en France et aussi à l’étranger pour des festivals, des évènements de prestige ou même des plus modestes ; ils vont par exemple intervenir bientôt dans des EHPAD et ils collaborent avec l’Education Nationale pour Chantaquitaine. A ce titre les musiciens doivent, en plus d’être doués et diplômés des conservatoires, être polyvalents. Le recrutement se fait sur concours national, quatre ou cinq fois par an. La formation complète est l’harmonie, qui peut jouer un répertoire allant du classique à la variété en passant par la musique légère et le jazz. Toujours des instruments à vent et des percussions. Mais elle peut se décliner en trio, quartet, big band de jazz avec bien sûr une formation fanfare. En temps normal une quarantaine de concerts par an de l’harmonie. Il ne reste plus que deux formations de ce type en France, à Paris et donc ici.
Les musiciens sont des militaires avec des engagements de 3 à 6 ans ou davantage. J’ai d’ailleurs trouvé amusant de les voir arriver en civil et d’aller mettre l’uniforme même pour répéter. « Un musicien pour être bon doit jouer beaucoup » me glisse le Chef. A ce titre ils peuvent avoir une activité musicale civile, jouer dans des formations, enseigner en école de musique. C’est ainsi que sans le savoir je connaissais pas mal de ces militaires, les voyant jouer régulièrement en clubs, concerts ou festivals. La priorité revient tout de même à l’armée. En plus d’y pratiquer la musique ils sont tenus de faire du sport, de participer à certaines tâches militaires. Ils s’occupent ainsi de l’entretien des instruments, de celui des uniformes, des commandes de matériel…
La MFABx a son budget propre qui lui permet, entre-autres, d’acheter des instruments, des partitions aux compositeurs, des costumes… Et, c’est bon à savoir tant elle propose des prestations de qualité à l’extérieur. Elle peut se produire lors d’évènements civils, comme des festivals ou des manifestations publiques.


Ce qui fait la particularité de la formation de Bordeaux c’est sa forte couleur jazz, une volonté qui n’a jamais baissé au fil du temps. Historiquement on sait que le jazz est arrivé en France avec l’armée américaine et le fameux orchestre du lieutenant James Reese Europe en 1917. Quant au Glenn Miller Army Air Force Band, il a écrit sa légende pendant la deuxième guerre mondiale. Autant de raisons d’entretenir la flamme du jazz dans cette formation militaire.

Le tentet de Jazz

J’ai le privilège d’assister à une des premières répétitions du tentet, créé tout récemment. Les musiciens ont reçu depuis un bon moment les partitions. Ils ont pu les travailler chez eux ou dans les différents box insonorisés voisins de la salle. Pour ce projet, il a été fait appel à deux arrangeurs très réputés dans le milieu, eux-même anciens musiciens militaires, Pascal Drapeau, le bien nommé et Stan Laferrière jusqu’à récemment capitaine et chef du Grand Orchestre de Jazz de la Musique de l’Air à Paris (où continuent de jouer quelques musiciens bien connus de la région).
Ce matin ils sont en réalité treize, certains étant présents pour apprendre aussi le répertoire et jouer le rôle de remplaçants éventuels dans le futur. A part l’uniforme qu’est ce qui distingue ces musiciens et musiciennes (elles sont deux) de leurs collègues civils ? Rien ! Pas de hiérarchie malgré les galons de certains. Tout se passe dans la bonne humeur, ça chambre même parfois, mais avec le plus grand sérieux musical. Chacun est force de proposition, on s’écoute, on se parle, on avance. Tous lisent la musique, c’est impératif ici.
Le répertoire est varié : « Stompin’ at the Savoy » rendu célèbre par Benny Goodman et ici arrangé de façon très originale – et casse gueule – pour le tentet ; le jubilatoire « Cajun Cookin’ » de Denis Di Blasio arrangé par Pascal Drapeau, « Castle House Rag » de James Rees Europe et un medley de cette époque, réécrits par Stan Laferrière, la ballade « To You » de Thad Jones et même une adaptation de « New Rochelle » composition bien plus récente de Bob Mintzer. Une quinzaine de titres au total.
On sent qu’on a affaire à des pros, tout est déjà bien en place et il n’y a que les détails à régler. Les arrangeurs ont soigné le travail, travaillant dans la dentelle pour les partitions, certains des musiciens non issus d’une formation jazz n’ayant pas encore la possibilité d’improviser alors que d’autres en sont des spécialistes. Le tentet ne sonne pas comme le big band, plus dans l’harmonie que dans l’énergie et il offre une nouvelle écoute très intéressante.
Insolite de penser que ces mêmes musiciens se retrouveront bientôt alignés en fanfare, le batteur devenant tambour, le bassiste tapant dans la grosse caisse, les soufflants gardant eux leur instrument fétiche mais en marchant au pas.
Je repars pour autant de la base aérienne avec une image totalement différente de ce qu’est la musique dans l’armée. Pour de jeunes musiciens, voilà une voie pour continuer à vivre de leur passion, tout en gardant une certaine indépendance. Pour les organisateurs de manifestations, de festivals, voilà aussi une opportunité. Un grand merci pour la qualité de l’accueil qui m’a été fait.

Par Philippe Desmond

Quelques dates :
1934 : création de la Musique de la 3ème région aérienne à Tours
1977 : implantation à Bordeaux-Mérignac
1985 : création au sein de la formation du GOJAA Grand Orchestre de Jazz de l’Armée de l’Air à Bordeaux-Mérignac une formation de 18 musiciens dirigée par le commandant Philippe Renaud
2008 : la formation complète prend l’appellation de Musique des Forces Aériennes de Bordeaux placée sous la direction du Lieutenant-Colonel Auneau Patrice
2021 : création du tentet.

Musique des Forces Aériennes de Bordeaux.
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