Pierre Carbonneaux Ensemble « L’Autour » – Bribes

Pierre Carbonneaux : Sax Ténor et Soprano, Chant
Benjamin Garson : Guitares
Clément Merienne : Claviers
Antoine Léonardon : Contrebasse
Emilian Ducret : Batterie

+ Fanfares

Première œuvre de ce jeune homme de 27 ans qui a créé son quintet en 2021. Études classiques dès 6 ans, puis diplômé classe jazz en 2019. 2 concerts avec Magma en 2017 où C.Vander lui communique son amour de J.Coltrane. Influences reconnues : de Ravel à Ligeti, de Ben Webster à Archie Shepp, Albert Ayler, la chanson et la poésie. Passage dans l’ONJ de C.Barthelemy en 2019. Enfin, il étudie l’impro libre, la composition, la musique indienne et le théatre qui le conduit à imaginer un spectacle mettant en scène son quintet et des fanfares. Ça va vite, très vite et loin pour ce musicien exceptionnel qui s’est entouré de talents à la hauteur de ses ambitions.

‘Bribes’ expose des souvenirs d’enfance, réflexions sur le temps passé s’actualisant dans le présent qui s’en rappelle. Effectivement, ce temps révolu resurgissant à l’occasion de son souvenir, se trouve teinté de sa présence immédiate, le temps passé n’est plus ce qu’il fut mais est devenu l’idée que l’on s’en fait, maintenant, peu importe la réalité mais plutôt l’impression qui a marqué la mémoire et évolue au fil de l’expérience de chaque instant.

Bribes de chansons entendues, de poèmes lus, oubliés, refaçonnées par un air sifflé dans la salle de bain, quelques mots qui s’enchaînent et fil retrouvé au cours d’une déclamation approximative…

Compositions originales avec des poèmes personnels (The Singing Train), ou sur un texte du Bukowski (So Now?) incluant quelques mesures de ‘Pauvre Martin’ (G.Brassens) qui sera repris et développé plus loin (oui cette belle chanson qui justement parle du temps qui passe sans jamais tout à fait disparaître), ou avec une réminiscence de ‘Dans l’eau de la claire fontaine’, souvenir d’une pureté fanée, nostalgie d’une candeur passée… mais qui perdure dans  l’esprit de ces faiseurs de jolies choses, dans l’ambiance de ce fin bonbon taillé comme un joyau coloré, fleurant bon le parfum chaleureux de cuir ancien et de sous-bois baigné de soleil et de pluie.

Il ne s’agit pas simplement de mettre de la musique sur des textes mais de sentir et d’utiliser la sonorité des lettres, des mots et la prolonger, l’extrapoler, car ces poésies possèdent intrinsèquement leur propre musique. Irène Aebi et steve Lacy s’en étaient déjà aperçus.

Une longue version de ‘Pauvre Martin’ donc, où la batterie, jamais orthodoxe, creuse les temps à coups de hache, la contrebasse lâche des balises comme à contre cœur, presque à contretemps, piano rêveur, ailleurs, en promenade, presque solitaire… En fait, les instruments prenant la place du chant, s’en affranchissent aussitôt. Ce n’est pas du Brassens mis en jazz, mais en ‘Free jazz’, ça change tout ! Si la suite harmonique est (à peu près) respectée, une grande liberté est prise avec les mélodies qui explosent totalement selon la fougue imaginatrice des 5 musiciens jamais à court d’idées ingénieuses qui nous embarquent dans des voyages inconnus et passionnants.

Sous le titre ‘Sifflotis’, c’est ce bon vieux ‘Syracuse’ (Salvador – Dimey) qui ressurgit et se transforme en balade nautique sur les flots des instruments qui roulent par paquets de vagues avant de s’assagir paisiblement.

C’est au tour du couple ‘Brassens – Aragon’ pour ‘Il n’y a pas d’amour heureux’. Le sax est déchirant, mais sous la tension de la section rythmique accélérant, le piano électrique s’envole vers des cieux plus clairs et sereins, avant d’être repris par un son de guitare passé à la moulinette du temps passé, comme sur les ondes d’une vieille radio… , puis le ténor revient par phrases Ayleriennes qui s’emballent et font décoller l’ensemble dans une totale liberté. La voix, le chant conclue la chanson sur le sax solo qui n’a pas pu encore atterrir.

Une belle composition de Pierre Carbonneaux clos l’album ‘À Demain’. Les temps s’étirent, n’en fissent plus, comme à regret, pour ne pas disparaître … Une fausse sortie. Un air d’orgue de barbarie joué pour de vrai. Une ritournelle qui se souvient de notre enfance, au présent.

« The words have come and gone » (C.Bukowski) … et puis reviennent, transformés par le temps, par notre mémoire, par leur propre vie.

De belles mélodies sur des arrangements somptueux.

Un jeune grand musicien dont il faudra tenir compte, on lui devine déjà un prochain riche parcours.

Chez : Peewee !

Par : Alain Fleche

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