L’histoire de ce label et de son initiateur, Benjamin Lyons

Validrecords ‘Valable où la loi l’interdit’ est un (très) petit label, quasi confidentiel, mais essentiel pour les amateurs de Free jazz / Musique improvisée, par la pertinence de ces enregistrements / documents, témoignages historiques de la vie culturelle musicale éclectique de Nola (Nouvelle-Orléans), en 8 épisodes-disques, pas si faciles à se procurer, disponibles néanmoins sur le site de ‘Bandcamp’ https://validrecords.bandcamp.com/
Il n’existe que très peu d’articles sur ce sujet, lequel finalement est peu connu voir ignoré en son lieu (Nola), et la plupart ont disparu de la toile ‘ »net ». 

Voici l’histoire de ce label, et de son initiateur, Benjamin Lyons, à partir de documents que celui-ci nous a gentiment  confié et de cordiaux échanges récents.

Benjamin Lyons (né en 1959 à Lancaster, Pensylvanie) a été bercé de quatuor à cordes de Mozart que passait son père (violoniste accompli) à la maison. Le jeune enfant s’intéresse aussi aux chansons satyrique du moment (déjà un peu rebel…). Il commence le violoncelle qu’il martyrise pendant 6 ans, sans résultat probant, ne comprenant la liaison entre ce que l’on essaye de lui inculquer et le Rock’n Roll qu’il écoute à la radio. Outre la musique classique, son père est fan du style New-Orleans, en petite formation, exclusivement. Il fait découvrir le grand Louis Armstrong à son fils, qui plongera, lors des ‘70, dans la révolution musicale du blues, du folk, du reggae… et du jazz contemporain. Fin ‘70, le Punk le séduit, aussi le Jazz (sauf la Fusion alors en vogue), le World music, en fait tout ce qui part d’une motivation sincère, intègre, qui fait sens. Cet choix devient une passion qui ne le quittera plus !

Arrivé à Nola (1983) , désireux de connaître le contexte social du R’& B’ de ce lieu, musique qu’il connaît très bien (sur disques), il tombe dans une ambiance bloquée dans l’esprit jazz 50-60, parsemée de contemporain et un peu de Free timide, ainsi que les anciennes stars du R’n B’ locale tentant de remonter leur carrière par le biais des Beatles, le Disco et divers tartufferies. Le ‘New-Orleans jazz and heritage festival’ gagne du terrain en apportant un renouveau pour la musique ‘roots’ à laquelle s’intéressent les amateurs de la ville. Il n’y a pas vraiment de style ‘New-Orleans’ à ce moment, du moins discernable et exploitable commercialement par les maisons de disques, et la scène est assez libre, un espace assez vite occupé par les ‘Jeunes Lions’ débutants (genre Winton Marsalis), qui vont faire pencher la tendance vers quelque chose de plutôt commercial (néo-conservateur) et freiner un processus expérimental en cours, mais pas suffisamment en place. Heureusement, grâce au souvenir de James Booker (Digne héritier pianistique du syle Nola, plein de fougue, de folie, improvisateur de génie, avec un son et un feeling brillants et déchirants, décédé en 1983, mais qu’avait déjà vu Benjamin devant un public de… 4, 5 personnes) et la présence du Dirty Dozen Brass band (toujours en activité) qui modernise le genre traditionnel par son intégration d’éléments BeBop,  enflammant hebdomadairement le club branché ‘Glass House’, ouvrant la voie à une génération de fanfare moderne aux tendances Funk et Hip-Hop. Et puis c’est l’apparition de Kidd Jordan dans le champ auditif de Benjamin. Musique ardue d’abord, il persévère, affine son écoute, et fini par vraiment entendre ce qu’il se passe. Il en profite pour intégrer toute une frange d’utilisateurs de ce langage nouveau (pour lui), et en apprend les codes (ou non-codes…).

Fin des ‘90, il assiste régulièrement aux scènes libres et créatives de Chicago et de New-York (Chicago Jazz Festival et Visions Festival). C’est la musique qui lui plait, qui lui parle . Parmi ses amis d’alors, à Nola, de jeunes talents se détachent du groupe qu’il fréquente et qui ont largement autant à apporter que des musiciens plus en vogue dans le pays. Mais confinés à Nola… stagnation. Il rêve de les sortir du terrier pour réveiller un monde musical, indifférent aux réelles perspectives et sens de ce genre de création… avec une qualité d’enregistrement  appropriée, supérieure à celle que les musiciens isolés peuvent se permettre (problémes de coût, et d’intérêt des boites de musique). Il possède déjà une idée précise, et ambitieuse, de son but : échapper à l’économie de marché, ne pas penser aux relations commerciales/gain, bref, c’est moins pour gagner de l’argent (sur le dos des artistes) que pérenniser cette forme d’art qui le touche, permettre aux musiciens d’être reconnus, et de vivre de leur talent.

