African Jazz Roots – Le Rocher de Palmer – le 01/02/2025

La formation African Jazz Roots est le fruit de la rencontre en 2009 du batteur Simon Goubert et du koriste Ablaye Cissoko.
Leurs chemins se sont croisés au festival de jazz de Saint-Louis du Sénégal où les deux hommes se sont reconnus dans une même démarche humaniste. Artisans d’une identité sonore unique, ils travaillent à fusionner musique traditionnelle et jazz modal sans jamais tomber dans l’écueil de la juxtaposition.

Présentons brièvement ces deux musiciens à l’aura internationale : Simon Goubert est un ambassadeur du jazz infatigable, inspiré par Coltrane, respecté par ses pairs pour sa créativité. Il a été le premier batteur à recevoir le prix Django Reinhardt de l’Académie du Jazz en 1996.

Quant à Ablaye Cissoko, il est considéré comme l’un des meilleurs joueurs de kora. Originaire de Haute Casamance, dépositaire de la tradition orale, il nous apprendra qu’il représente la 48ième génération de griots (membre d’une caste de poètes musiciens).

Cette belle amitié a donné naissance à un répertoire singulier que l’on peut écouter dans 3 albums : African jazz roots paru en 2012, Au loin en 2017 et Seetu en 2023. Le projet s’inscrit dans la lignée du Kora jazz trio qui avait brillamment réussi le mariage du jazz et de la tradition musicale mandingue.

Au fil des années, le groupe a évolué dans sa composition et dans son orchestration.
Aujourd’hui, c’est un quintet solide qui réunit Sophia Domancich au piano, Jean-Philippe Viret à la contrebasse et Ibrahima Ndir aux calebasses. Des paysages imaginaires et apaisants émergent de leur processus créatif pour forger une musique qui a beaucoup d’âme. Les pièces sont construites autour de l’alchimie subtile qui habille les dialogues entre piano et kora et entre batterie et calebasse.

L’essentiel des morceaux joués ce soir est issu de l’album Seetu qui signifie reflet, miroir en langue wolof : l’autre devient une richesse, promet un éventail de possibles à la confluence de deux continents.

Nimbé d’un éclairage chatoyant parfaitement en harmonie avec cette musique chaleureuse, le concert a débuté en duo : Simon Goubert et Ablaye Cissoko nous invitent à découvrir leur langage poly-rythmé. Les tambours tremblent tandis que les cymbales, aériennes et solaires, bruissent sous les baguettes. Le rythme s’accélère, la mélodie sautillante qui s’échappe de la kora propose une détente joyeuse. Les musiciens ont planté le décor d’un voyage qui sera à la fois intimiste et universel.

Le quintet est maintenant au complet pour interpréter Seetu, titre éponyme de l’album, composé par Simon Goubert. La kora posée sur les genoux d’Ablaye Cissoko, suggère, avec ses 21 cordes, une petite harpe. La pureté des lignes mélodiques de cet instrument traditionnel s’accorde parfaitement aux longues nappes soyeuses déroulées par la pianiste. Nous mesurons à quel point sa fluidité et la palette sonore qu’elle recèle enrichit le jazz.

Vient ensuite La langue de barbarie qui évoque la fine presqu’île sablonneuse qui sépare le fleuve de l’océan. Cette balade contemplative a été composée par Sophia Domancich. Son phrasé mélodieux apporte du lyrisme à une invitation à la méditation, le public est attentif, les applaudissements sont nourris, chacun est conquis.

Manssani Cissé, chanson de geste mandingue, présentée par Ablaye Cissoko, s’inscrit dans la tradition orale qui imprègne la culture des griots et résonne comme un plaidoyer pour la droiture qui doit guider nos actes. La narration musicale restitue la force du propos avec un tissage rythmique : batterie /calebasse, piano /kora foisonnant au centre duquel la contrebasse tient admirablement l’ensemble. La qualité du jeu d’Ibrahima Ndir sur les calebasses est fascinante, Ablaye Cissoko se lève avec sa kora, la lumière se pose sur cette histoire orageuse qui raconte l’injustice et la punition. Magique.

Suivent des Réflexions du jour qui nous éloignent du bruit de la ville. La mélodie délivrée par la kora est apaisante, lumineuse et délicate comme une promenade sereine. La souplesse du chorus de contrebasse en souligne la poésie.

Goxumbaac, évocation d’un quartier de Saint Louis, a été composé par Jean-Philippe Viret. Il insuffle beaucoup de profondeur à son interprétation à l’archet. Sa gravité est nuancée par la douceur distillée par un piano qui s’efface devant un superbe chorus de kora.

Sundjata, tout comme Manssani Cissé est issu de la tradition du pays Mandingue. C’est un pur moment de plénitude qui oppose la sagesse aux tourments du monde, incarné avec légèreté par kora et calebasses. Comment une telle richesse sonore peut s’échapper de deux cylindres évidés ? L’immense talent d’Ibrahima Ndir sublime ses percussions incroyables : il frappe avec le poing, tapote de sa paume ouverte, produit des sons uniques en parfaite harmonie avec le jeu de Simon Goubert. En tenue traditionnelle, assis, emporté par le rythme qu’il imprime, il parait danser au-dessus des calebasses.

Pour terminer le concert, le quartet a interprété De Dakar à Saint Louis qui figure sur l’album Au loin. En une longue introduction inspirée, Simon Goubert, très en verve, déploie un drumming puissant, ses cymbales dépeignent les forêts de baobabs et l’intense trafic routier qui relie les deux villes.

Bien sûr, un tel concert ne pouvait s’achever sans un rappel qui nous a permis de savourer la magnifique voix d’Ablaye Cissoko au chant sur Café Touba.

African jazz Roots propose une musique à la fois légère et profonde, ponctuée de magnifiques joutes instrumentales. Ce feu d’artifice musical nous a fait partager un inoubliable moment de fraternité.

Par Christine Moreau, photos David Bert

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