Il pense à son pote Mark Bingham pour l’aider, ingé-son talentueux, musicien, producteur, poète, philosophe, avec une réelle attention du son nécessaire à chaque projet particulier… L’idée initiale est d’enregistrer et trouver à publier les travaux… Nous ne sommes pas loin de l’an 2000, la plupart de labels indépendants sont déjà en crise, alors il se retrousse les manches et assume le boulot, seul. Et hop, début de l’histoire.

(D’après un interview de Godston, vers 2010)

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Benjamin Lyons

Benjamin Lyons, fondateur et producteur de Valid, s’installe à Nola vers 1980, il a une connaissance empirique de son passé culturel et musical, des premiers grands improvisateurs jusqu’aux stars du moment, comme les ‘Neville Brothers’, qui tournaient régulièrement à cette époque, (les Meters venaient de se séparer).

L’économie de la ville a toujours été liée au tourisme et l’image de Louis Armstrong est restée emblématique, du moins celle passant par ‘What a beautiful world’, magnifique mais paisible, plutôt que le révolutionnaire ‘West end blues’. De fait, la classe politique et professionnelle noire est restée sur ce schéma en privilégiant un style néo-conservateur illustré alors par Winton Marsalis,  loin de représenter la diversité de la musique vivante de Nola, s’exprimant dans la rue et mêlant toutes les influences locales et internationales sans barrière ni frontières, au grée des besoins financiers et des désirs profonds d’expressions personnels des intervenants.

Conscient de la disparité entre les artistes ‘reconnus’ et l’identité libertaire de musiciens qu’il côtoie à ce moment, Benjamin s’intéresse à la production dès les années ‘90 et envisage de graver « Des pans méconnus du spectre musical de Nola », afin de préserver « Une ère fertile et créative de la ville » méprisée par les médias, at ainsi, documenter un jazz vivant éloigné de celui dominant Bourbon Street et autres lieux touristiques. 

(D’après un article de Michael Borshuk pour le magazine CODA en 2004)

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Voici la transcription d’échanges très amicaux avec benjamin Lyons, qui reflètent les qualités sans concessions de ce personnage intelligent, atypique, curieux, fidèle et sincère…

Un peu long, peut-être, mais c’est un pan d’histoire touchant, concernant la vie en Nouvel-Orleans, la vie du jazz  en général, truffée de détails qui ne peuvent qu’alimenter notre connaissance de cette musique qui nous tient tant à cœur !

Le projet valid a débuté à la fin des années 1990 avec le travail de deux musiciens étroitement liés à l’époque (mais plus maintenant, hélas) : Rob Wagner et Jonathan Freilich. Tous deux faisaient partie intégrante des New Orleans Klezmer All-Stars et de plusieurs autres groupes qui ont connu un franc succès sur la scène musicale ‘live’ de La Nouvelle-Orléans à cette époque. Rob et Jonathan avaient tous deux de fortes personnalités en composition (et d’instrumentation) qu’ils exprimaient dans des projets  plus personnels, et c’est ce qui m’a donné envie de les enregistrer. Le premier CD que j’ai enregistré , The Rob Wagner Trio, a été enregistré chez moi, car Mark Bingham , l’ingénieur du son avec qui je travaille, avait fermé son ancien studio et son nouveau n’avait pas encore ouvert. Le bassiste sur ce disque (et sur les quatre premiers albums de Valid) est James Singleton , bassiste principal de La Nouvelle-Orléans. Le batteur était feu Kevin O’Day, un collègue de Rob dans de nombreux groupes, surtout connu comme batteur « funk » ; il s’agit peut-être de son seul enregistrement dans un contexte de jazz moderne. (Les musiciens de La Nouvelle-Orléans jouent rarement avec un seul groupe, car ce sont des musiciens professionnels qui ont besoin de tourner autant que faire se peut.) Le deuxième disque était « Naked on the Floor », du guitariste Jonathan Freilcih , accompagné de James Singleton, du tromboniste Rick Trolsen, du batteur Mark DiFlorio et du saxophoniste Tim Green. Je suis très heureux d’avoir pu enregistrer Tim dans ce cadre, car, hormis son travail avec le trompettiste de Dallas Dennis Gonzalez, il avait surtout enregistré dans des formations plus commerciales, bien qu’il fût l’un des musiciens les plus respectés de la ville. Tim est décédé il y a 11 ans et n’a jamais eu la reconnaissance qui lui était due (comme tant d’autres musiciens).

À cette époque (2001), Rob Wagner démarrait un concert hebdomadaire avec son trio au célèbre bar ‘dba’ dans Frenchmen Street, une activité qui s’est poursuivie jusqu’à l’ouragan Katrina en 2005, qui a confiné Rob à New York pour quelques années. Grâce à ces concerts hebdomadaires qui se prolongèrent dans le temps, il pu travailler sur de nouvelles compositions et se constituer un public. Frenchmen Street était en pleine transition, passant du statut de lieu (contre-)culturel des années 1990 à celui d’enfer touristique qu’il est devenu depuis. La capacité de Rob à gérer des concerts aussi longtemps, jouant une musique originale et sans compromis dans un cadre pourtant commercial, témoigne de son aptitude à communiquer . Il eut bientôt assez de matériel pour enregistrer, toujours avec James Singleton et, désormais, le batteur Mark DiFlorio. En préparation, nous avons enregistré deux concerts au club, mais avant même d’entrer en studio, le batteur a décidé qu’il ne voulait pas jouer dans les bars et est parti en France étudier le bouddhisme ! Rob a toujours eu une oreille attentive pour les batteurs, et il a rapidement rencontré le jeune James Alsanders, originaire de La Nouvelle-Orléans (le seul natif de La Nouvelle-Orléans que j’ai enregistré, curieusement), et nous avons enregistré Walking, Crying, Laughing, Running quelques mois plus tard. 

Peu après le départ de James pour le Thelonius Monk Institute de Los Angeles, Rob retrouva Ocie Davis, originaire de Los Angeles, qui s’était installée à La Nouvelle-Orléans pour étudier, comme tant de musiciens de sa génération, avec Ellis Marsalis et Howard Batiste à l’Université de La Nouvelle-Orléans. [L’une des raisons pour lesquelles Rob et Jonathan, et par extension moi-même, sommes restés à l’écart de la scène jazz moderne locale est qu’ils n’étaient pas connectés à l’« académie de jazz » des années néoconservatrices dominées par Wynton Marsalis et Stanley Crouch.] 

 Lost Children , enregistré peu avant l’ouragan Katrina (2005), est sorti seulement en 2006. Étant donné les conséquences de la catastrophe, il a reçu encore moins d’attention que les autres enregistrements.

Les concerts hebdomadaires de Rob me permettaient de vendre suffisamment de cd’s pour couvrir plus ou moins le coût de leur enregistrement. Mais l’ouragan a mis fin à cette situation et a perpétué d’autres changements à venir (accélération de la gentrification) qui, avec l’arrivée des réseaux sociaux, ont complètement remodelé la scène culturelle et l’économie. Hamid Drake est entré en scène, car il est rapidement devenu l’un de mes musiciens préférés, après l’avoir entendu et connu lors de ses visites à La Nouvelle-Orléans, ainsi que lors de mes visites au Velvet Lounge de Fred Anderson à Chicago et au Vision Festival à New York. Hamid avait entendu Rob à plusieurs reprises à La Nouvelle-Orléans, et Rob l’avait entendu pendant ses années d’études à Chicago. Ils partageaient un lien avec Fred Anderson, qui était le ‘mentor’ de Hamid et Rob était un habitué des jam sessions du dimanche au Velvet Lounge, où Fred encourageait les jeunes musiciens. J’ai finalement réussi à obtenir qu’Hamid s’engage sur une date d’enregistrement : début septembre 2005. L’ouragan Katrina avait frappé La Nouvelle-Orléans la semaine précédente et avait anéanti ces projets, et bien plus encore. J’ai retrouvé Hamid à Chicago, où j’avais atterri après la tempête. Il pensait qu’on pourrait enregistrer à Chicago, mais j’étais déterminé à le faire à La Nouvelle-Orléans. Je suis retourné à La Nouvelle-Orléans début octobre et le studio a rouvert à la fin du mois, notre quartier ayant été épargné par les inondations. J’ai réussi à reprogrammer les sessions pour début décembre et à trouver des hébergements pour tout le monde, et même une batterie et une basse. Rob était de passage à New York lorsque la tempête a frappé, et il n’était pas revenu. Le bassiste Nobu Ozaki (à l’époque bassiste des Klezmer All Stars) a atterri à Portland, dans l’Oregon, après que cette ville eut délibérément tenté d’attirer les musiciens de La Nouvelle-Orléans par un soutien très généreux. Ils sont tous arrivés la veille de l’enregistrement et ont joué ce qui était le concert habituel de Rob le lundi soir au dba devant une salle comble, reconnaissante de la présence de musiciens ‘live’. Le lendemain, nous avons enregistré le premier de deux jours, non pas au studio (qui avait été réquisitionné pour un grand projet par Allen Toussaint et Elvis Costello), mais dans un espace improvisé au Café Brasil, l’ancien épicentre de la scène Frenchmen Street. L’acoustique est loin d’être idéale, mais nous avons réussi à l’exploiter en mettant des tapis partout, et Mark Bingham est un ingénieur du son vraiment génial.

Mon enregistrement suivant était le duo Frank Gratkowski/Hamid Drake. Je ne me souviens plus pourquoi ils étaient tous les deux à La Nouvelle-Orléans en même temps, mais La Nouvelle-Orléans attirait encore à l’époque toutes sortes de sommités du free jazz international. Hamid et Frank étaient des amis proches, et ils avaient souvent évoqué l’idée d’enregistrer un duo, alors nous avons rapidement mis tout cela sur pied. J’ai opté pour un concert en studio, car le studio de Piety Street était assez grand (je crois que nous avions un public d’environ 90 personnes). Et comme je savais que ce serait une séance d’improvisation libre, j’ai pensé qu’il fallait absolument un public pour que cela ait du sens.

Kidd Jordan était depuis longtemps un de mes héros musicaux. À force d’assister à ses concerts au fil des ans (à La Nouvelle-Orléans, Chicago et New York), nous sommes devenus amis et Kidd a fini par me faire confiance. À deux reprises, j’ai entendu Kidd jouer en duo avec le batteur Andrew Cyrille, ce qui m’a semblé intéressant. Kidd n’avait jamais enregistré avec juste un batteur, et je savais qu’il aimait jouer avec Hamid « quand, où ! » J’ai organisé une autre séance d’enregistrement de concert au studio lorsque Hamid est venu en ville pour un autre projet.

Le dernier album de Valid , Masters of Improvisation, est né lorsque le tromboniste Steve Swell m’a appelé (j’avais rencontré Steve au fil des ans à New York et quelques fois à La Nouvelle-Orléans) pour me demander si je pouvais l’aider à organiser un concert et un enregistrement avec le trio de longue date composé de Kidd Jordan, Alvin Fielder et Joel Futterman. Steve avait joué avec eux tous au fil des ans, mais jamais ensemble. Bien sûr, j’ai accepté, par affection et respect pour Kidd et Alvin ; s’ils voulaient le faire, j’étais partant. Au départ, je pensais faire ça pour Steve, mais il est devenu évident que ma responsabilité  allait être sacrément engagée ! J’ai reçu de l’argent de la Jazz Foundation of America , active à La Nouvelle-Orléans après Katrina, pour contribuer à la rémunération des musiciens ; c’était le seul soutien extérieur que j’aie jamais reçu. Mark avait fermé son studio quelques années plus tôt, alors j’ai organisé un concert au New Orleans Jazz Museum, dont la petite salle était bien équipée pour l’enregistrement. Le matériel multi-pistes qu’ils m’ont fourni n’était pas génial, mais encore une fois, Mark Bingham a fait un excellent travail en mixant la session pour tirer le meilleur parti de ce qui était là.

Fin … provisoire (?)

Pourquoi plus de disque depuis 2018 ?,  il y a plusieurs raisons. D’abord, je trouve qu’il y a trop de sorties. Trop de musiciens pensent que chacune de leurs paroles devrait être documentée et fichée. Je respecte peut-être leur optimisme, mais je pense qu’il doit y avoir une vraie raison de faire un disque – une nécessité même. Et le montage (pas au sens extrême du terme, comme Ted Maceo assemblant les disques électriques de Miles, mais en mettant l’accent sur la présentation, comme je m’efforce de le faire dans mes productions) est un processus que je considère comme nécessaire à la création d’un projet cohérent. Et c’est un processus que les musiciens improvisateurs hésitent à entreprendre. Et ils ont certainement raison de ne pas faire de montage au moment de la performance, mais je pense que s’asseoir après coup pour écouter avec discernement est une pratique très utile qui contribuerait à leur développement artistique.  C’est vraiment la seule « valeur ajoutée » que j’ai apportée à mes productions au-delà de la définition des paramètres de départ.

Comme je ne suis pas intéressé par la gestion d’une maison de disques, je n’ai pas besoin de sortir de « produit ». Je comprends que les musiciens aient besoin de « produits » à vendre lors de leurs concerts, mais cela ne me suffit pas. Rien ne s’est vraiment présenté à moi ces dernières années. J’aurais aimé collaborer davantage avec Kidd Jordan, mais sa santé déclinante, puis la pandémie de Covid, ont rendu cela impossible. J’ai eu l’idée de forcer Kidd à adopter une situation un peu plus structurée, fondée sur son amour profond et son attachement au blues. Les artistes avec lesquels j’ai débuté (Rob Wagner et Jonathan Freilich) ont eu du mal à s’adapter au nouvel environnement de La Nouvelle-Orléans et ne sont pas aussi actifs sur leurs propres projets. Rob joue quatre ou cinq jours par semaine sur Bourbon Street et a hésité à sortir de cette routine. Il écrit encore de nouveaux morceaux, mais j’aimerais qu’il les développe vraiment avant de les enregistrer. Jonathan donne de nombreux concerts dans divers genres et enseigne aujourd’hui à l’Université Tulane, où il a collaboré avec le monde universitaire après avoir obtenu un diplôme à Cal Arts, où il a étudié avec Wadada Leo Smith. Il y a de jeunes musiciens à La Nouvelle-Orléans qui font du bon travail, mais leur génération est celle du bricolage ; ils ne m’ont jamais sollicité pour obtenir de l’aide. Comme je l’ai dit, si je suis visible, mon travail ne l’est pas, du moins depuis de nombreuses années.

Quelques musiciens, locaux et étrangers, m’ont contacté pour sortir leur projet sur Valid Records, mais je ne suis pas doué pour gérer un label et je n’ai rien à leur offrir qui puisse servir leurs intérêts. J’ai débuté à la fin de l’ère des magasins et des supports  physiques. Tous mes contacts médias ont maintenant 20 ans et sont (étaient) liés à l’ancien paradigme. Je n’éprouve que du mépris pour les plateformes de streaming et les réseaux sociaux, qui, après tout, sont en train de mourir, et je ne peux donc offrir à personne beaucoup de visibilité ni de distribution. En réalité, je ne m’intéressais qu’à la production au départ ; le reste n’était qu’un devoir.

J’ai deux projets que j’aimerais poursuivre : un duo avec Rob Wagner et Hamid Drake qui, je pense, conviendrait au format vinyle. Aux États-Unis, l’intérêt pour le vinyle est bien plus grand que pour le CD, mais mes trois derniers projets étaient tous de très longues improvisations libres qui ne tiendraient jamais sur un disque vinyle. Il y a maintenant une usine de pressage de vinyles à La Nouvelle-Orléans, ce qui rend le processus un peu plus abordable, car cela élimine les frais de port pour les disques très lourds. Ce serait forcément une édition limitée, mais je le rendrais également téléchargeable sur Bandcamp.

L’autre est un enregistrement ‘live’ du trio de Rob, lors de son concert hebdomadaire d’il y a 25 ans. Il capture un moment – un moment si lointain qu’il pourrait être intéressant, car il évoque une certaine nostalgie (surtout chez ceux qui n’étaient pas là !) pour une époque la plus riche de la culture musicale de La Nouvelle-Orléans. 

Je suis toujours connecté à la scène musicale locale, mais comme partout ailleurs, elle s’adapte à un nouveau public et aux changements générationnels. 

 La scène créative dépend des coûts des loyers des salles, pour les artistes et pour le public. À l’époque où La Nouvelle-Orléans était plus dynamique, il était facile pour quelqu’un disposant de quelques dollars et d’une idée de trouver un espace. Les locations étaient suffisamment abordables pour prendre le temps d’observer l’intérêt des gens . C’est le scénario habituel des arts dans un monde capitaliste : les artistes réutilisent des espaces abandonnés de manière créative, et la valeur de ces espaces augmente à mesure qu’ils deviennent viables, ce qui les prive de leurs droits sur les espaces qu’ils ont créés.

Je continue à aller écouter des concerts à La Nouvelle-Orléans. Je suis à la retraite, ce qui me permet de voyager un peu : je participe généralement au Vision Festival à New York et j’essaie d’aller à Chicago plusieurs fois par an, car je me sens très proche de la scène locale. J’ai également assisté au Big Ears Festival dans le Tennessee ces quatre dernières années.

J’ai également été coproducteur de Tree on the Mound de Jeff Albert. enregistrement sur Rogue Art (avec Kidd Jordan, Hamid Drake et Joshua Abrams.)

Dossier par Alain Fleche et Benjamin Lyons